Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 18 mai 2020, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de M. A... tendant à l'annulation de l'arrêté du 22 janvier 2020.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Binand, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant afghan né le 6 novembre 1997, s'est présenté auprès des services de la préfecture de police de Paris le 28 novembre 2019 afin de solliciter l'asile. La consultation du fichier européen Eurodac a fait apparaître que l'intéressé avait présenté une demande d'asile enregistrée en Suède le 10 novembre 2015. Les autorités suédoises, saisies le 29 novembre 2019, sur le fondement des dispositions du d) du 1 de l'article 18 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, d'une demande de reprise en charge, ont donné leur accord explicite par une décision du 2 décembre 2019. Le préfet de la Seine-Maritime relève appel du jugement du 28 avril 2020 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Rouen en tant que, par ce jugement, le magistrat désigné, d'une part, a annulé son arrêté du 22 janvier 2020 portant transfert de M. A... aux autorités suédoises, d'autre part, a enjoint à l'autorité préfectorale d'enregistrer la demande d'asile de l'intéressé en procédure normale, dans un délai de quinze jours à compter de la date de notification du jugement, enfin, a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 000 euros à Me B..., conseil de M. A..., sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
2. Aux termes de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / (...) ".
3. La faculté laissée à chaque Etat membre, par le 1 de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans ce règlement, est discrétionnaire et ne constitue pas un droit pour les demandeurs d'asile.
4. M. A... fait valoir que les autorités suédoises ont rejeté sa demande d'asile et qu'en cas de transfert vers la Suède, il sera reconduit en Afghanistan où il encourt des risques pour sa vie, eu égard à la situation de violence extrême qui prévaut, en particulier, dans la région de Kaboul où est situé l'aéroport international qui constituera sa seule voie d'entrée dans ce pays en cas d'éloignement forcé. Au soutien de ses affirmations, il produit en cause d'appel, traduits en langue française, un extrait de la notification de la décision du 14 février 2018 de l'Office national suédois des migrations rejetant sa demande d'asile et indiquant qu'il devra rejoindre l'Afghanistan ou tout pays dans lequel il serait admissible, un extrait de la décision du 30 juillet 2019 par lequel la Haute cour administrative d'appel de Stockholm, statuant en matière d'immigration, a rejeté sa demande d'asile, un extrait de la notification d'une décision d'interdiction de retour prise par l'Office national suédois des migrations faisant état du caractère définitif de la décision du 30 juillet 2019 rejetant sa demande d'asile et de l'expiration, le 27 août 2019, du délai qui lui était imparti pour quitter volontairement la Suède, ainsi que la convocation par l'Office national suédois des migrations à un entretien de retour prévu le 10 septembre 2019. Sont en outre versées aux dossiers d'autres pièces qui ne se rapportent pas à la situation de M. A..., ainsi que des documents rédigés en suédois qui ne sont pas traduits en langue française. Toutefois, il ne ressort d'aucune des pièces versées au dossier qu'une décision d'éloignement forcé, devenue définitive, aurait été prise à son encontre par les autorités suédoises, ni qu'il ne serait pas en mesure de faire valoir devant ces mêmes autorités, responsables de l'examen de sa demande d'asile et qui ont accepté sa reprise en charge, tout élément nouveau relatif à l'évolution de sa situation personnelle et à la situation de conflit qui prévaut en Afghanistan. Par suite, c'est à tort que, pour annuler l'arrêté en litige, le premier juge s'est fondé sur le motif tiré de ce que, en s'abstenant de faire application du 1 de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, le préfet de la Seine-Maritime avait méconnu ces dispositions.
5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. A... tant devant le tribunal administratif de Lille que devant elle.
6. En premier lieu, en application de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. A ce titre, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application. Ainsi, doit être regardée comme suffisamment motivée, s'agissant d'un étranger ayant, dans les conditions posées par le règlement du 26 juin 2013, présenté une demande d'asile dans un autre Etat membre et devant, en conséquence, faire l'objet d'une reprise en charge par cet Etat, la décision de transfert qui, après avoir visé ce règlement, relève que le demandeur a antérieurement présenté une demande dans l'Etat en cause, une telle motivation faisant apparaître qu'il est fait application du b), c) ou d) du paragraphe 1 de l'article 18 ou du paragraphe 5 de l'article 20 du règlement.
7. Il ressort des motifs mêmes de l'arrêté du 22 janvier 2020 que, pour décider le transfert de M. A... aux autorités suédoises, le préfet de la Seine-Maritime a relevé que l'intéressé avait présenté une demande d'asile en Suède, que les autorités de ce pays avaient accepté sa reprise en charge, et qu'il entrait dans le champ des prescriptions du d) du 1 de l'article 18 du règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. Il s'ensuit que M. A... n'est pas fondé à soutenir que le préfet de la Seine-Maritime a insuffisamment motivé cet arrêté.
8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement et notamment: / a) des objectifs du présent règlement (...) / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée (...) / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet (...) / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel (...) ". Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et en tout état de cause en temps utile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend.
9. Il ressort des pièces du dossier que M. A... s'est vu remettre, les 27 et 28 novembre 2019, le jour même de l'enregistrement de sa demande d'asile dans les services de la préfecture de police de Paris, et à l'occasion de l'entretien individuel, soit en temps utile pour faire valoir ses observations, les brochures A et B conformes aux modèles figurant à 1'annexe X du règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, qui contiennent l'ensemble des informations prescrites par les dispositions précitées, en langue Dari, que l'intéressé a déclaré comprendre. Par suite, l'intimé n'est pas fondé à soutenir que la décision ordonnant sa remise aux autorités suédoises méconnaît l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 et les garanties du droit d'asile.
10. En troisième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...) / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé. ".
11. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a bénéficié, le 28 novembre 2019, de l'entretien individuel prévu par les dispositions précitées de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013. Il ressort du compte-rendu de cet entretien, signé par M. A..., que celui-ci a été conduit dans les locaux de la préfecture de police par un agent qualifié de la préfecture, par le truchement d'un interprète en langue Dari dont l'identité est précisée. Aucun élément du dossier n'établit que cet agent n'aurait pas été " qualifié en vertu du droit national " pour mener un tel entretien au sens des dispositions citées au point précédent, ainsi qu'il ressort des mentions en ce sens portées sur le compte-rendu de l'entretien, alors que M. A... n'apporte aucune précision à l'appui du moyen selon lequel l'agent ayant mené son entretien n'était pas qualifié pour ce faire, ni aucun élément quant aux conséquences de cette prétendue absence de qualification. Il ressort du résumé de l'entretien que M. A... a pu apporter à cette occasion les précisions utiles sur sa situation personnelle. Si, par ailleurs, M. A... fait valoir qu'il n'a pas reçu de copie du résumé de cet entretien individuel, il n'allègue pas, en tout état de cause, en avoir fait la demande. Par suite, et alors qu'aucune disposition du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 n'exige que la fiche relatant cet entretien comporte l'identité et la signature de l'agent qui l'a mené, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 5 de ce règlement doit être écarté.
12 En quatrième lieu, même si cette présomption n'est pas irréfragable, la Suède est présumée se conformer aux stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de la directive 2011-95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d'une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection. L'existence d'un risque sérieux d'exécution forcée par les autorités suédoises d'une mesure d'éloignement vers l'Afghanistan et l'impossibilité pour l'intéressé d'exercer un recours effectif permettant d'invoquer, dans cette hypothèse, l'évolution défavorable de la situation sécuritaire dans ce pays, ne sont pas établies en l'espèce. Il s'ensuit que le moyen tiré d'une méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en raison des risques de refoulement de M. A... vers l'Afghanistan, ainsi que celui rapporté à ce titre aux stipulations de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ne peuvent qu'être écartés.
13. En cinquième et dernier lieu, M. A... déclare être entré en France en novembre 2019, être célibataire, sans enfant mineur et ne se prévaut d'aucune attache familiale ni même privée sur le territoire français. Dans ces conditions, le préfet de la Seine-Maritime, en décidant le transfert de l'intéressé aux autorités suédoises, qui ont accepté sa reprise en charge ainsi qu'il a été dit, n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation des conséquences de cette mesure sur la situation de M. A....
14. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 22 janvier 2020, lui a enjoint d'enregistrer la demande d'asile de M. A... et a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il s'ensuit que les conclusions de la demande de M. A... devant le tribunal administratif de Rouen doivent être rejetées, ainsi que ses conclusions devant la cour aux fins d'injonction et d'astreinte et celles présentées sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 28 avril 2020 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Rouen est annulé.
Article 2 : La demande de M. A... devant le tribunal administratif de Rouen et ses conclusions devant la cour sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. C... A... et à Me B....
Copie en sera transmise au préfet de la Seine-Maritime.
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N°20DA00741