Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 12 juin 2020, M. A... D..., représenté par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Dijon du 2 mars 2020 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 28 janvier 2020 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Côte d'Or de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- l'arrêté attaqué viole des dispositions du décret n° 2015-648 du 10 juin 2015 relatif à l'accès, au traitement d'antécédents judiciaires (TAJ) et au fichier des personnes recherchées, ainsi que les dispositions des articles R. 40-29 et suivants du code de procédure pénale ; il n'est pas justifié de l'identité et de la qualité de l'agent qui a procédé à la consultation du traitement des antécédents judiciaires ; la circonstance qu'il est connu des services de police ou de gendarmerie en tant que "mis en cause" ne pouvait lui être opposée sans complément d'information préalable ; une telle consultation ne peut fonder une mesure d'éloignement et les mesures prises sur son fondement ;
- l'obligation de quitter le territoire français est privée de base légale du fait de l'illégalité du refus de titre de séjour :
- le refus de titre de séjour est entaché d'erreur de fait en ce qu'il mentionne que son épouse a fait l'objet d'une mesure d'éloignement, alors que ces mesures ont toutes été annulées par le tribunal ;
- cette décision procède d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- cette décision viole les stipulations des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- la décision de ne pas lui accorder de délai de départ volontaire est privée de base légale du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;
- cette décision, qui est entachée d'erreur de fait et se fonde sur une consultation irrégulière du fichier du traitement des antécédents judiciaires, est dépourvue de justification en l'absence de risque de fuite ;
- l'interdiction de retour sur le territoire français est entachée d'illégalité en ce qu'elle oppose la menace à l'ordre public ; cette décision est dépourvue de justification et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision fixant le pays de destination viole les articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire, enregistré le 19 novembre 2020, le préfet de la Côte d'Or conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés sont infondés.
Les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, par courrier du 4 novembre 2020, de ce que la cour était susceptible de soulever d'office un moyen d'ordre public tiré de l'irrecevabilité des conclusions tendant à l'annulation de la décision portant refus de titre de séjour, le litige soumis au magistrat désigné du tribunal administratif de Dijon n'ayant pas porté sur la légalité de cette décision.
Par une décision du 17 juin 2020, le bureau d'aide juridictionnelle a accordé l'aide juridictionnelle totale à M. D....
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E... C..., première conseillère ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A... D... relève appel du jugement du 2 mars 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Dijon, après avoir renvoyé à la formation collégiale les conclusions dirigées contre le refus de titre de séjour contenu dans l'arrêté du préfet de la Côte d'Or du 28 janvier 2020, a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de destination et lui faisant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
Sur la recevabilité des conclusions dirigées contre le refus de titre de séjour :
2. M. D... n'est pas recevable à présenter devant la cour, dans le cadre de l'appel formé contre le jugement attaqué, des conclusions dirigées contre le refus de titre de séjour dès lors que magistrat du tribunal administratif de Dijon n'a pas statué sur la légalité de cette décision.
Sur la légalité de l'arrêté du 28 janvier 2020 :
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
3. En premier lieu, si les obligations de quitter le territoire français des 7 décembre 2015 et 22 novembre 2016 dont a fait l'objet l'épouse du requérant ont été définitivement annulées par le tribunal administratif de Dijon, comme l'a relevé le jugement attaqué, Mme D... avait préalablement fait l'objet, le 16 février 2015, d'une première mesure d'éloignement consécutivement au rejet de sa demande d'asile. Mme D..., définitivement déboutée du droit d'asile, n'avait, à la date de la décision en litige, aucun droit au maintien sur le territoire français. Par suite, le préfet de la Côte d'Or n'a pas entaché l'arrêté en litige d'une inexactitude matérielle des faits en mentionnant que l'épouse du requérant est en situation irrégulière sur le territoire français et n'a aucun droit au séjour en France.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. - 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Enfin, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ".
5. M. D... est entré irrégulièrement en France le 26 mars 2013, selon ses déclarations, et n'a été autorisé à y résider qu'en raison des démarches qu'il a accomplies en vue d'obtenir le statut de réfugié. Sa demande d'asile et sa demande de réexamen à ce titre ont été rejetées, en dernier lieu par la Cour nationale du droit d'asile le 12 mai 2015. Il s'est maintenu sur le territoire national en méconnaissance d'une première obligation de quitter le territoire français prise à son encontre le 16 février 2015. Son épouse, ainsi qu'il a été dit, également déboutée de sa demande d'asile, n'a pas de droit au séjour en France. En l'absence d'obstacle avéré à ce que le couple poursuive sa vie privée et familiale hors de France avec leurs enfants nés en France en 2013 et en 2017, en dépit de leur scolarisation, le refus de titre de séjour opposé à M. D... ne méconnaît pas les stipulations citées au point précédent et n'est pas entaché d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences d'une telle décision sur la situation personnelle du requérant.
6. En troisième lieu, compte tenu de ce qui a été dit au point précédent, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de la Côte d'Or aurait commis une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui subordonnent l'octroi d'un titre de séjour sur ce fondement, à des considérations humanitaires ou des motifs exceptionnels.
7. En quatrième lieu, il résulte de ce qui est dit aux points 3 à 6 que M. D... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de la décision lui refusant la délivrance d'un titre de séjour à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision l'obligeant à quitter le territoire français.
8. En cinquième lieu, si le préfet de la Côte d'Or a relevé dans l'arrêté attaqué que M. D... est défavorablement connu des services de police pour avoir été mis en cause pour des faits de violence en réunion sans incapacité commis le 4 septembre 2014 à Etrochey, le préfet n'a pas fondé l'obligation de quitter le territoire français en litige sur cette considération. Le moyen tiré de l'irrégularité de la consultation du traitement d'antécédents judiciaires (TAJ) et du fichier des personnes recherchées ne saurait ainsi être utilement articulé contre la mesure d'éloignement en litige.
En ce qui concerne la décision refusant un délai de départ volontaire :
9. En premier lieu, compte tenu de ce qui a été dit ci-dessus, M. D... n'est pas fondé à invoquer, par voie d'exception, l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire français.
10. En deuxième lieu, pour les motifs énoncés au point 8, et dès lors que la décision de ne pas lui accorder de délai de départ volontaire ne se fonde pas davantage sur cette considération, le moyen tiré d'une consultation irrégulière du fichier du traitement des antécédents judiciaires ne peut qu'être écarté.
11. En troisième lieu, M. D..., qui s'est soustrait à l'exécution de la mesure d'éloignement du 16 février 2015, comme le retient l'arrêté attaqué, se trouvait dans le cas visé au d) du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile permettant, sauf circonstance particulière, de présumer établi le risque de soustraction à la mesure d'éloignement en litige. La situation du requérant ne révèle l'existence d'aucune circonstance particulière au regard de ces dispositions. Le moyen selon lequel le préfet de la Côte d'Or a fait une inexacte application des dispositions du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en refusant de lui accorder un délai de départ volontaire doit ainsi être écarté.
En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :
12. En premier lieu, M. D... soutient que le préfet de la Côte d'Or a fondé sa décision sur des éléments révélés par la consultation du traitement d'antécédents judiciaires (TAJ) et du fichier des personnes recherchées, sans avoir justifié de l'identité et de la qualité de l'agent qui a procédé à la consultation du TAJ ni avoir saisi pour complément d'information les services de la police nationale ou des unités de la gendarmerie nationale, ce qu'impose l'article R. 40-29 du code de procédure pénale lorsque le demandeur apparait dans le TAJ en qualité de "mis en cause".
13. Pour prononcer à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français, le préfet de la Côte d'Or, qui a procédé à l'examen de la situation du requérant au regard de l'ensemble des critères définis au III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a principalement relevé que son épouse n'a aucun droit au séjour sur le territoire français, que l'intéressé n'a pas exécuté l'obligation de quitter le territoire français du 16 février 2015, qu'il s'est volontairement maintenu en situation irrégulière sur le territoire français pendant plus de quatre années sans chercher à préparer son départ de France, qu'il n'apporte pas de preuves de sa présence en France depuis au moins cinq années. Dans ces conditions, et à supposer même que le préfet de la Côte d'Or aurait à tort opposé la menace pour l'ordre public que présenterait la présence de M. D... en France, il résulte de l'instruction qu'il aurait pris la même décision s'il ne s'était fondé que sur les autres critères énumérés par la loi.
14. En deuxième lieu, compte tenu notamment de ce qui a été dit au point 5, et en l'absence de circonstance humanitaire faisant obstacle à ce qu'une interdiction de retour sur le territoire soit prononcée à son encontre, M. D..., qui a déjà fait l'objet d'une mesure d'éloignement qu'il n'a pas exécutée, n'est pas fondé à soutenir que l'interdiction de retour sur le territoire français prononcée à son encontre, d'une durée d'une année, serait entachée d'une erreur d'appréciation.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
15. M. D... soutient qu'un retour au Kosovo l'exposerait, en vertu de la loi du kanun, à de graves menaces de représailles de la part de l'homme que Mme D... a refusé d'épouser. Toutefois, il n'établit pas, par son récit et les pièces produites, la réalité des faits allégués et l'existence de risques personnels et actuels en cas de retour dans le pays dont il possède la nationalité, alors qu'au demeurant, sa demande d'asile a été définitivement rejetée par les instances compétentes. Par suite, en désignant ce pays comme pays de renvoi, le préfet de la Côte d'Or n'a pas méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
16. Il résulte de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
17. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions de M. D..., n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction qu'il présente doivent être rejetées.
Sur les frais d'instance :
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il en soit fait application à l'encontre de l'Etat, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Côte d'Or.
Délibéré après l'audience du 8 décembre 2020 à laquelle siégeaient :
M. Daniel Josserand-Jaillet, président de chambre,
M. Thierry Besse, président-assesseur,
Mme E... C..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 janvier 2021.
N° 20LY01583
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N° 20LY01583