Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 12 novembre 2019, le préfet du Rhône demande à la cour d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 15 octobre 2019 et de rejeter la demande de M. B... et d'annuler en toute hypothèse la condamnation de l'Etat à verser la somme de 700 euros à M. B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative prononcée par le jugement en litige.
Il soutient que :
- contrairement à ce qu'a estimé le premier juge, le comportement de l'intimé est constitutif d'une menace à l'ordre public au sens du 3° de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- c'est à tort que le premier juge n'a pas substitué la base légale de la décision d'éloignement et a estimé que la situation de M. B... n'entrait pas dans le champ de l'article L. 121-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il ne ressort d'aucune pièce du dossier que l'intimé serait présent depuis moins de trois mois en France.
Par un mémoire en défense enregistré le 17 septembre 2020, M. B..., représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête ou, à défaut, à l'annulation de l'arrêté du 11 octobre 2019 portant obligation de quitter le territoire sans délai et interdiction de circulation sur le territoire français et à la mise à la charge de l'Etat d'une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il fait valoir que :
- les faits qui lui sont reprochés ne sont pas constitutifs d'une menace suffisamment grave et actuelle ; lors de son interpellation en 2019, il a été écroué en raison du jugement rendu par le tribunal correctionnel d'Annecy du 31 octobre 2016 qui n'avait pas pu être mis à exécution jusqu'alors du fait de son éloignement du territoire français ;
- la substitution de base légale demandée par le préfet n'est pas fondée ; il a déclaré lors de son audition être entré sur le territoire français en août 2019 pour effectuer les vendanges, soit moins de trois mois avant son interpellation et rien n'établit le contraire ; lors de son interpellation il travaillait aux vendanges, en conséquence, il n'est pas une charge déraisonnable au sens de l'article L. 121-4-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision lui faisant obligation de quitter le territoire est entachée d'une défaut d'examen et de motivation ;
- la décision refusant de lui accorder un délai de départ volontaire est insuffisamment motivée et méconnaît l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision lui interdisant la circulation sur le territoire français est insuffisamment motivée et est entachée d'erreur d'appréciation pour l'application de l'article L. 511-3-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; dans l'hypothèse où il serait fait droit à la demande de substitution de base légale présentée par le préfet, la décision est illégale car elle ne peut assortir une décision d'éloignement fondée sur le 1° de l'article L. 511-3-1.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 16 septembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la directive 2004/38/CE du 29 avril 2004 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu, au cours de l'audience publique, le rapport de Mme D..., première conseillère ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., ressortissant hongrois né le 15 février 1965, a fait l'objet d'un arrêté du 11 octobre 2019, notifié le jour suivant, par lequel le préfet du Rhône l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office, lui a interdit la circulation sur le territoire français pour une durée d'un an et l'a placé en rétention. Cet arrêté a été, à la demande de M. B..., annulé par jugement de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lyon du 15 octobre 2019, dont le préfet du Rhône relève appel.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger un ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne (...) à quitter le territoire français lorsqu'elle constate : / (...) 3° Ou que son comportement personnel constitue, du point de vue de l'ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société. / L'autorité administrative compétente tient compte de l'ensemble des circonstances relatives à sa situation, notamment la durée du séjour de l'intéressé en France, son âge, son état de santé, sa situation familiale et économique, son intégration sociale et culturelle en France, et de l'intensité de ses liens avec son pays d'origine. / L'étranger dispose, pour satisfaire à l'obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, d'un délai qui, sauf urgence, ne peut être inférieur à trente jours à compter de sa notification. (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'il appartient à l'autorité administrative, qui ne saurait se fonder sur la seule existence d'une infraction à la loi, d'examiner, d'après l'ensemble des circonstances de l'affaire, si la présence de l'intéressé sur le territoire français est de nature à constituer une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française, ces conditions étant appréciées en fonction de sa situation individuelle, notamment de la durée de son séjour en France, de sa situation familiale et économique et de son intégration.
3. Pour annuler la décision portant obligation de quitter le territoire français attaquée, la magistrate désignée a considéré que le comportement de M. B... ne constituait pas une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société dès lors que les faits sur lesquels le préfet du Rhône s'est fondé pour prendre la décision attaquée sont relativement anciens et que l'intéressé n'a pas récidivé depuis.
4. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a été condamné en mars 2015 par le tribunal correctionnel de Paris à une peine d'emprisonnement de douze mois pour des faits de violence avec usage ou menace d'une arme sans incapacité, puis par le tribunal correctionnel d'Annecy à une peine d'emprisonnement d'un mois en mars 2016 pour des faits d'outrage à agent assermenté habilité à constater les infractions à la police ou à la sûreté des transports publics de personnes et outrage à une personne dépositaire de l'autorité publique, peine qu'il n'a exécutée, du 19 septembre au 11 octobre 2019, qu'après avoir été interpellé sur le territoire français. Eu égard à la gravité et au caractère répété des agissements de l'intéressé, quand bien même il n'aurait pas commis d'infraction entre 2016 et 2019, période pendant laquelle, selon ses propres déclarations, il a vécu dans d'autres pays européens et en Hongrie après avoir exécuté une décision d'éloignement du territoire français prise à son encontre, et alors que M. B... n'a aucune attache familiale en France, le préfet du Rhône n'a pas fait une inexacte application des dispositions citées au point 2 en l'obligeant à quitter le territoire français.
5. Il en résulte que le préfet du Rhône est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon a annulé son arrêté du 11 octobre 2019. Il convient d'examiner les autres moyens de M. B... présentés tant en première instance qu'en appel au titre de l'effet dévolutif.
En ce qui concerne la compétence du signataire des décisions en litige :
6. Les décisions contestées ont été signées par M. F... G..., sous-préfet, directeur de cabinet du préfet de la région Auvergne-Rhône-Alpes, qui disposait d'une délégation de signature consentie à cet effet par un arrêté du 28 août 2019 publié au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture du Rhône du 26 septembre 2019.
En ce qui concerne le défaut de motivation et d'examen particulier :
7. La décision d'obligation de quitter le territoire français, de même que celles refusant un délai de départ volontaire et prescrivant une interdiction de retour d'un an comportent l'ensemble des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement et traduisent un examen circonstancié de la situation de M. B.... Par suite, les moyens tirés de l'insuffisance de motivation et du défaut d'examen particulier dirigés contre les décisions composant l'arrêté en litige doivent être écartés.
En ce qui concerne l'absence de délai de départ volontaire :
8. M. B... fait valoir que les faits qui sont reprochés ne sont pas suffisamment graves pour justifier l'urgence à l'éloigner. Toutefois, compte tenu de ce qui a été dit au point 4 c'est sans erreur d'appréciation et sans méconnaître les dispositions citées au point 2 ci-dessus que le préfet a estimé que l'intéressé pouvait, à la date des décisions en litige, être éloigné sans délai sur le fondement du 3° de l'article L. 511-1-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
En ce qui concerne l'interdiction de circulation sur le territoire français :
9. Aux termes de l'article L. 511-3-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut, par décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français prononcée en application des 2° et 3° de l'article L. 511-3-1 d'une interdiction de circulation sur le territoire français d'une durée maximale de trois ans (...) ".
10. Pour contester l'appréciation du préfet, M. B... se prévaut de la méconnaissance de l'article 45 de la Charte européenne des droits fondamentaux et de l'article 27 de la directive du 29 avril 2004 ainsi que de l'erreur d'appréciation entachant cette décision.
11. En se bornant à soutenir que les faits évoqués sont insuffisants pour caractériser une menace à l'ordre public, M. B... ne démontre pas que le préfet du Rhône, qui, ainsi qu'il a été dit au point 4, a tenu compte de l'ensemble de sa situation privée et familiale ainsi que de ses différentes condamnations, aurait entaché sa décision d'une erreur d'appréciation en fixant la durée de l'interdiction de circulation sur le territoire prononcée à son encontre à un an, ni, en tout état de cause, qu'il aurait méconnu la législation européenne précitée, celle-ci prévoyant d'ailleurs la possibilité de restreindre la liberté de circulation et de séjour d'un citoyen de l'Union pour des raisons d'ordre public et de sécurité publique.
12. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Rhône est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon a annulé les décisions contenues dans l'arrêté du 11 octobre 2019 et est fondé à demander le rejet des conclusions à fin d'annulation de M. B... dirigées contre son arrêté du 11 octobre 2019 ainsi que celles mettant à la charge de l'Etat la somme de 700 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Sur les frais d'instance :
13. Les conclusions de M. B... tendant à l'application, au bénéfice de son avocat, des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées par voie de conséquence.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 15 octobre 2019 du tribunal administratif de Lyon est annulé.
Article 2 : La demande de M. B... ainsi que ses conclusions présentées en appel sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... B....
Copie en sera adressée au préfet du Rhône ainsi qu'à Me C..., avocat de M. B....
Délibéré après l'audience du 22 septembre 2020 à laquelle siégeaient :
M. François Pourny, président ;
M. Thierry Besse, président-assesseur ;
Mme E... D..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 13 octobre 2020.
2
N° 19LY04091
fp