Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 16 octobre 2020, le préfet de l'Isère demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble du 18 septembre 2020 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... D... devant ce tribunal.
Il soutient que :
- c'est à tort que le premier juge a estimé que le comportement de l'intéressé ne constituait pas une menace réelle et actuelle à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société, eu égard notamment à la gravité et à la réitération des troubles commis, alors même que l'intéressé n'a fait l'objet que d'une condamnation pénale ;
- l'obligation de quitter le territoire français ne méconnaît pas le 6° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que l'intéressé ne justifie pas participer effectivement à l'entretien et à l'éducation de son enfant, né le 20 avril 2016, dans les conditions fixées par le code civil depuis la naissance de son enfant ou depuis au moins deux ans ;
- l'obligation de quitter le territoire français ne méconnaît pas les stipulations des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- l'urgence à éloigner l'intéressé justifie qu'aucun délai de départ volontaire ne lui soit accordé ;
- l'absence de délai de départ volontaire ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;
- l'interdiction de circulation sur le territoire français est légalement justifiée compte tenu du comportement de l'intéressé et ne porte pas une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale.
Par un mémoire, enregistré le 15 avril 2021, M. G... A... D..., représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête et demande qu'une somme de 1 200 euros soit mise à la charge de l'Etat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le motif d'annulation retenu par le tribunal tiré de la violation de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être confirmé ; l'obligation de quitter le territoire français n'a pas respecté le principe de proportionnalité ; son comportement ne constitue pas une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pouvant justifier son éloignement ;
- l'obligation de quitter le territoire français viole l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; il est protégé d'une mesure d'éloignement en sa qualité de parent d'enfant français ;
- cette décision viole l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ; elle est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision refusant un délai de départ volontaire n'est pas motivée ; elle procède d'un défaut d'examen de sa situation ;
- la décision fixant le pays de destination est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- l'interdiction de circulation sur le territoire français est entachée d'une erreur d'appréciation.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention des Nations-Unies sur les droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
La présidente de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme F... E..., première conseillère ;
Considérant ce qui suit :
1. Le préfet de l'Isère relève appel du jugement du 18 septembre 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé son arrêté du 8 septembre 2020 faisant obligation à M. A... D... de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de destination et prononçant à son encontre une interdiction de circulation sur le territoire français pour une durée de trois ans.
En ce qui concerne le motif d'annulation retenu par le premier juge :
2. Aux termes de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " L'autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger un ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne (...) à quitter le territoire français lorsqu'elle constate : / (...) 3° Ou que son comportement personnel constitue, du point de vue de l'ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société. / L'autorité administrative compétente tient compte de l'ensemble des circonstances relatives à sa situation, notamment la durée du séjour de l'intéressé en France, son âge, son état de santé, sa situation familiale et économique, son intégration sociale et culturelle en France, et de l'intensité de ses liens avec son pays d'origine. ".
3. M. A... D..., ressortissant portugais entré en France en 2008, selon ses déclarations, a été écroué au centre pénitentiaire de Grenoble-Varces du 8 février 2019 au 27 juin 2019 puis à compter du 28 mai 2020 pour des faits commis en récidive le 27 août 2013 de violence avec usage ou menace d'une arme suivie d'incapacité supérieure à huit jours pour lesquels il a été condamné par la Cour d'appel de Grenoble, le 1er février 2018 à vingt-quatre mois d'emprisonnement dont dix-huit mois avec sursis. M. A... D..., qui a déclaré être célibataire au cours de son audition du 7 septembre 2020 et résider chez sa tante, est séparé de sa concubine ainsi qu'il résulte du jugement du juge aux affaires familiales du 14 mars 2019 produit en première instance. Il n'établit pas la continuité de leur relation ni, par la production d'une photographie, l'attestation de cette dernière et de celle de sa tante, entretenir des relations suivies avec son fils B..., de nationalité française, né en 2016 ou contribuer, malgré la pension alimentaire mise à sa charge par le jugement précité, à son entretien et son éducation. Dans ces conditions, eu égard à la gravité des agissements de l'intéressé, commis en récidive, quand bien même il n'a fait l'objet que d'une seule condamnation pénale et qu'il n'aurait pas, malgré les nombreuses interpellations dont il a fait l'objet, commis d'autres infractions, le préfet de l'Isère n'a pas commis d'erreur d'appréciation en estimant que la présence en France de M. A... D... constitue une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour la sécurité publique, qui justifie l'obligation de quitter le territoire français prise sur le fondement des dispositions citées au point précédent.
4. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. A... D....
En ce qui concerne les autres moyens :
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
5. Contrairement à ce qu'a soutenu M. A... D... devant le tribunal, l'arrêté attaqué indique les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement et est, dès lors, régulièrement motivé.
6. Il ressort des pièces du dossier, en particulier du procès-verbal d'audition du 7 septembre 2020 au vu duquel l'arrêté critiqué a été pris, que M. A... D... a été mis à même de faire valoir les éléments pouvant faire obstacle à ce qu'une mesure d'éloignement soit prise à son encontre. Dans ces conditions, l'intéressé n'est pas fondé à soutenir que l'obligation de quitter le territoire français a été prise en méconnaissance du droit d'être entendu qu'il tient des principes généraux du droit de l'Union européenne.
7. Pour les motifs exposés au point 3, la décision contestée ne porte pas au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale, tel que protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise, ni ne méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant. Elle n'est pas entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de M. A... D... qui n'est pas davantage fondé à soutenir qu'il serait protégé d'une mesure d'éloignement en application du 6° alors en vigueur de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une telle protection étant subordonnée à la contribution effective du requérant à l'entretien et à l'éducation de son enfant français.
Sur la décision le privant de délai de départ volontaire :
8. Aux termes du 6ème alinéa de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur : " L'étranger dispose, pour satisfaire à l'obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, d'un délai qui, sauf urgence, ne peut être inférieur à trente jours à compter de sa notification. A titre exceptionnel, l'autorité administrative peut accorder un délai de départ volontaire supérieur à trente jours. ".
9. L'arrêté attaqué vise l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et indique qu'en raison de la menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour la sécurité publique que représente M. A... D..., il ne dispose pas d'un délai de départ pour quitter le territoire français. La décision lui refusant un délai de départ volontaire est par suite, suffisamment motivée.
10. Compte tenu de ce qui a été dit au point 3, le préfet, dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il se serait estimé en situation de compétence liée, n'a pas commis d'erreur d'appréciation en estimant qu'il y avait urgence à éloigner M. A... D... et refuser ainsi de lui accorder un délai de départ volontaire.
Sur la décision fixant le pays de destination :
11. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que la décision fixant le pays de destination devrait être annulée en conséquence de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ne peut qu'être écarté.
12. Pour les motifs exposés au point 3, le moyen selon lequel la décision fixant le pays de destination serait entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de M. A... D... doit être écarté.
Sur l'interdiction de circuler sur le territoire français :
Sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens dirigés contre cette décision :
13. Aux termes de l'article L. 511-3-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur : " L'autorité administrative peut, par décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français prononcée en application des 2° et 3° de l'article L. 511-3-1 d'une interdiction de circulation sur le territoire français d'une durée maximale de trois ans. (...) Les quatre derniers alinéas de l'article L. 511-3-1 sont applicables. ". Aux termes du cinquième aliéna de l'article L. 511-3-1 du même code alors en vigueur : " L'autorité administrative compétente tient compte de l'ensemble des circonstances relatives à sa situation, notamment la durée du séjour de l'intéressé en France, son âge, son état de santé, sa situation familiale et économique, son intégration sociale et culturelle en France, et de l'intensité de ses liens avec son pays d'origine (...) ".
14. Le juge aux affaires familiales, dans son jugement du 14 mars 2019 cité au point 3, constate que l'autorité parentale sur B... est exercée conjointement par les deux parents, et fixe au bénéfice du requérant un droit de visite et d'hébergement un week-end par mois. L'interdiction de circuler sur le territoire français prononcée à l'encontre de M. A... D... fait directement obstacle à ce que le requérant puisse exercer les droits que lui a accordé le juge aux affaires familiales pendant une durée de trois ans, qui est la durée maximale autorisée par les dispositions citées au point précédent. Dans ces circonstances, cette décision procède d'une inexacte application de l'article L. 511-3-2 alors en vigueur du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
15. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de l'Isère est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé l'obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire et la décision fixant le pays de destination contenues dans son arrêté du 8 septembre 2020.
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative en première instance :
16. Compte tenu de ce qui a été dit au point 14 et de l'annulation de l'interdiction de circuler sur le territoire français, le préfet de l'Isère n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le premier juge a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 800 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Sur les frais liés à l'instance d'appel :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie principalement perdante, la somme que M. A... D... demande au titre des frais non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble du 18 septembre 2020 est annulé en tant qu'il a annulé l'obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire et la décision fixant le pays de destination contenues dans l'arrêté du préfet de l'Isère du 8 septembre 2020.
Article 2 : Les conclusions de la demande de M. A... D... devant le tribunal administratif de Grenoble, dirigées contre l'obligation de quitter le territoire français, le refus de délai de départ volontaire et la décision fixant le pays de destination sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions des parties sont rejetées pour le surplus.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. G... A... D... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 27 avril 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Danièle Déal, présidente de chambre,
M. Thierry Besse, président-assesseur,
Mme F... E..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 mai 2021.
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N° 20LY02982