Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 9 mai 2017, la commune de Magland représentée par la SELAS Adamas Affaires publiques, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 27 octobre 2016 ;
2) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 386 135,58 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 13 juin 2014, capitalisés dans les conditions prévues par le code civil ;
3) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que l'Etat s'est opposé à l'urbanisation du secteur du Clos de l'Ile sur la base des premiers résultats d'une étude de la société Egis, dès lors que ces résultats, basés sur des calculs ayant pour effet de faire monter artificiellement le niveau des crues de l'Arve, ont été contredits par une étude postérieure de la société Sogreah ;
- la position contradictoire et le revirement brutal des services de l'Etat sur l'appréciation du risque d'inondation sont à l'origine d'une faute de l'Etat ; en effet, le secteur du Clos de L'Ile a été classé en zone d'urbanisation future, où l'urbanisation s'est développée avec l'accord des services de l'Etat, qui n'ont formulé aucune remarque lors de la délivrance d'autorisations d'urbanisme dans ce secteur, ni lors de la délivrance du permis d'aménager le lotissement délivré en 2008 ; les services de l'Etat ont participé à l'instruction du permis d'aménager ainsi que des permis de construire dans le secteur et ont proposé une attestation de non-contestation de conformité signée le 23 novembre 2009 à l'issue des travaux de viabilisation du lotissement ; l'Etat a commis une faute en ne décelant pas le risque d'inondation dès la délivrance du permis d'aménager ; en effet, il incombe à l'Etat d'évaluer le risque d'inondation et d'actualiser le PPR en fonction de sa connaissance du risque ; la circonstance que l'Etat n'ait pas été en mesure d'évaluer correctement le risque d'inondation avant 2011 ne peut qu'aggraver sa responsabilité ;
- la position contradictoire des services de l'Etat sur la nécessité de réaliser les travaux prescrits par le plan de prévention des risques (PPR) de 1997 caractérise une faute ; en effet, les services de l'Etat ont admis que ces travaux ne présentaient aucune utilité pour prévenir les inondations dues aux crues de l'Arve et ont accepté qu'ils ne soient pas réalisés par le syndicat mixte d'aménagement de l'Arve et de ses abords jusqu'à la révision du plan de prévention des risques ; ces mesures, coûteuses et inefficaces, n'étaient pas opposables à la commune et n'auraient jamais du être maintenues en l'état dans le PPR ;
- la responsabilité sans faute de l'Etat pour rupture d'égalité devant les charges publiques peut être engagée ; par son comportement, l'administration a laissé croire à la réalisation du projet pour finalement s'y opposer ; en l'espèce, le comportement de l'Etat a causé à la commune un préjudice anormal et spécial ;
- le préjudice subi s'établit à 442 089,01 euros au titre les dépenses engagées en pure perte par la commune pour la réalisation du lotissement, à 11 278,28 euros au titre des frais d'études pour l'évaluation du risque inondation propres au lotissement, à 11 915 euros au titre des frais divers pour la gestion des dossiers relatifs au lotissement du Clos de l'Ile, à 16 632,96 euros au titre des frais d'avocat pour les instances ayant conduit à l'annulation des permis de construire, à 306 448,03 euros au titre du capital emprunté et des frais financiers de l'emprunt, à 561 330 euros au titre du manque à gagner sur la commercialisation des lots et à 36 035 euros au titre du manque à gagner sur les taxes à percevoir sur la vente des lots et la réalisation des opérations de construction.
Par un mémoire enregistré le 26 juillet 2018, le ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales conclut au rejet de la requête.
Il renvoie aux écritures présentées en première instance par le préfet de la Haute-Savoie et fait valoir que :
- la commune ne saurait remettre en cause la réalité du risque d'inondation qui a été reconnu par deux jugements devenus définitifs du tribunal administratif de Grenoble et qui ressort de l'étude réalisée par la société Egis-Eau ;
- l'Etat n'a pas adopté de position contradictoire ou changé brutalement d'attitude sur l'existence d'un risque d'inondation mais a modifié son appréciation de ce risque dans le secteur en fonction des données scientifiques dont il disposait ;
- la commune était, en sa qualité de membre du syndicat mixte d'aménagement de l'Arve et de ses abords, parfaitement informée du lancement d'une étude portant sur le champ d'expansion des crues de l'Arve et ne pouvait ignorer la réalité du risque d'inondation dans le secteur du Clos de l'Ile ;
- la commune n'établit pas le caractère anormal et spécial de son préjudice et ne pouvait ignorer le risque d'inondation dès la délivrance du permis d'aménager car elle était informée par le syndicat mixte d'aménagement de l'Arve et de ses abords des études en cours sur le risque d'inondation.
La clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 31 août 2018 par une ordonnance du 30 juillet 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'environnement ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Christine Psilakis, premier conseiller ;
- les conclusions de Mme Véronique Vaccaro-Planchet, rapporteur public ;
- et les observations de Me A... pour la commune de Magland ;
Considérant ce qui suit :
1. Le 10 décembre 2008, le maire de Magland a délivré à cette commune un permis d'aménager pour la réalisation d'un lotissement comportant huit lots au lieudit le Clos de l'Ile. Le 16 juin 2010, il a délivré six permis de construire pour l'édification de maisons individuelles sur ces lots, dont cinq ont été déférés à fin d'annulation au tribunal administratif de Grenoble par le préfet de la Haute-Savoie. Plusieurs bénéficiaires des permis de construire en ont alors demandé le retrait et par des jugements du 31 juillet 2013 devenus définitifs, le tribunal a annulé deux permis de construire au motif qu'ils avaient été délivrés en méconnaissance des prescriptions du plan de prévention des risques naturels prévisibles et qu'ils étaient entachés d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme. Estimant que les services de l'Etat ont commis des agissements fautifs lui ayant causé un préjudice correspondant aux frais qu'elle a engagés pour l'opération et au manque à gagner sur la vente des terrains et les taxes qu'elle aurait dû percevoir, la commune de Magland a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 386 135,58 euros en réparation de ses préjudices. La commune de Magland relève appel du jugement du tribunal administratif de Grenoble ayant rejeté cette demande.
Sur la responsabilité de l'Etat :
En ce qui concerne la responsabilité sans faute :
2. La commune de Magland recherche la responsabilité sans faute de l'Etat pour rupture d'égalité devant les charges publiques en faisant valoir que le comportement de l'administration est à l'origine d'un préjudice anormal et spécial.
3. La responsabilité de la puissance publique peut se trouver engagée, même sans faute, sur le fondement du principe de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, au cas où une mesure légalement prise a pour effet d'entraîner au détriment d'une personne physique ou morale un préjudice anormal et spécial.
4. En l'espèce, il résulte de l'instruction que le préfet de la Haute-Savoie a déféré et obtenu l'annulation ou le retrait des permis de construire délivrés sur le lotissement du Clos de l'Ile après que des études techniques ont montré une aggravation des risques d'inondation dans ce secteur, lequel était déjà identifié dans le PPRI issu de l'arrêté du 2 avril 1997 comme un secteur où la constructibilité était conditionnée à la réalisation de mesures de protection préventives. L'impossibilité pour la commune de Magland de réaliser son projet de lotissement ne présente pas le caractère d'un préjudice anormal et spécial, dès lors que le risque de crue auquel le lotissement est exposé préexistait, qu'il devait être réévalué régulièrement et pouvait amener l'Etat à s'opposer à de nouvelles constructions dans le secteur pour des motifs de sécurité publique liés à son aggravation. Il suit de là que la commune de Magland n'est pas fondée à rechercher la responsabilité sans faute de l'Etat.
En ce qui concerne la responsabilité pour faute :
5. La commune requérante recherche la responsabilité pour faute de l'Etat au motif que les services de l'Etat, notamment le préfet, auraient opéré, à ses dépens, un revirement brutal de position sur l'appréciation du risque d'inondation dans le secteur du Clos de l'Ile et sur la nécessité de procéder aux travaux de sécurisation prescrits par le PPRI de 1997.
6. Il résulte toutefois de l'instruction que depuis l'adoption du PPRI en 1997 par les services de l'Etat, le syndicat mixte d'aménagement de l'Arve et de ses abords a engagé des études dès l'année 2007, afin de parfaire la connaissance du risque d'inondation dans le secteur, dont les premiers résultats ont conclu à une aggravation de ce risque. La commune de Magland, qui est membre de ce syndicat ne pouvait ignorer l'existence de ces études. Si par courrier du 23 mai 2012, le préfet de la Haute-Savoie a accepté que le syndicat mixte d'aménagement de l'Arve et de ses abords ne réalise pas la totalité des aménagements prescrits par le PPRI de 1997 pour la protection du secteur du Clos de l'Ile, il a conditionné aux résultats définitifs des études en cours la construction ultérieure d'ouvrages plus adaptés. Par ailleurs, l'aggravation du risque d'inondation lié aux crues de l'Arve, qui a d'ailleurs été l'un des motifs pour lesquels les permis de construire délivrés au sein du lotissement ont été annulés par des jugements du tribunal administratif de Grenoble du 31 juillet 2013 devenus définitifs, ne saurait être remise en cause sur la base d'une seule étude commandée par la commune. En outre, la circonstance que l'Etat n'a pas déféré au contrôle de légalité le permis d'aménager concernant le lotissement délivré en 2008 par la commune ou d'autres permis de construire délivrés entre 2008 et 2010, n'est pas de nature à traduire une incohérence, dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que, à cette période, les services de l'Etat avaient connaissance du risque aggravé d'inondation tel qu'il a été identifié ultérieurement. Enfin, en se bornant à soutenir que l'Etat aurait activement encouragé l'aménagement du secteur du Clos de L'Ile, la commune n'établit pas un comportement fautif, alors qu'elle avait la qualité de maître d'ouvrage et d'autorité délivrant les permis pour les projets de lotissement et de construction dans le secteur. Dans ces conditions, la commune n'apparaît pas fondée à soutenir que le comportement des services de l'Etat caractérise un brusque revirement ou une incohérence constitutifs d'une faute.
7. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la commune de Magland n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande d'indemnisation.
Sur les frais liés au litige :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme que la commune de Magland demande au titre des frais qu'elle a exposés soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie perdante.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la commune de Magland est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Magland et au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Savoie.
Délibéré après l'audience du 12 mars 2019 à laquelle siégeaient :
- M. Yves Boucher, président de chambre ;
- M. Antoine Gille, président-assesseur ;
- Mme Christine Psilakis, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 2 avril 2019.
La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Savoie en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 17LY01910
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