Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés le 9 janvier 2017, le 19 mai 2017 et le 28 mars 2018, ce dernier n'ayant pas été communiqué, M. E... B..., représenté par la SCP Foussard-Froger, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 31 octobre 2016 ;
2°) de condamner la commune de Talloires à lui verser une indemnité de 874 284,56 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la réception de sa réclamation préalable et de la capitalisation de ces intérêts ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Talloires la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier dès lors que la minute n'a pas été signée en méconnaissance de l'article R. 741-7 du code de justice administrative et qu'il est insuffisamment motivé faute d'exposer les raisons pour lesquelles les préjudices invoqués ne présentent pas de lien direct avec les fautes de la commune de Talloires ;
- la commune de Talloires a commis une faute de nature à engager sa responsabilité en opposant un premier refus de permis de construire et en incitant la société Zenetrgie, dont il est l'associé et le gérant, à persévérer dans son projet ; il n'avait pas à assumer le risque d'un second refus de permis de construire alors que le maire l'a incité à poursuivre son projet de 2007 à 2009 et on ne peut davantage lui opposer qu'il connaissait le risque lié à l'application de la loi sur la protection du littoral qui est d'application délicate et sur le fondement de laquelle le maire n'avait jamais refusé un refus de permis de construire ;
- le maire, en délivrant le certificat positif et deux refus de permis de construire a eu à son égard un comportement discriminatoire et entaché de détournement de pouvoir ;
- c'est à tort que le jugement a écarté son préjudice moral aux motifs qu'il aurait acquis une renommée internationale grâce au projet en cause et qu'il ne pouvait ignorer les risques encourus au regard de la loi de protection du littoral ;
- ses divers préjudices sont en lien direct avec l'illégalité fautive du certificat d'urbanisme du 9 mai 2007 sans que la société Zenetrgie créée pour porter le projet, puisse faire écran ;
- il a subi de multiples préjudices du fait des fautes de la commune ; son investissement personnel équivaut à des prestations intellectuelles engagées en pure perte qui peuvent être évaluées à un montant global de 200 750 euros ; il a avancé des frais d'architecte et les frais de formation au logiciel PHPP pour des montants respectifs de 2 000 et 500 euros sur ses deniers personnels dans l'attente de la création de la société Zenetrgie ; il a perdu le capital investi dans la société Zenetrgie à hauteur de son compte-courant d'associé pour un montant de 36 056,77 euros ainsi qu'une créance de 55 600 euros investie dans la société DDLP Structures Bois dont la viabilité dépendait de la réalisation du projet d'éco-hameau ; la non-commercialisation des constructions projetées représente une perte financière estimée à 343 124,50 euros ; l'échec du projet d'éco-hameau a engendré un manque à gagner en droits d'auteur pour un montant estimé à 46 600 euros ; l'échec du projet d'éco-hameau lui a causé un préjudice moral et professionnel dont il demande l'indemnisation à hauteur de 188 860 euros.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 1er février 2017.
Par un mémoire en défense et un mémoire complémentaire enregistrés le 4 août 2017 et le 3 novembre 2017, la commune nouvelle de Talloires-Montmin, représentée par CLDAA avocats, conclut au rejet de la requête et demande qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- malgré sa qualité d'associé et de gérant de la société Zenetrgie au bénéfice de laquelle a été transféré le certificat d'urbanisme illégal du 9 mai 2007, M. B... ne peut se prévaloir d'aucune faute de la commune de Talloires à son égard, la société, en sa qualité de pétitionnaire, faisant écran avec les associés qui la composent ;
- la société Zenetrgie a été indemnisée par un arrêt revêtu de l'autorité de la chose jugée n° 12LY02906 du 11 juin 2013 pour les agissements fautifs de la commune de Talloires qui a délivré un certificat d'urbanisme positif illégal en date du 9 mai 2007 ; toutefois aucune faute du maire de Talloires n'a été reconnue s'agissant des refus de permis de construire des 20 mars et 16 septembre 2009 ;
- à titre subsidiaire, la faute de M. B... est exclusive de toute responsabilité de la commune de Talloires.
La clôture de l'instruction a été fixée au 3 avril 2018 par une ordonnance du 14 mars 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Christine Psilakis, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Véronique Vaccaro-Planchet, rapporteur public,
- et les observations de Me D... pour M. B..., ainsi que celles de Me A... pour la commune de Talloires-Montmin ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B... relève appel du jugement du 31 octobre 2016 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande indemnitaire dirigée contre la commune de Talloires et tendant à la réparation de divers préjudices qu'il impute aux fautes commises par le maire de cette commune en délivrant un certificat d'urbanisme positif à Mme C..., avec laquelle il s'est associé au sein de la SARL Zenetnergie, pour la réalisation d'un projet de construction de deux ou trois bâtiments d'habitation d'environ 150 m² de surface hors oeuvre nette chacun sur un tènement de 4 079 m² au lieu-dit La Sauffaz, puis en opposant deux refus à des demandes de permis de construire présentées par la SARL Zenetnergie pour la réalisation de quatre maisons individuelles pour une surface hors-oeuvre nette totale de 663 m² sur le même tènement.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier de première instance que la minute du jugement attaqué est signée, conformément aux dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative, par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience.
3. En second lieu, il ressort des motifs de leur jugement que les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à tous les arguments du requérant, ont indiqué, de manière suffisante, ainsi que l'exige l'article L. 9 du code de justice administrative, les raisons pour lesquelles ils ont écarté l'existence d'un lien de causalité direct entre la faute qu'il ont retenue et certains des préjudices invoqués par le requérant.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne les fautes commises par la commune de Talloires :
4. Il résulte de l'instruction que M. B... est associé et gérant de la SARL Zenetrgie, qui avait pour projet d'édifier au lieudit La Sauffaz, sur le territoire de la commune de Talloires, riveraine du lac d'Annecy, un ensemble de chalets répondant aux critères de la "construction passive", à très faible consommation énergétique. Mme C..., le second associé, a obtenu le 9 mai 2007 un certificat d'urbanisme positif concernant l'utilisation des parcelles cadastrées D 67, D 72, D 92, D 93 et D 94 pour la réalisation de trois maisons passives. Toutefois, par arrêté du 20 mars 2009, le maire de Talloires a refusé une première fois le permis de construire sollicité par la SARL Zenetrgie en vue de l'édification de quatre maisons, pour des motifs tirés de l'atteinte portée à l'intérêt des lieux avoisinants et de la contrariété des toitures aux prescriptions du règlement du plan d'occupation des sols. En dépit des modifications apportées au projet, un second refus de permis de construire a été opposé à la SARL Zenetrgie par arrêté du 16 septembre 2009, fondé cette fois sur les dispositions des articles L. 146-4 et R. 111-21 du code de l'urbanisme relatives respectivement à l'extension de l'urbanisation dans les communes littorales et à la protection des paysages. Par un arrêt n° 12LY02906 du 11 juin 2013, la cour administrative d'appel de Lyon a jugé que l'illégalité du certificat d'urbanisme délivré le 9 mai 2007 à Mme C... était constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de la commune de Talloires à l'égard de la SARL Zenetrgie et, sur ce fondement, a condamné la commune à indemniser cette société à hauteur de 61 123,24 euros au titre de divers frais exposés en vain pour la conception du projet.
5. En premier lieu, l'arrêt de la cour du 11 juin 2013 a constaté l'illégalité du certificat d'urbanisme délivré le 9 mai 2007 à Mme C.... Cette illégalité constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la commune de Talloires à l'égard de M. B..., associé et gérant de la SARL Zenetrgie.
6. En deuxième lieu, M. B... fait également valoir que le maire de Talloires a fortement encouragé le projet dont était porteuse la société Zenetrgie et qu'en opposant au projet deux refus de permis de construire fondés sur les dispositions des articles L. 146-4 et R. 111-21 du code de l'urbanisme qui n'avaient jamais été mentionnées auparavant, le maire a commis une faute de nature à engager la responsabilité de la commune. Toutefois, hormis la délivrance du certificat d'urbanisme illégal du 9 mai 2007, il ne résulte pas de l'instruction que la commune de Talloires ait donné d'autres assurances au requérant quant à la réalisation de son projet. En particulier, il ne résulte pas de l'instruction que le maire se serait engagé à délivrer un permis de construire, même s'il a pu manifester un certain intérêt pour le projet en recevant M. B... en mairie pour sa présentation.
7. En troisième lieu, M. B... fait également valoir que les deux refus de permis de construire caractérisent un détournement de pouvoir et un traitement discriminatoire au motif que le maire a opposé au projet les dispositions des articles L. 146-4 et R. 111-21 du code de l'urbanisme dont il n'avait jamais fait état auparavant et qu'il n'a pas opposées à d'autres projets réalisés à proximité. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction, ainsi que l'a d'ailleurs déjà relevé la cour dans son arrêt du 11 juin 2013, que ces refus, fondés légalement sur des dispositions légales et réglementaires relatives à la protection du paysage et du littoral, visaient en réalité à faire échec au projet spécifique de la SARL Zenetrgie et de ses associés pour des motifs étrangers à toute considération d'urbanisme.
8. Il résulte ainsi de ce qui est dit aux points 4 à 7 ci-dessus que seule l'illégalité du certificat d'urbanisme positif du 9 mai 2007 est susceptible d'engager la responsabilité pour faute de la commune de Talloires.
En ce qui concerne les préjudices invoqués par M. B... :
9. L'actionnaire ou le gérant d'une société à l'égard de laquelle une personne publique a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ne peut prétendre à une indemnisation que s'il justifie d'un préjudice personnel, distinct du préjudice dont la société pourrait obtenir réparation et directement imputable à la faute commise.
10. En premier lieu, il résulte de l'instruction que les préjudices allégués par M. B..., en sa qualité d'associé et gérant de la SARL Zenetrgie pour être indemnisé des frais d'architecte et de formation qu'il a avancés à cette société alors en cours de constitution, ainsi que la perte du capital investi dans le compte courant d'associé de cette société, n'ont pu résulter que des relations entre M. B... et la société. Ainsi, le requérant n'est pas fondé à demander réparation de ces préjudices qui sont dépourvus de lien direct avec la faute commise par la commune de Talloires, à supposer même que les frais en cause ne recouvrent pas en partie ceux dont la société a obtenu l'indemnisation par l'arrêt de la cour du 11 juin 2013.
11. En deuxième lieu, il ressort des statuts de la SARL Zenetrgie que la société avait pour objet social une activité débordant le cadre strict du projet d'éco-hameau de Talloires. Alors que le projet d'éco-hameau a donné lieu à des frais d'études et d'architectes spécifiques, le requérant n'est pas fondé à demander à être indemnisé de prestations intellectuelles au titre du temps qu'il a passé entre 2007 et 2010 sur les techniques de construction de maisons passives et pour lesquelles il allègue n'avoir pas été rémunéré, dès lors que ces prestations, distinctes des études pour lesquelles la SARL a déjà été indemnisée, ne peuvent être regardées comme ayant été réalisées pour les seuls besoins du projet d'éco-hameau de Talloires ni comme présentant un lien suffisamment direct avec l'illégalité du certificat d'urbanisme du 9 mai 2007, alors même que les techniques en cause avaient vocation à être mises en oeuvre pour ce projet d'éco-hameau.
12. En troisième lieu, si M. B... a prêté à son fils une somme de 55 600 euros sur la période 2006/2009 en vue de la constitution de la société DDLP Structures Bois dont la viabilité dépendait de la réalisation du projet d'Eco-hameau, ce préjudice, à le supposer établi, relève du risque inhérent à toute activité d'investissement et ne présente donc pas de lien direct avec l'illégalité fautive invoquée.
13. En quatrième lieu, aucune pièce du dossier ne permet d'établir que c'est l'échec du projet faisant l'objet du certificat d'urbanisme illégal du 9 mai 2007 qui aurait directement entravé le développement de la société Zenetrgie, dont l'activité statutaire dépassait le cadre de ce projet, ou empêché le requérant de percevoir des droits d'auteur escomptés pour la parution d'un livre dédié aux techniques de constructions passives. Dans ces conditions, le préjudice moral allégué à ce titre et celui tiré de l'atteinte à la réputation professionnelle de M. B... ne peuvent être regardés comme présentant un lien direct avec l'illégalité de ce certificat d'urbanisme.
14. En cinquième et dernier lieu, M. B... ne peut demander une indemnisation du manque à gagner pour défaut de commercialisation de son projet, lequel ne trouve pas son origine dans l'illégalité du certificat d'urbanisme mais résulte de refus légaux de permis de construire pour des motifs touchant à la protection du paysage et du littoral.
15. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort, que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme que M. B... demande au titre des frais qu'il a exposés soit mise à la charge de la commune nouvelle de Talloires-Montmin, qui n'est pas partie perdante. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de M. B... la somme que la commune de Talloires-Montmin demande au titre des frais qu'elle a exposés.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la commune de Talloires-Montmin tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... B...et à la commune de Talloires-Montmin.
Délibéré après l'audience du 23 octobre 2018 à laquelle siégeaient :
M. Yves Boucher, président de chambre ;
M. Antoine Gille, président-assesseur ;
Mme Christine Psilakis, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 6 décembre 2018.
1
2
N° 17LY00064
fp