Procédure devant la cour
I) Par une requête enregistrée le 13 novembre 2018 sous le n° 18LY04035, Mme C... E... A..., représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon du 25 octobre 2018 en tant qu'il a partiellement rejeté sa demande ;
2°) d'annuler les décisions du préfet du Rhône du 22 octobre 2018 portant obligation de quitter le territoire français, fixant le pays de renvoi et portant interdiction de circuler sur le territoire français ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'obligation de quitter le territoire français a été prise par une autorité incompétente ;
- les faits qui lui sont reprochés ne sont pas constitutifs d'une menace grave à l'ordre public et les conditions pour procéder à une substitution de base légale et de motifs n'étaient pas réunies dès lors qu'elle justifie de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d'assistance sociale ;
- la décision lui interdisant de circuler en France pour une durée d'un an est insuffisamment motivée ;
- cette décision, qui ne peut assortir une obligation de quitter le territoire français que si la mesure d'éloignement est prononcée en application des 2° et 3° de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, est dépourvue de base légale ;
- cette décision viole l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
II) Par une requête enregistrée le 13 novembre 2018 sous le n° 18LY04036, Mme A..., représentée par Me B..., demande à la cour, sur le fondement des dispositions de l'article R. 811-17 du code de justice administrative :
1°) d'ordonner le sursis à l'exécution du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon du 25 octobre 2018 ;
2°) d'enjoindre au préfet du Rhône de réexaminer sa situation.
Les requêtes ont été communiquées au préfet du Rhône qui n'a pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bénédicte Lordonné, premier conseiller ;
- et les observations de Me B... pour Mme A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante roumaine née en 1993, a été interpellée le 21 octobre 2018 et placée en garde à vue pour usage d'un faux permis de conduire et défaut de permis de conduire. Par décisions du 22 octobre 2018, le préfet du Rhône l'a obligée à quitter le territoire français sans délai, a désigné le pays de destination et lui a interdit de circuler en France pendant une durée d'un an. Par un jugement du 25 octobre 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon a partiellement fait droit à la demande de Mme A..., dirigée contre ces décisions, en annulant la décision refusant un délai de départ volontaire à Mme A....
2. Les requêtes susvisées de Mme A... tendent respectivement à l'annulation et au sursis à exécution de ce jugement, en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de sa demande. Il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet du même arrêt.
Sur les conclusions à fin d'annulation du jugement :
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
3. En premier lieu, la mesure d'éloignement en litige a été signée par M. D..., chef de la section éloignement qui bénéficiait d'une délégation de signature à cet effet consentie par un arrêté du préfet du Rhône du 18 octobre 2018, régulièrement publié au recueil spécial des actes administratifs de la préfecture du même jour, consultable sur le site Internet de la préfecture. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence de son signataire doit être écarté.
4. En second lieu, aux termes de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger un ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne (...) à quitter le territoire français lorsqu'elle constate : / 1° Qu'il ne justifie plus d'aucun droit au séjour tel que prévu par les articles L. 121-1, L. 121-3 ou L. 121-4-1 ; (...) / 3° Ou que son comportement personnel constitue, du point de vue de l'ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société. ". Aux termes de l'article L. 121-1 du même code : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, tout citoyen de l'Union européenne (...) a le droit de séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois s'il satisfait à l'une des conditions suivantes : / (...) 2° S'il dispose pour lui et pour les membres de sa famille tels que visés au 4° de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d'assistance sociale, ainsi que d'une assurance maladie ; (...) ".
5. Pour rejeter les conclusions de Mme A... dirigées contre l'obligation de quitter le territoire français, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon, après avoir estimé que le comportement de l'intéressée ne représente pas une menace grave pour l'ordre public au sens du 3° de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a estimé qu'elle pouvait faire l'objet d'une mesure d'éloignement sur le fondement des dispositions du 1° de cet article, dès lors qu'elle ne disposait plus d'aucun droit au séjour en France faute de ressources suffisantes pour ne pas constituer une charge pour le système d'assistance sociale français.
6. Pour soutenir que les conditions pour procéder à une telle substitution de base légale et de motifs ne sont pas remplies, Mme A... se borne à invoquer les revenus issus de son activité de prostitution, sans justifier du caractère professionnel de cette activité non déclarée ni du montant des ressources qu'elle lui procurerait. Ainsi, contrairement à ce que soutient la requérante, c'est à bon droit que le premier juge a procédé à une telle substitution sollicitée au cours de l'audience par le préfet du Rhône.
En ce qui concerne l'interdiction de circulation sur le territoire français :
7. Aux termes de l'article L. 511-3-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut, par décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français prononcée en application des 2° et 3° de l'article L. 511-3-1 d'une interdiction de circulation sur le territoire français d'une durée maximale de trois ans. (...) Les quatre derniers alinéas de l'article L. 511-3-1 sont applicables. ".
8. Il résulte des termes mêmes de ces dispositions qu'une interdiction de circulation sur le territoire français ne peut légalement être prononcée qu'à l'encontre d'un étranger dont le séjour est constitutif d'un abus de droit où dont le comportement représente une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société. Une telle mesure ne saurait être prononcée à l'encontre d'un étranger qui, ne justifiant plus d'aucun droit au séjour, fait l'objet d'un éloignement sur le fondement du 1° de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon, après avoir procédé à la substitution de base légale et de motifs mentionnée au point 5, a rejeté ses conclusions dirigées contre l'interdiction de circulation sur le territoire français et à demander l'annulation de cette interdiction ainsi que, dans cette mesure, la réformation du jugement attaqué.
Sur les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement :
10. Le présent arrêt statuant sur la requête de Mme A... tendant à l'annulation du jugement attaqué, ses conclusions tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement se trouvent privées d'objet.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
11. L'annulation de la seule mesure d'interdiction de circulation sur le territoire français n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions présentées de Mme A... aux fins de réexamen de sa situation administrative doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
12. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par Mme A....
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 4 de la décision du préfet du Rhône du 22 octobre 2018 interdisant à Mme A... de circuler sur le territoire français pendant une durée d'un an est annulé.
Article 2 : Le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon du 25 octobre 2018 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du présent arrêt.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de Mme A... tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Lyon du 25 octobre 2018.
Article 4 : L'Etat versera à Mme A... la somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de Mme A... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... E...A...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Rhône.
Délibéré après l'audience du 9 avril 2019 à laquelle siégeaient :
M. Yves Boucher, président de chambre,
M. Antoine Gille, président-assesseur,
Mme Bénédicte Lordonné, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 7 mai 2019.
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N° 18LY04035, N° 18LY04036
dm