Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 17 mai 2017 et 15 février 2018, M. B..., représentée par le cabinet d'avocats CSM Bureau Francis Lefebvre, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 16 mars 2017 et de condamner solidairement la commune de Biviers et Mme F... D... à lui verser une indemnité de 768 914,83 euros ;
2°) de mettre à la charge solidaire de la commune de Biviers et de Mme F... D... une somme de 3 840 euros au titre des dépens de l'instance et une somme de 7 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement du tribunal administratif de Grenoble devra être confirmé en ce qu'il retient la responsabilité de la commune de Biviers à raison de l'illégalité fautive entachant la décision de retrait du permis de construire du 21 mai 2013 qui a été signée par une autorité incompétente, qui méconnaît le principe du contradictoire et qui oppose des motifs de retrait erronés, dès lors que, contrairement aux allégations de la commune, le projet n'est en aucun cas implanté dans un secteur concerné par un espace boisé classé et qu'il ne méconnaît pas l'article ND 4 du plan d'occupation des sols (POS), les dispositions dérogatoires de son article ND 1 trouvant à s'appliquer ;
- le jugement attaqué devra être réformé, d'une part, en ce qu'il ne retient pas les fautes commises par la commune de Biviers dans l'instruction des déclarations préalables des 29 février 2012 et 22 mai 2012 et le caractère fautif du refus de verbaliser l'infraction commise par le syndicat intercommunal des eaux de la Dhuy (SIED) en implantant irrégulièrement une clôture autour du réservoir d'eau du Châtelard, d'autre part, en ce qu'il ne retient pas la faute personnelle de Mme F... D..., maire en exercice au moment des faits, du fait de son comportement à l'occasion de la vente aux enchères du bien, dans le cadre de l'instruction des deux déclarations préalables de travaux et du retrait du permis de construire, enfin, en ce qu'il ne retient aucun lien de causalité entre l'illégalité fautive du retrait de permis de construire et les pertes financières subies ;
- les préjudices subis en lien avec les fautes s'élèvent à la somme de 27 000 euros au titre de la perte de valeur du bien qu'il détient à Chessy, à la somme de 16 136,83 euros en ce qui concerne les frais engagés en pure perte en vue de la réalisation de l'opération, comprenant le double paiement d'intérêts bancaires à hauteur de 4 685,83 euros et le surcoût résultant de l'obligation de renégocier son prêt de financement de la propriété de Biviers qui a été évalué par l'expert à 11 451 euros, à la somme de 250 600 euros au titre de la perte de revenus, à la somme de 460 178 euros en ce qui concerne les travaux supplémentaires générés par l'affaissement de la grange entre la date du retrait illégal du permis de construire et le retrait de ce retrait, à la somme de 5 000 euros au titre du préjudice esthétique résultant de l'implantation d'une clôture disgracieuse sans autorisation et à la somme de 10 000 euros au titre des troubles dans les conditions d'existence.
Par des mémoires, enregistrés les 7 septembre 2017 et 29 décembre 2017, la commune de Biviers, représentée par la SCP E...-Jorquera et associés, conclut, à titre principal à l'annulation du jugement attaqué en ce qu'il a prononcé une condamnation ou, à titre subsidiaire, au rejet des conclusions d'appel de M. B... et demande, en toute hypothèse, qu'une somme de 2 700 euros soit mise à la charge du requérant au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'illégalité externe du retrait opéré ne pouvait donner lieu à réparation en l'espèce, dès lors, d'une part, que le permis de construire s'apparente à une reconstruction qui ne permet pas de déroger aux dispositions de l'article ND 4 du règlement du POS et, d'autre part, que le projet de M. B..., implanté dans un secteur concerné par un espace boisé classé, n'aurait pu être autorisé sans méconnaître l'article L. 130-1 du code de l'urbanisme ;
- en tout état de cause, M. B... est désormais titulaire d'un permis de construire définitif, si bien que la faute n'a généré aucun préjudice pour le requérant ; l'indemnité allouée au titre des troubles dans les conditions d'existence doit rester strictement limitée à la somme de 4 000 euros tous intérêt compris ;
- elle n'a commis aucune faute dans l'instruction des déclarations préalables ; à supposer un éventuel retard fautif, il n'est pas susceptible d'avoir généré un préjudice ; la demande indemnitaire de M. B... à ce titre, qui ne fait d'ailleurs pas l'objet d'un poste de préjudice identifié et chiffré, doit être rejetée ;
- le requérant ne saurait rechercher la responsabilité de la commune du fait d'une prétendue carence fautive de son maire, agissant au nom de l'Etat, dans la verbalisation d'une infraction ; en tout état de cause, elle a pris attache avec le SIED qui a régularisé les travaux de clôture ;
- le maire n'a commis aucune faute personnelle ;
- les préjudices allégués, purement éventuels ne sont pas établis ou sont sans lien de causalité avec le retrait opéré.
Par des mémoires, enregistrés les 27 décembre 2017, 4 janvier 2018, 23 janvier 2018 et 12 juillet 2018, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, Mme F... D..., représentée par la SCP Benichou Para et Triquet Dumoulin, conclut, dans le dernier état de ses écritures, à l'annulation du jugement attaqué en ce qu'il a prononcé une condamnation à l'encontre de la commune ainsi qu'au rejet de la requête d'appel et demande qu'une somme de 3 500 euros soit mise à la charge du requérant au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- aucune faute personnelle ni prétendu détournement de pouvoir ne sont établis ; le jugement du tribunal administratif de Grenoble devra ainsi être confirmé en ce qu'il a écarté les fautes qui lui étaient reprochées ;
- elle s'en rapporte aux éléments apportés par la commune en ce qui concerne les prétendues fautes de cette dernière ;
- les préjudices allégués ne sont pas établis.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bénédicte Lordonné, premier conseiller ;
- les conclusions de Mme Véronique Vaccaro-Planchet, rapporteur public ;
- et les observations de Me G... pour M. B..., celles de Me E... pour la commune de Biviers, ainsi que celles de Me A... pour Mme D... ;
Et après avoir pris connaissance des notes en délibéré présentées pour M. B..., enregistrées les 1er et 8 octobre 2018 ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B... a acquis le 21 février 2012 par adjudication une propriété de 84 192 m² comportant une maison d'habitation et une grange à réhabiliter, située dans le site classé du massif de Saint-Eynard à Biviers. Il a déposé le 29 février 2012 une demande de permis de construire portant sur le bâtiment à réhabiliter qui lui a été délivré par un arrêté du 25 février 2013, avant d'être retiré par un arrêté du 21 mai 2013. Saisi par M. B... le tribunal administratif de Grenoble a, par jugement du 16 mars 2017, considéré que l'illégalité de ce retrait était de nature à engager la responsabilité de la commune de Biviers et a condamné celle-ci à verser à M. B... une indemnité de 4 000 euros, tous intérêts compris, au titre du préjudice moral, après avoir écarté les autres chefs de préjudice en l'absence de lien de causalité avec la faute commise. Le tribunal a par ailleurs rejeté le surplus des conclusions indemnitaires du demandeur fondées sur les fautes de la commune résultant, d'une part, de la durée anormale de l'instruction de ses déclarations préalables de travaux portant sur la maison d'habitation, d'autre part, du refus du maire de faire cesser l'infraction d'édification de clôture sans autorisation par le syndicat intercommunal des eaux de la Dhuy (SIED), propriétaire voisin, enfin, des fautes personnelles commises par Mme F... D..., maire de Biviers. M. B... relève appel de ce jugement et demande à la cour de condamner solidairement la commune de Biviers et Mme F... D... à lui verser une indemnité de 768 914,83 euros. La commune de Biviers et Mme F... D... concluent à titre principal, par voie d'appel incident, à l'annulation du jugement en tant qu'il a fait droit partiellement aux demandes de M. B... et au rejet de ces demandes.
Sur la recevabilité de l'appel incident de Mme F... D... :
2. Mme F...D..., qui agit en son nom personnel, demande à la cour, par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement du tribunal administratif de Grenoble en ce qu'il a condamné la commune de Biviers à verser une somme de 4 000 euros tous intérêts compris à M. B.... Le dispositif du jugement lui donne toutefois entièrement satisfaction dès lors que le tribunal a rejeté l'intégralité des demandes de M. B... dirigées à son encontre. Par suite, ses conclusions d'appel incident ne peuvent être accueillies.
Sur les conclusions indemnitaires de M. B... :
En ce qui concerne l'illégalité fautive du retrait du permis de construire :
3. La commune de Biviers, qui ne conteste pas l'illégalité pour méconnaissance du principe du contradictoire de l'arrêté de retrait du 21 mai 2013, fait néanmoins valoir que cette faute n'est pas susceptible d'engager sa responsabilité dans la mesure où la décision de retrait était légalement justifiée.
4. Si l'intervention d'une décision illégale peut constituer une faute susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat, elle ne saurait donner lieu à réparation si, dans le cas d'une procédure régulière, la même décision aurait pu légalement être prise.
5. Il résulte de l'instruction que le permis de construire du 25 février 2013 avait été accordé en considération de la présence d'une source utilisée par les occupants successifs et selon des prescriptions techniques prévues par la demande de permis de construire, au bénéfice de l'application de l'article ND 1 du règlement du POS permettant des dispositions dérogatoires à l'article ND 4 de ce règlement pour les constructions existantes. Il ressort toutefois des pièces du dossier et notamment des documents photographiques produits au dossier de permis de construire que le bâtiment B, dépourvu de toutes ses huisseries et d'une grande partie de sa charpente, et qui a d'ailleurs subi un écroulement partiel en 2016, se trouvait, compte tenu de son délabrement, à l'état de ruine à la date du dépôt de la demande de permis. Dans ces conditions, les travaux envisagés par M. B... ne pouvaient être regardés comme des travaux portant sur une construction existante au sens des dispositions de l'article ND 1 du règlement du POS, mais équivalaient à une reconstruction, soumise à l'obligation de raccordement au réseau public d'eau potable prescrite par l'article ND 4 de ce règlement. Il résulte de ce qui précède qu'en l'absence de possibilité de raccordement du projet au réseau public d'eau potable de la commune, situé à plus de cent mètres, l'arrêté de retrait, fondé sur la méconnaissance des dispositions de l'article ND 4 du règlement du plan d'occupation des sols et des articles L. 111-4 et R. 111-2 du code de l'urbanisme, aurait pu légalement être pris dans le cadre d'une procédure régulière. M. B... n'est donc pas fondé à se prévaloir d'un droit à réparation du fait de l'illégalité de l'arrêté de retrait de permis de construire du 21 mai 2013.
En ce qui concerne les fautes commises dans l'instruction des deux déclarations préalables de travaux déposées par M. B... :
6. Si M. B... se prévaut de fautes commises par la commune dans l'instruction anormalement longue de ses déclarations préalables de travaux portant successivement, d'une part, sur la création d'une piscine et d'un abri de jardin ainsi que la modification de diverses ouvertures sur le bâtiment A et, d'autre part, sur la pose de panneaux solaires sur ce même bâtiment, les fautes ainsi alléguées, sans incidence sur l'habitabilité du bâtiment, n'ont pu générer aucun des préjudices dont il est demandé réparation. La demande indemnitaire présentée à ce titre par M. B... ne peut donc qu'être rejetée.
En ce qui concerne la faute résultant du refus de verbaliser l'implantation d'une clôture illégale :
7. Lorsqu'il exerce les attributions qui lui ont été confiées par les articles L. 480-1 et L. 480-2 du code de l'urbanisme, le maire agit en tant qu'autorité de l'Etat. Par suite, les fautes qu'il viendrait à commettre en cette qualité ne peuvent engager la responsabilité de la commune. Les conclusions de M. B... fondée sur la faute qu'il impute au maire de Biviers pour s'être abstenu de prendre les mesures utiles à la constatation de l'infraction résultant de l'implantation illégale d'une clôture par le SIED ne peuvent, en tout état de cause, qu'être rejetées comme mal dirigées.
En ce qui concerne les fautes personnelles du maire :
8. Les circonstances dont fait état le requérant, tirées du prétendu comportement fautif de Mme D... lors de la vente aux enchères de sa propriété ainsi que dans le cadre de l'instruction de ses déclarations préalables et du retrait du permis de construire ne suffisent pas à caractériser l'existence de fautes personnelles du maire. La demande présentée à ce titre par M. B... doit par suite être rejetée.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander que le montant de l'indemnité qui lui a été allouée par le jugement attaqué soit porté à la somme de 768 914,83 euros. En revanche, la commune de Biviers est fondée à demander, à titre incident, l'annulation de ce jugement en tant qu'il l'a condamnée à verser au requérant une somme de 4 000 euros et le rejet dans cette mesure de la demande de première instance.
Sur les frais liés au litige :
10. Dans les circonstances de l'espèce, il ne paraît pas inéquitable de laisser à chacune des parties à l'instance la charge des frais qu'elles ont respectivement exposés.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 16 mars 2017 est annulé en tant qu'il a partiellement fait droit aux conclusions de M. B....
Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Grenoble est rejetée.
Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par les parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. H... B..., à la commune de Biviers et à Mme F...D....
Délibéré après l'audience du 25 septembre 2018 à laquelle siégeaient :
M. Yves Boucher, président de chambre,
M. Antoine Gille, président-assesseur,
Mme Bénédicte Lordonné, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 16 octobre 2018.
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N° 17LY02000
dm