Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 18 janvier 2019 et le 17 avril 2020, la SARL L'Escale, représentée par Me D..., demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 23 novembre 2018 ;
2°) de prononcer la décharge du surplus de ces impositions et pénalités correspondantes ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La SARL L'Escale soutient que :
- s'agissant du rejet de sa comptabilité, il n'existe aucun stock négatif ;
- s'agissant de la reconstitution des recettes, la méthode est radicalement viciée dès lors que le prix de trois euros retenu pour le chocolat et le thé est erroné, le taux de perte sur la bière pression doit être porté à 16,6 %, la quantité d'alcool consommée par client est supérieure à celle retenue par le vérificateur, ce dernier n'ayant en outre pas tenu compte des unités de vente de la société, et à tout le moins égale à 28,8 cl par personne, les galettes ne sont pas systématiquement vendues avec du cidre et les crêpes et glaces peuvent être consommées en dessert à l'issue d'un repas ; à tout le moins, la moyenne des coefficients issus de la moyenne des exercices clos en 2010 et en 2012 devrait être appliquée à l'exercice 2011 ; le chiffre d'affaires " galette " doit être compris dans le chiffre d'affaires " repas traditionnel " sous peine de les comptabiliser deux fois ;
- il existe des incohérences de résultats si on regarde les coefficients de marge de chaque exercice.
Par un mémoire enregistré le 14 juin 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Le ministre de l'action et des comptes publics soutient que :
- la charge de la preuve pèse sur la requérante dès lors que sa comptabilité était irrégulière, celle-ci n'ayant conservé aucun justificatif de recettes alors que celles-ci étaient globalisées quotidiennement, ce qui est un motif suffisant pour écarter la comptabilité, et que les impositions ont été établies conformément à l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires ;
- la méthode de reconstitution des recettes n'est pas radicalement viciée.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A..., première conseillère,
- les conclusions de Mme Conesa-Terrade, rapporteure publique,
- et les observations de Me D..., représentant la SARL L'Escale ;
Considérant ce qui suit :
1. La SARL L'Escale, dont M. C... est gérant et associé à hauteur de 99,80 %, exploite un restaurant d'altitude sur la commune des Adrets, sous l'enseigne " La Sierra ". Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant, en matière de taxe sur la valeur ajoutée, sur la période du 1er mai 2009 au 30 avril 2012 et, en matière d'impôt sur les sociétés, sur les exercices clos les 30 avril 2010, 2011 et 2012. A l'issue de cette vérification, l'administration, après avoir rejeté sa comptabilité comme non probante et procédé à la reconstitution de ses chiffres d'affaires et résultats, lui a réclamé des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et l'a assujettie à des compléments d'impôt sur les sociétés qu'elle a assortis d'intérêts de retard et de la majoration de 40 % prévue par l'article 1729 du code général des impôts. La SARL L'Escale relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Grenoble, après avoir constaté un non-lieu à statuer partiel et avoir fait partiellement droit à sa demande, a rejeté le surplus de ses conclusions tendant à la décharge de ces impositions et majorations.
Sur le rejet de la comptabilité et la charge de la preuve :
2. En premier lieu, il est constant que la société requérante n'a pas été en mesure de présenter les bandes de caisses et ne conservait aucune pièce justificative de ses recettes journalières ni n'assurait la permanence du chemin de révision, et qu'elle ne conservait pas davantage les tickets Z permettant notamment de connaître la répartition des recettes journalières, mensuelles et annuelles en fonction de catégories de chiffre d'affaires déterminées. Ces motifs étaient suffisants pour écarter la comptabilité de l'entreprise comme non probante et procéder à la reconstitution extra-comptable de ses chiffres d'affaires et résultats au titre de la période et des exercices contrôlés, sans que la requérante ne puisse utilement contester le motif surabondant retenu par le vérificateur, tiré des anomalies constatées dans la détermination des achats revendus.
3. En second lieu, aux termes de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au litige : " Lorsque l'une des commissions visées à l'article L. 59 est saisie d'un litige ou d'une rectification, l'administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission. / Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission (...) ".
4. Ainsi qu'il a été dit au point 2., la comptabilité de la SARL L'Escale comportait de graves irrégularités. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que l'administration s'est conformée aux propositions contenues dans l'avis émis le 10 avril 2015 par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires. Ainsi, la société supporte la charge de la preuve de l'exagération des rectifications en litige.
Sur la reconstitution des chiffre d'affaires et des bénéfices :
5. D'une part, aux termes de l'article 256 du code général des impôts : " I. - Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel. (...) ". Aux termes de l'article 269 du même code : " 1. Le fait générateur de la taxe se produit : a) Au moment où la livraison, l'acquisition intracommunautaire du bien ou la prestation de services est effectué ; (...) 2. La taxe est exigible : a) Pour les livraisons et les achats visés au a du 1 et pour les opérations mentionnées aux b et d du même 1, lors de la réalisation du fait générateur (...) ".
6. D'autre part, aux termes de l'article 38 du code général des impôts : " 1. Sous réserve des dispositions des articles 33 ter, 40 à 43 bis et 151 sexies, le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises, y compris notamment les cessions d'éléments quelconques de l'actif, soit en cours, soit en fin d'exploitation. 2. Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés. 2 bis. Pour l'application des 1 et 2, les produits correspondant à des créances sur la clientèle ou à des versements reçus à l'avance en paiement du prix sont rattachés à l'exercice au cours duquel intervient la livraison des biens pour les ventes ou opérations assimilées et l'achèvement des prestations pour les fournitures de services. (...) ".
7. Il résulte de l'instruction que, pour reconstituer les chiffres d'affaires et recettes de la SARL L'Escale en l'absence de conservation des bandes de caisse et des tickets Z, le vérificateur a identifié plusieurs catégories d'activités exercées par la SARL L'Escale, à savoir les activités " Petit déjeuner ", " Boissons chaudes ", " Galettes ", " Crêpes et gaufres ", " Pizzas sur place et à emporter ", " Glaces ", " Bar " et " Restauration traditionnelle ". Il a ensuite procédé à leur reconstitution une à une, en recourant au dépouillement exhaustif des factures d'achats de marchandises et de matières premières, ainsi que des inventaires de stocks initiaux et finaux pour chacun des exercices vérifiés, et à l'exercice d'un droit de communication auprès des fournisseurs connus. La SARL L'Escale soutient que la méthode de reconstitution de ses chiffres d'affaires et recettes est radicalement viciée, compte tenu des erreurs qui l'affectent.
En ce qui concerne l'activité " Boissons chaudes " :
8. Il résulte de l'instruction que, pour reconstituer les chiffres d'affaires et recettes issus de l'activité " Boissons chaudes ", le vérificateur a retenu les tarifs du thé et du chocolat chaud figurant sur la carte intitulée " notre bar (service restauration) ". Ainsi qu'il a été dit ci-dessus, les recettes générées par les ventes de petits déjeuners ont été reconstituées séparément de celles générées par l'activité " Boissons chaudes " et il résulte des termes de la proposition de rectification que les quantités de thé et de chocolat utilisées pour la confection des boissons consommées lors des petits déjeuners, évaluées forfaitairement à 50 % du total des achats, ont été distraites des achats revendus reconstitués par le vérificateur au titre de l'activité " Boissons chaudes ". La requérante n'est ainsi pas fondée à se prévaloir du prix du thé et du chocolat chaud figurant sur l'une de ses cartes dans la catégorie " boissons chaudes petits déjeuners " à l'appui de son moyen tiré de ce que le vérificateur aurait commis une erreur sur le prix des boissons chaudes.
En ce qui concerne l'activité " Bar " :
9. Si la SARL L'Escale soutient qu'il conviendrait de porter le taux de perte retenu par le vérificateur de 12,5 % à 16,6 %, elle n'apporte, pas plus en appel qu'en première instance, de quelconques éléments de nature à en justifier. Dès lors, le moyen ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne l'activité " Restauration traditionnelle " :
10. Il résulte de l'instruction que, pour reconstituer les chiffres d'affaires et les recettes générés par l'activité de restauration traditionnelle de la SARL L'Escale, le vérificateur s'est fondé sur les achats revendus de vins pour déterminer le nombre de repas servis par la société, en considérant que trois repas sur quatre était servis avec un verre de vin, soit 12,5 cl. Il a ensuite déduit du nombre de repas ainsi déterminé le nombre de pizzas servies sur place, qu'il avait reconstitué par ailleurs à partir des achats revendus de farine, et a appliqué à ce résultat le prix moyen d'un repas traditionnel, incluant le plat et le dessert, déterminé selon les indications données par le gérant lors des opérations de contrôle.
11. La société requérante fait valoir que la quantité d'alcool consommée par client est supérieure à celle retenue par le vérificateur, ce dernier n'ayant en outre pas tenu compte des unités de vente qu'elle applique, et que cette quantité est à tout le moins égale à 28,8 cl par personne. Elle fait également valoir que les galettes ne sont pas systématiquement vendues avec du cidre.
12. En premier lieu, la circonstance que le vérificateur se soit fondé sur une quantité de vin par client représentant l'équivalent d'un verre de 12,5 cl ne révèle pas une méthode radicalement viciée en son principe, quand bien même la société ne vendrait pas de vin au verre mais des bouteilles bouchées de 75 cl ou des pichets de vin, dès lors qu'il s'agit d'une consommation moyenne et que l'administration ne pouvait s'appuyer sur des éléments plus précis propres à l'entreprise, en raison du caractère non probant de la comptabilité et de l'absence volontaire de conservation des pièces justificatives des recettes.
13. En deuxième lieu, la SARL L'Escale se prévaut des indications de son gérant lors du contrôle selon lesquelles la quantité moyenne de vin consommée était comprise entre 27,5 cl et 32 cl et d'une étude conduite par FranceAgriMer parue en février 2017, d'où il ressort que la consommation moyenne de vin au restaurant s'établit en France à 28,8 cl par personne pour les repas du samedi soir, et à 19,4 cl en moyenne pour un déjeuner en semaine. Toutefois, l'étude en cause ne tient pas compte des conditions spécifiques d'exploitation d'un restaurant d'altitude, tenant notamment à sa clientèle familiale et sportive. Par ailleurs, pour déterminer le nombre de repas servis, le vérificateur ne s'est fondé que sur la consommation de vin, sans prendre en compte les autres boissons alcoolisées proposées par la société requérante, telles que, notamment, les apéritifs et les bières. Enfin, le vérificateur s'est livré à deux contrôles de cohérence, selon la méthode dite des cafés et selon le taux de remplissage du restaurant, en se fondant sur les indications données par le gérant en cours de contrôle. Les résultats qui en sont ressortis, particulièrement proches de ceux reconstitués pour l'exercice 2012, ne conduisent pas à un nombre de repas incohérent par rapport à celui trouvé par la méthode à laquelle le vérificateur a recouru à titre principal, malgré quelques différences pour les exercices 2010 et 2011, l'écart étant d'ailleurs favorable à la requérante pour l'exercice clos en 2010. De la même manière, la circonstance que l'exercice clos en 2011 fasse apparaître un taux de marge supérieur à celui des deux autres exercices n'est pas de nature à invalider les résultats auxquels le vérificateur est parvenu au terme de l'application de la méthode précédemment décrite, dès lors que les achats de vin de la société requérante étaient nettement supérieurs au titre de cette année, sans qu'elle n'en explique la raison. Si la SARL L'Escale se prévaut de ce que son gérant a donné des indications sur la gestion de l'établissement sans avoir de véritables connaissances en la matière, elle ne donne aucune précision permettant de les considérer comme erronées, alors qu'il participait personnellement à sa gestion.
14. En troisième lieu, contrairement à ce que la société requérante soutient, le vérificateur n'a pas considéré que les galettes étaient systématiquement consommées avec du cidre et non avec du vin, mais a pris le parti, d'une part, de reconstituer séparément le chiffre d'affaires des galettes à partir des achats de matières premières, et d'autre part, de ne prendre en compte, pour la détermination du nombre de repas traditionnels, que le vin, à l'exclusion de toute autre boisson, alcoolisée ou non. Dans la mesure où les repas traditionnels ont pu être consommés avec d'autres boissons que le vin, le choix de ne pas déduire du chiffre d'affaires des repas traditionnels tout ou partie du chiffre d'affaires correspondant à la consommation de galettes ne révèle pas une méthode de reconstitution viciée de ce fait. Au demeurant, la société requérante n'apporte aucun élément chiffré permettant de remettre en cause les résultats auxquels le vérificateur est parvenu.
15. Enfin, si la société requérante soutient que le montant des recettes générées par la vente des crêpes, des glaces et des gaufres a été reconstitué sans tenir compte du fait que ces produits pouvaient également servir de dessert accompagnant un plat traditionnel, elle ne précise pas quelle incidence cette circonstance pourrait avoir, alors que les desserts dits classiques peuvent être également consommés hors des repas traditionnels. Dans ces conditions, la SARL L'Escale n'établit pas la double imposition qu'elle invoque.
16. Il suit de là que la SARL L'Escale n'établit pas que le montant des chiffres d'affaires et des recettes reconstitués restant en litige serait excessif.
17. Il résulte de ce qui précède que la SARL L'Escale n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté le surplus des conclusions de sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SARL L'Escale est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL L'Escale et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré après l'audience du 4 mars 2021, à laquelle siégeaient :
Mme Evrard, présidente de la formation de jugement,
Mme A..., première conseillère,
Mme B..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er avril 2021.
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N° 19LY00170
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