Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 1er février 2019 et le 14 août 2019, la SAS Chapel, représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler l'article 2 de ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 27 décembre 2018 en ce qu'il a rejeté ses conclusions relatives aux compléments d'impôt sur les sociétés résultant d'une renonciation à recettes ;
2°) de prononcer la réduction de la cotisation d'impôt sur les sociétés mise à sa charge au titre de l'exercice clos en 2012 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner l'Etat aux dépens de l'instance.
La SAS Chapel soutient que :
- en se référant au seul rapport d'un expert, sans joindre l'analyse du marché catégoriel local auquel ce dernier se réfère, l'administration n'a pas suffisamment motivé la proposition de rectification au sens de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales ;
- la correction en hausse de la valeur pour laquelle un contribuable a inscrit un élément d'actif à son bilan ne conduit pas, par elle-même, à la constatation d'un profit imposable ;
- l'administration n'apporte pas la preuve de l'existence d'un écart significatif entre le prix de cession de l'élément d'actif immobilisé et le prix convenu, seul un tel écart permettant de caractériser un acte anormal de gestion, même en cas de liens entre le cédant et le cessionnaire ;
- l'administration n'est pas fondée à se prévaloir du seul rapport d'expertise du 11 août 2011 afin d'estimer que la valeur du bien immobilier qu'elle a cédé à sa société mère, la SAS Chapel animation, en 2012, constituait une renonciation à recettes à hauteur de 200 000 euros, compte tenu du délai écoulé entre la réalisation de l'expertise et l'opération en cause et du caractère fluctuant du marché immobilier ;
- l'administration n'apporte pas la preuve de l'intention de la société cédante d'octroyer une libéralité au bénéfice de la société cessionnaire ni l'intention de cette dernière d'accepter une telle libéralité.
Par un mémoire, enregistré le 15 juillet 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Le ministre de l'action et des comptes publics soutient que les moyens de la SAS Chapel ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B..., première conseillère,
- les conclusions de Mme Conesa-Terrade, rapporteure publique,
- et les observations de Me C..., représentant la SAS Chapel ;
Considérant ce qui suit :
1. La SAS Chapel, qui exerce une activité de fabrication de vérins hydrauliques, a procédé, le 26 juin 2012, au rachat de ses propres actions auprès de sa société mère, la SAS Chapel Animation et lui a cédé en contrepartie un bien immobilier sis à Colombe (Isère) valorisé à cette occasion à la somme de 1 350 000 euros. A la suite d'une vérification de comptabilité de la SAS Chapel, l'administration fiscale, estimant que la valeur vénale de cet immeuble avait été minorée et que cette minoration sans contrepartie révélait une libéralité constitutive d'un acte anormal de gestion, a réintégré la différence entre le prix auquel il avait été évalué lors du rachat des actions de la SAS Chapel auprès de la SAS Chapel Animation et la valeur vénale de l'immeuble, estimée à 1 550 000 euros, dans le résultat de la SAS Chapel de l'exercice clos en 2012. La SAS Chapel relève appel du jugement du tribunal administratif de Grenoble en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à la décharge du complément d'impôt sur les sociétés mis à sa charge au titre de l'exercice 2012 à raison de la réintégration dans ses résultats d'une somme de 200 000 euros correspondant à une renonciation à recettes.
Sur le bien-fondé de l'imposition :
2. En vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale. Constitue un acte anormal de gestion l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt.
3. En l'espèce, pour procéder à l'évaluation de la valeur vénale de l'immeuble sis à Colombe, l'administration s'est uniquement référée à un rapport établi le 11 août 2011 par un cabinet d'expertise immobilière à la demande de la SAS Chapel en vue de déterminer celui de ses biens immobiliers qui pourrait être employé au paiement du prix de ses actions détenues par la SAS Chapel Animation, et qui fixe la valeur vénale du bien à la somme de 1 550 000 euros. Toutefois, ce rapport, qui ne se fonde aucunement sur des transactions portant sur l'immeuble ou des immeubles similaires, mais uniquement sur " l'analyse du marché catégoriel local ", sans autre précision, et qui met en oeuvre deux méthodes d'évaluation, dites " méthode par le revenu " et " méthode comparative par sol et constructions ", est peu précis quant aux modalités de détermination de la valeur vénale de l'immeuble. En outre, les méthodes employées conduisent à estimer cette dernière, pour l'une, à la somme de 1 448 200 euros, et pour l'autre, à la somme de 1 676 755 euros, soit une différence de 228 555 euros entre ces deux estimations, confirmant leur caractère approximatif. A fortiori, la moyenne effectuée entre ces deux montants ne peut être regardée comme une estimation fiable du montant de l'immeuble en cause. Si l'administration fait valoir qu'elle n'a pas pu procéder par elle-même à l'évaluation de la valeur vénale du bien, en l'absence de transaction ayant porté sur des immeubles similaires, il est constant qu'elle n'a pas eu recours à d'autres méthodes d'évaluation de la valeur intrinsèque du bien. Dans ces conditions, en se bornant à se fonder sur ce rapport d'expertise, l'administration n'établit pas que la SAS Chapel se serait appauvrie d'une quelconque somme en affectant son bien sis à Colombe au paiement du prix de ses actions dont le montant a été valorisé à 1 350 000 euros au moment de la transaction en litige, intervenue près d'un an après la réalisation de l'expertise immobilière en cause. Il suit de là que l'administration n'apporte pas la preuve qui lui incombe que l'opération litigieuse serait intervenue dans des conditions étrangères à une gestion commerciale normale. La SAS Chapel est, par suite, fondée à soutenir que c'est à tort que le service a réintégré dans son bénéfice imposable la somme de 200 000 euros au titre d'une insuffisance de prix de cession du bien immobilier litigieux.
4. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que la SAS Chapel est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté le surplus des conclusions de sa demande tendant à la décharge du complément d'impôt sur les sociétés mis à sa charge au titre de l'exercice clos en 2012, à raison de la réintégration de la somme de 200 000 euros dans ses résultats.
Sur les frais liés à l'instance :
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la SAS Chapel dans l'instance en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, aucun dépens n'ayant été exposé dans cette instance, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la SAS Chapel tendant à l'application des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La SAS Chapel est déchargée du complément d'impôt sur les sociétés auquel elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2012 à raison de la réintégration dans ses résultats de la somme de 200 000 euros.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble est annulé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à la SAS Chapel la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Chapel et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré après l'audience du 4 mars 2021, à laquelle siégeaient :
Mme Evrard, présidente de la formation de jugement,
Mme B..., première conseillère,
Mme D..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 1er avril 2021.
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N° 19LY00398