Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 19 septembre 2019 et le 15 septembre 2020, M. et Mme B..., représentés par Me F..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge de ces impositions et des pénalités correspondantes ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. et Mme B... soutiennent que les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis sont consécutives aux rehaussements des bases d'imposition à l'impôt sur les sociétés de la SARL Grand Bonheur qu'ils contestent par les moyens suivants :
- la procédure suivie pour établir la taxe sur les véhicules de sociétés est irrégulière, la taxation d'office n'étant pas encourue pour cette imposition ;
- la procédure suivie pour établir l'impôt sur les sociétés est irrégulière dès lors, d'une part, que les procès-verbaux d'audition sur la base desquels ont été réintégrés dans les résultats des exercices clos en 2009, 2010 et 2011 les salaires et les charges patronales, et notamment le procès-verbal d'audition du gérant, ont été déclarés nuls par le juge pénal et, d'autre part, que Mme E... n'a pas été entendue par les services de police et enfin, que ni elle ni M. G... ne sont concernés par la procédure pénale ;
- le rejet de la comptabilité n'est pas justifié ;
- à titre principal, il y a lieu d'admettre en déduction des résultats de l'ensemble des exercices les charges comptabilisées au titre des rémunérations versées aux salariés non déclarés et les charges sociales correspondantes ; l'administration, qui supporte la charge de la preuve au titre des exercices clos en 2010 et 2011, ne pouvant, pour mettre en cause le caractère effectif du travail fourni, se fonder sur des procès-verbaux d'audition annulés par le juge pénal, sur des déclarations à l'audience qui ne concernent pas l'exercice clos en 2009 et sur l'adresse de domiciliation bancaire de Mme E... épouse C..., alors qu'il s'agit de dépenses nécessaires à l'activité et qu'elles ne sont pas exagérées ;
- à titre subsidiaire, il y a lieu de déduire du rappel notifié au titre de l'exercice clos en 2011, les salaires de 49 141 euros évalués forfaitairement par l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) ainsi que les cotisations sociales correspondantes de 22 634 euros, soit 71 775 euros, que l'administration a pris en compte par erreur au titre de l'exercice clos en 2010 ; à tout le moins, il appartient à l'administration de tirer les conséquences de ses propres constatations et de déduire du rappel notifié au titre de l'exercice clos en 2011, les cotisations sociales correspondant aux rémunérations d'un montant de 32 404 euros admises en charges par l'administration fiscale, soit 14 957 euros ;
- à titre subsidiaire, il y a lieu, conformément à la décision de l'administration fiscale, acceptant le principe de la déduction des salaires et la méthode de calcul utilisée par l'URSSAF, qui constitue une prise de position formelle opposable au sens de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales et une décision administrative individuelle créatrice de droit, de déduire du rappel de l'exercice clos en 2010, un montant de charges supplémentaire de 84 486 euros correspondant à l'application d'un ratio de 54 % au résultat redressé de l'exercice 2010 ; le même calcul devra être appliqué au titre de l'exercice clos en 2009 ;
- à titre subsidiaire encore, il est proposé à la cour, dans le cadre de son pouvoir d'appréciation, de fixer le montant des sommes déductibles au titre de l'exercice clos en 2010, selon l'un ou l'autre des deux méthodes proposées.
Ils soutiennent en outre que :
- l'administration n'apporte pas la preuve de la mise à disposition effective des sommes regardées comme distribuées ;
- les pénalités pour manquement délibéré de l'article 1729 du code général des impôts ne sont pas justifiées.
Par un mémoire, enregistré le 8 avril 2020, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Le ministre soutient que :
- le moyen tiré de ce que les salaires et charges versés par la SARL Grand Bonheur à Mme H... E... C... seraient déductibles des résultats de la société est inopérant dès lors que les salaires libellés au nom de cette personne ont été exclus des revenus distribués imposables entre les mains de M. B... ;
- il en est de même du moyen tiré de la régularité et du bien-fondé de la procédure suivie à l'encontre de la SARL Grand Bonheur au regard de la taxe sur les véhicules de sociétés mise à la charge de celle-ci ;
- le moyen dirigé contre le rejet de la comptabilité est également inopérant ainsi que ceux portant sur les rectifications opérées au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2009 ;
- les autres moyens soulevés par M. et Mme B... ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 16 juillet 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 1er octobre 2020 en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme I..., première conseillère,
- et les conclusions de Mme Conesa-Terrade, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. La SARL Grand Bonheur, qui exerce une activité de restauration et accessoirement de plats à emporter sous l'enseigne Okinawa à Echirolles (Isère), dont M. B... est le gérant et détient 50 % des parts, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle l'administration a exclu des charges déductibles des exercices clos les 31 décembre 2009, 2010 et 2011 les rémunérations et charges patronales de personnes auditionnées dans le cadre d'un contrôle de police de l'établissement, diligenté par le tribunal de grande instance de Grenoble, des chefs d'exécution d'un travail dissimulé, d'emplois d'étrangers non munis d'une autorisation de travail et d'aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'étrangers en France, au motif qu'elles ne correspondaient pas à un travail effectif. Ayant estimé que les sommes correspondantes devaient être imposées à l'impôt sur le revenu entre les mains de M. B... sur le fondement du c) de l'article 111 du code général des impôts, l'administration a, en conséquence, assujetti M. B..., suivant la procédure contradictoire, à des compléments d'impôts sur le revenu résultant de la réintégration de ces sommes, majorées de 25 %, dans ses revenus imposables des années 2010 et 2011. Par une décision du 6 octobre 2017, l'administration a partiellement fait droit à la réclamation de M. B... relative à ces impositions, aux contributions sociales mises à sa charge et aux majorations pour manquement délibéré appliquées à ces impositions. M. B... relève appel du jugement du 18 juillet 2019 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales maintenues à sa charge ainsi que des majorations correspondantes.
Sur la régularité de la procédure d'imposition suivie avec la SARL Grand Bonheur :
2. En vertu du principe d'indépendance des procédures, les éventuelles irrégularités de la procédure d'imposition suivie à l'encontre d'une société soumise au régime d'imposition des sociétés de capitaux ne peuvent avoir d'autre conséquence que la décharge des impositions mises à la charge de cette société et restent sans incidence sur les impositions personnelles mises à la charge de la personne imposée à l'impôt sur le revenu au titre des distributions de cette société. Par suite, les moyens tirés de ce que la procédure suivie pour établir les impositions supplémentaires mises à la charge de la SARL Grand Bonheur serait irrégulière doivent être écartés comme inopérants.
Sur le bien-fondé des impositions :
3. Aux termes de l'article R. 57-1 du livre des procédures fiscales : " La proposition de rectification prévue par l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée. L'administration invite, en même temps, le contribuable à faire parvenir son acceptation ou ses observations dans un délai de trente jours à compter de la réception de la proposition, prorogé, le cas échéant, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de cet article. " Aux termes de l'article R. 194-1 du même livre : " Lorsque, ayant donné son accord à la rectification ou s'étant abstenu de répondre dans le délai légal à la proposition de rectification, le contribuable présente cependant une réclamation faisant suite à une procédure contradictoire de rectification, il peut obtenir la décharge ou la réduction de l'imposition, en démontrant son caractère exagéré. "
4. M. et Mme B... ne contestent pas ne pas avoir fait parvenir à l'administration fiscale d'observations, dans le délai de trente jours prévu à l'article R. 57-1 du livre des procédures fiscales à compter de la notification de la proposition de rectification du 15 février 2013 par laquelle l'administration a porté à leur connaissance les rehaussements apportés à leurs revenus imposables au titre des années 2010 et 2011. Ils doivent dès lors être regardés comme ayant accepté ces redressements et, de ce fait, supportent la charge de la preuve du caractère exagéré des compléments d'impôt sur le revenu mis à leur charge.
5. Aux termes de l'article 111 de ce même code : " Sont notamment considérés comme revenus distribués: (...) c. Les rémunérations et avantages occultes ".
6. En premier lieu, M. et Mme B... contestent l'existence et le montant des revenus distribués entre les mains de M. B... en faisant valoir que les rectifications apportées aux résultats de la SARL Grand Bonheur, dans le cadre de la vérification de comptabilité dont elle a fait l'objet, sont infondées.
7. Aux termes du 1 de l'article 39 du même code : " Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : / 1° Les frais généraux de toute nature, les dépenses de personnel et de main-d'oeuvre, (...) Toutefois les rémunérations ne sont admises en déduction des résultats que dans la mesure où elles correspondent à un travail effectif et ne sont pas excessives eu égard à l'importance du service rendu (...) ".
8. Aux termes de l'article L. 81 du livre des procédures fiscales : " Le droit de communication permet aux agents de l'administration, pour l'établissement de l'assiette et le contrôle des impôts, d'avoir connaissance des documents et des renseignements mentionnés aux articles du présent chapitre dans les conditions qui y sont précisées. (...) ". Aux termes de l'article L. 82 C de ce livre : " A l'occasion de toute instance devant les juridictions civiles ou criminelles, le ministère public peut communiquer les dossiers à l'administration des finances. ". Eu égard aux exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ces dispositions ne permettent pas à l'administration de se prévaloir, pour établir l'imposition, de pièces ou documents obtenus par une autorité administrative ou judiciaire dans des conditions déclarées ultérieurement illégales par le juge.
9. Il résulte de l'instruction que la SARL Grand Bonheur a comptabilisé en charges déductibles, au titre des exercices clos les 31 décembre 2010 et 2011, des rémunérations et charges patronales que l'administration fiscale, sur la base de renseignements obtenus par l'autorité judiciaire dans le cadre de l'exercice de son droit de communication, a remis partiellement en cause au motif que ces charges ne correspondaient pas au travail effectif des personnes concernées. Par un jugement correctionnel du 8 octobre 2013, le tribunal de grande instance de Grenoble a constaté la nullité de la plupart des procès-verbaux d'audition visés dans la proposition de rectification du 15 février 2013, ayant servi de fondement aux compléments d'impôt sur les sociétés mis à la charge de la SARL Grand Bonheur au titre des exercices clos en 2010 et 2011. Néanmoins, il ressort des énonciations de ce même jugement, qui a déclaré M. B... coupable des faits d'emploi d'étrangers non munis d'une autorisation de travail, que celui-ci a expressément reconnu avoir, entre le 1er février 2010 et le 27 septembre 2011, fait travailler dans l'établissement des ressortissants étrangers en situation irrégulière, rétribués en liquide, sous les identités d'emprunt de Li Zhirong, Zhang Zengde, Gui Cunzhi, Zhan épouse A... J..., G... Beibei et Su épouse C... H..., lesquels encaissaient des chèques de la société dont le montant était ensuite reversé en espèces au gérant. Si, par son courrier du 6 octobre 2017, en réponse à la réclamation adressée au service par M. et Mme B..., l'administration fiscale a reconnu qu'une partie de ces sommes, à hauteur de 38 398 euros en 2010 et 32 404 euros en 2011, avait été utilisée pour rémunérer en espèces des personnes non déclarées, elle s'est fondée sur les déclarations de M. B... lui-même lors de son audition du 13 avril 2011 par les services de police. Et il ne résulte pas de l'instruction que le procès-verbal y afférent aurait été déclaré nul par l'ordre de juridiction compétent.
10. Par ailleurs, M. et Mme B... soutiennent que, pour l'année 2010, l'URSSAF n'a pas prononcé de redressement de la SARL Grand Bonheur et que le montant de 49 141 euros, dont le caractère déductible a été admis par l'administration fiscale au titre de l'exercice clos en 2010, est à imputer sur l'exercice clos en 2011. Ils n'apportent toutefois aucun élément de nature à établir que devraient être retenus des montants correspondants aux sommes reversées par M. B..., en espèces, à des personnes non déclarées, supérieurs à ceux qu'il a déclarés aux services de police lors de son audition du 13 avril 2011.
11. En outre, M. et Mme B... soutiennent, en se prévalant de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, que la méthode de détermination des rémunérations des personnes non déclarées, retenue par l'interlocutrice départementale dans son courrier du 19 février 2015, à savoir l'application d'un ratio constitué par les sommes arrêtées par l'URSSAF sur le résultat rehaussé de l'exercice 2011 doit être appliquée aux résultats de l'exercice 2010. Ce moyen ne peut cependant qu'être écarté dès lors que la lettre de l'interlocutrice départementale du 19 février 2015 ne constitue pas une interprétation formelle de la loi fiscale au sens de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.
12. Enfin, si les appelants soutiennent que M. B... ne saurait être considéré comme bénéficiaire des cotisations sociales et patronales versées à l'URSSAF, il résulte de l'instruction que les montants des revenus distribués imposables entre ses mains sont des montants nets.
13. En deuxième lieu, M. B... était associé et gérant de la SARL Grand Bonheur au cours des deux années en litige. Il n'est pas contesté qu'il disposait de la signature sur les comptes bancaires de la société et qu'il était l'interlocuteur et le décisionnaire vis-à-vis des tiers. Il ressort en outre des énonciations du jugement correctionnel du 8 octobre 2013 du tribunal de grande instance de Grenoble que M. B... était le bénéficiaire des sommes reversées en espèces par les personnes qui encaissaient des chèques de la SARL Grand Bonheur sans pour autant y travailler et contrairement aux affirmations des appelants, il ne résulte pas de l'instruction que l'administration disposait d'informations sur l'identité des bénéficiaires des sommes en litige, considérées comme des revenus distribués entre les mains de M. B..., en sa qualité de maître de l'affaire.
14. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme B... n'apportent pas la preuve qui leur incombe de l'exagération des impositions en litige.
Sur les pénalités :
15. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré ; (...) ".
16. Pour appliquer la majoration de 40 % prévue au a) de l'article 1729 précitée, l'administration fait valoir en particulier qu'en sa qualité de gérant de droit de la SARL Grand Bonheur, M. B... a bénéficié des rémunérations versées par la société à des personnes qui ne travaillaient pas dans l'établissement qui les encaissaient et les lui restituaient en espèces. En relevant que l'intéressé ne pouvait ignorer que les agissements auxquels il se livrait, en méconnaissance des obligations comptables et fiscales qui incombent à l'entreprise, ont porté sur des montants importants et ont revêtu un caractère répété, l'administration établit l'intention délibérée de M. B... d'éluder l'impôt justifiant l'application de majorations pour manquement délibéré aux impositions mises à sa charge.
17. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande.
Sur les frais du litige :
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à M. et Mme B... la somme qu'ils réclament au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la M. et Mme D... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré après l'audience du 11 février 2021 à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président,
Mme Evrard, présidente-assesseure,
Mme I..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition du greffe le 1er avril 2021.
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N° 19LY03593