Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 11 juillet 2020, M. et Mme E..., représentés par Me C..., demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon du 17 février 2020 ;
2°) d'annuler les arrêtés du 7 octobre 2019 du préfet du Rhône ;
3°) d'enjoindre au préfet du Rhône, en conséquence de l'annulation des obligations de quitter le territoire français, de procéder, dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, au réexamen de leur situation et de leur délivrer, dans un délai de sept jours à compter de cet arrêt, une autorisation provisoire de séjour ;
4°) d'enjoindre au préfet du Rhône, en conséquence de l'annulation des décisions fixant le délai de départ volontaire, à titre principal, de leur accorder un délai de départ supérieur à trente jours et, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de leur situation et de statuer à nouveau sur le délai de départ volontaire dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat, sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, une somme de 1 500 euros à verser à leur conseil, à charge pour ce dernier de renoncer à percevoir la part contributive de l'Etat à sa mission d'aide juridictionnelle.
Ils soutiennent que :
- les décisions portant obligation de quitter le territoire français méconnaissent l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elles sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation de leurs conséquences sur leur situation personnelle ;
- les décisions fixant le délai de départ volontaire méconnaissent le II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation.
Le préfet du Rhône a produit un mémoire, enregistré le 19 mars 2021, par lequel il conclut au rejet de la requête.
Il s'en rapporte aux observations qu'il a formulées devant le tribunal administratif de Lyon.
M. et Mme E... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 1er juillet 2020.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de Mme Evrard, présidente-assesseure, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme E..., ressortissants géorgiens nés respectivement le 3 mai 1991 et le 3 décembre 1995, sont entrés en France le 15 juin 2018, selon leurs déclarations, et ont sollicité la reconnaissance du statut de réfugié. Leurs demandes, traitées selon la procédure accélérée prévue par le 1° du I de l'article L. 723-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ont été rejetées par des décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 12 octobre 2018, confirmées le 26 août 2019 par la Cour nationale du droit d'asile. Par deux arrêtés du 7 octobre 2019, le préfet du Rhône leur a fait obligation de quitter le territoire français sur le fondement du 6° de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, leur a octroyé un délai de départ volontaire de trente jours et a fixé le pays de destination. M. et Mme E... relèvent appel du jugement du 17 février 2020 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon, après les avoir jointes, a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de ces arrêtés.
Sur la légalité des décisions portant obligation de quitter le territoire français :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1°) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2°) Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. Il ressort des pièces des dossiers que M. et Mme E... sont entrés très récemment en France et qu'ils s'y maintiennent en situation irrégulière depuis le rejet de leur demande d'asile. Les requérants, qui se bornent à se prévaloir de la naissance de leur fille sur le territoire français, le 30 septembre 2018, ne font état d'aucune circonstance faisant obstacle à ce qu'ils reconstituent leur cellule familiale dans leur pays d'origine, dont tous les membres ont la nationalité et où ils ont vécu jusqu'à l'âge de vingt-sept et vingt-trois ans respectivement. Dans les circonstances de l'espèce, le préfet, en obligeant M. et Mme E... à quitter le territoire français, n'a pas porté au droit des intéressés au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels ces décisions ont été prises. Il s'ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut être accueilli. Il n'est pas davantage établi que le préfet aurait entaché ses décisions d'une erreur manifeste dans l'appréciation de leurs conséquences sur la situation personnelle des intéressés.
Sur la légalité des décisions fixant le délai de départ volontaire :
4. Aux termes de l'article L. 5111 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa version en vigueur à la date de la décision contestée : " (...) / II. L'étranger auquel il est fait obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de l'obligation de quitter le territoire français. L'autorité administrative peut accorder, à titre exceptionnel, un délai de départ volontaire supérieur à trente jours s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas. Le délai de départ volontaire accordé à l'étranger peut faire l'objet d'une prolongation par l'autorité administrative pour une durée appropriée s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas. L'étranger est informé par écrit de cette prolongation ".
5. M. et Mme E... soutiennent que le délai de trente jours imparti par le préfet du Rhône pour quitter le territoire français était insuffisant compte tenu du fait que Mme E... était, à la date des décisions critiquées, le 7 octobre 2019, enceinte d'un enfant à naître le 21 novembre 2019 et produisent un certificat, établi le 18 octobre 2019 par une sage-femme des Hospices civils de Lyon, indiquant qu'à cette date, l'état de grossesse de l'intéressée faisait obstacle à un voyage en avion. Il en résulte qu'à la date des décisions attaquées, M. et Mme E... ne disposaient pas effectivement d'un délai de trente jours pour quitter la France. La double circonstance que les requérants n'ont pas informé le préfet de la naissance à venir de leur enfant, d'une part, et que Mme E... aurait accouché à la date du jugement, d'autre part, ne faisait pas obstacle à ce que le préfet accorde aux intéressés, à titre exceptionnel, une prolongation du délai de départ volontaire jusqu'à la date de l'accouchement de Mme E.... Par suite, dans les circonstances particulières de l'espèce, les décisions limitant à trente jours le délai de départ volontaire qui était accordé à M. et Mme E... pour satisfaire aux mesures d'éloignement prises à leur encontre doivent être regardées comme entachées d'une erreur manifeste dans l'appréciation de leurs conséquences sur la situation personnelle des intéressés. Elles doivent, par suite, être annulées.
6. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme E... sont seulement fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande tendant à l'annulation des décisions fixant le délai de départ volontaire.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
7. Le présent arrêt, qui annule les décisions fixant le délai de départ volontaire, implique seulement que la situation de M. et Mme E..., au regard du délai imparti pour exécuter les obligations de quitter le territoire français dont ils font l'objet, soit réexaminée. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet du Rhône de réexaminer cette situation dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés à l'instance :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 700 euros à verser à Me C..., avocate de M. et Mme E..., au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que Me C... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
DÉCIDE :
Article 1er : Les décisions fixant le délai de départ volontaire contenues dans les arrêtés du préfet du Rhône du 7 octobre 2019 sont annulées.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Rhône de réexaminer la situation de M. et Mme E... au regard du délai imparti pour exécuter les obligations de quitter le territoire français dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Le jugement n° 1908184-1908185 du 17 février 2020 du magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me C... la somme de 700 euros au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que Me C... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
Article 5 : Le surplus des conclusions de M. et Mme E... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... E..., à Mme D... E..., à Me C... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet du Rhône et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Lyon en application de l'article R. 751-11 du code de justice administrative.
Délibéré après l'audience du 1er avril 2021, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président,
Mme Evrard, présidente-assesseure,
Mme B..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition du greffe, le 6 mai 2021.
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N° 20LY01807