Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 27 janvier 2021 et le 26 février 2021, Mme A..., représentée par Me Paquet, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il rejette ses conclusions dirigées contre l'arrêté du préfet du Rhône du 17 avril 2020 ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour dans le délai de quinze jours sous astreinte de 50 euros par jour de retard et de lui délivrer, dans les quarante-huit heures et sous la même astreinte, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, ou à défaut, de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois et de lui délivrer, dans les quarante-huit heures, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;
4°) à titre subsidiaire, d'ordonner avant-dire droit une expertise médicale ;
5°) dans tous les cas, de mettre à la charge de l'Etat, à payer à son conseil, une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le préfet n'a pas procédé à un examen complet de sa situation personnelle ;
- la décision portant refus de titre de séjour a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière, l'avis émis par le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration n'ayant pas été rendu à l'issue d'une délibération collégiale ; pour établir le contraire, il appartient au préfet de produire les extraits Themis relatifs à son dossier ;
- elle méconnaît le 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ; dans l'hypothèse où les éléments médicaux qu'elle produit seraient jugés insuffisamment probants, il y aura lieu d'ordonner une expertise médicale ;
- elle méconnaît l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- le préfet a méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît le 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision fixant le pays de destination méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
En application de l'article R. 611-8 du code de justice administrative, la requête a été dispensée d'instruction.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 3 mars 2021.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de Mme Lesieux, première conseillère, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante albanaise née en 1978, est entrée en France le 6 février 2016 selon ses déclarations. Sa demande d'asile a été rejetée, selon la procédure accélérée, par une décision du 30 juin 2016 du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), confirmée par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 4 juillet 2017. En conséquence, le préfet du Rhône lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, par un arrêté du 2 février 2017 dont la légalité a été confirmée par un jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon du 18 avril 2017. Le 12 avril 2019, elle a sollicité la délivrance d'un titre de séjour en faisant valoir son état de santé. En l'absence de réponse à sa demande dans le délai de quatre mois imparti par l'article R. 311-12-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur, Mme A... a saisi le tribunal administratif de Lyon d'une demande tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet de sa demande de titre de séjour. Le préfet du Rhône ayant pris un arrêté le 17 avril 2020 portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français dans le délai de quatre-vingt-dix jours et fixant le pays de destination, Mme A... s'est désistée des conclusions de sa première demande et a saisi le même tribunal d'une demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 17 avril 2020. Elle relève appel du jugement du 31 décembre 2020 en tant que le tribunal administratif de Lyon n'a pas fait droit à cette seconde demande.
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...) ". Aux termes de l'article L. 511-4 de ce code : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...) 10° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié (...) ".
3. Aux termes de l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur : " Pour l'application du 11° de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé. (...) ". Aux termes de l'article R. 313-23 de ce code : " Le collège à compétence nationale, composé de trois médecins, émet un avis dans les conditions de l'arrêté mentionné au premier alinéa du présent article (...) Le collège peut délibérer au moyen d'une conférence téléphonique ou audiovisuelle (...) ". Aux termes de l'article 6 de l'arrêté du 27 décembre 2016 visé ci-dessus : " (...) Le collège peut délibérer au moyen d'une conférence téléphonique ou audiovisuelle (...) ".
4. D'une part, il ressort des pièces du dossier, notamment des mentions figurant sur l'avis du 2 septembre 2019 du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) ayant examiné la situation de Mme A... que cet avis a été émis " après en avoir délibéré " par les trois médecins qui composent ce collège. La circonstance que ces médecins exercent leur activité professionnelle dans des villes différentes ne permet pas d'établir qu'ils n'auraient pas délibéré de façon collégiale, le cas échéant au moyen d'une conférence téléphonique ou audiovisuelle comme le prévoient les dispositions précitées de l'article R. 313-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur et de l'article 6 de l'arrêté du 27 décembre 2016. Pour contester la régularité de cet avis, Mme A... produit à l'instance des extraits du logiciel de traitement informatique Themis qui, outre qu'ils ne concernent pas l'intéressée, ne sauraient constituer, à supposer même que les médecins du collège de l'OFII signent l'avis qu'ils émettent à des dates et heures différentes, la preuve contraire quant au caractère collégial de celui-ci. Par suite, sans qu'il soit besoin avant-dire droit d'enjoindre au préfet du Rhône de produire des extraits de l'application Themis relatifs à l'examen de son dossier, Mme A... n'est pas fondée à soutenir qu'elle a été privée de la garantie tenant au débat collégial du collège des médecins de l'OFII. Son moyen tiré de ce que la décision attaquée a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière doit donc être écarté.
5. D'autre part, par son avis du 2 septembre 2019, le collège des médecins de l'OFII a estimé que l'état de santé de Mme A..., qui souffre d'un syndrome anxio-dépressif sévère, nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité mais qu'elle peut effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine et peut voyager sans risque à destination de ce pays. Pour contester le refus de titre de séjour et l'obligation de quitter le territoire français décidés par le préfet du Rhône au vu de cet avis, Mme A... fait valoir la gravité de son état de santé l'ayant conduite à des hospitalisations à la suite de tentatives de suicide, et nécessitant une prise en charge continue et un traitement pharmacologique, ce qui n'est pas contesté par le préfet qui a motivé son arrêté par la circonstance que l'intéressée peut effectivement bénéficier d'un traitement approprié en Albanie. Mme A... n'apporte à la cour aucun élément de preuve contraire. Par ailleurs, si l'intéressée soutient avoir vécu dans son pays d'origine des évènements traumatisants qui sont à l'origine de ses troubles psychiatriques, les certificats médicaux qu'elle produit, rédigés sur la foi de ses déclarations, ne permettent pas d'établir le lien entre son état de santé et les mauvais traitements invoqués, dont la réalité n'a, au demeurant, pas été regardée comme établie par l'OFPRA et la CNDA. Il s'ensuit, sans qu'il soit besoin avant-dire droit d'ordonner une expertise médicale, que l'intéressée n'établit pas qu'elle ne pourrait pas effectivement bénéficier d'un traitement approprié à son état de santé dans son pays d'origine ni qu'elle ne pourrait pas voyager à destination de ce pays. Le moyen tiré de la méconnaissance du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que celui tiré de l'erreur manifeste d'appréciation de son état de santé doivent donc être écartés.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
7. Mme A... soutient que la présence de ses deux frères violents en Albanie ne lui permet pas un retour sécurisé dans son pays d'origine. Mais outre qu'elle n'établit pas les faits de violence dont elle se prévaut ni en tout état de cause, l'impossibilité d'obtenir une protection de la part des autorités albanaises, il ressort des pièces du dossier que Mme A..., entrée en France à l'âge de trente-huit ans, y est dépourvue d'attaches familiales et n'y justifie pas d'une intégration particulière. Par ailleurs, ainsi qu'il a été dit au point 1 du présent arrêt, elle a fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement, le 2 février 2017, à la suite du rejet de sa demande d'asile par l'OFPRA, qu'elle n'a pas exécutée et s'est maintenue depuis lors sur le territoire national en situation irrégulière. Enfin, elle n'établit pas ne pas pouvoir effectivement bénéficier d'un traitement approprié à son état de santé en Albanie. Par suite, le préfet du Rhône n'a pas, par l'arrêté contesté, porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels ces décisions ont été prises. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit donc être écarté. Pour les mêmes motifs, celui tiré de l'erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle doit l'être également.
8. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2 (...) ".
9. La situation personnelle de Mme A..., telle que rappelée ci-dessus, ne caractérise pas l'existence de motifs exceptionnels au sens de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile précité. Le moyen tiré de ce que le préfet du Rhône a commis une erreur manifeste d'appréciation dans l'application de ces dispositions doit donc être écarté.
10. En quatrième lieu, il ne ressort ni des termes de l'arrêté contesté, ni des pièces du dossier que le préfet du Rhône n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation personnelle de Mme A... avant de lui opposer un refus de titre de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire français.
11. En dernier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
12. Ainsi qu'il a été dit au point 1 du présent arrêt, la demande d'asile de Mme A... a été rejetée par l'OFPRA et la CNDA. L'intéressée, qui fait valoir qu'elle a quitté son pays d'origine en raison des violences infligées par ses frères, ne se prévaut d'aucun élément nouveau sur les risques actuels encourus en cas de retour dans son pays d'origine. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté de même que celui tiré de l'erreur manifeste d'appréciation.
13. Il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte et celles présentées au titre des frais du litige doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet du Rhône.
Délibéré après l'audience du 27 janvier 2022, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président,
Mme Evrard, présidente-assesseure,
Mme Lesieux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 février 2022.
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N°21LY00297