Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 31 juillet 2018, la SAS René Curioz, représentée par Me F..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 4 juin 2018 ;
2°) de lui accorder la décharge de ces impositions ;
3°) de rétablir le déficit reportable de l'exercice clos en 2010, à hauteur de la somme de 302 460 euros ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La SAS René Curioz soutient que :
- elle peut prétendre au régime prévu au a quinquies du I de l'article 219 du code général des impôts pour les plus-values à long terme sur titres de participation réalisées par une société soumise à l'impôt sur les sociétés ;
- l'administration n'établit pas qu'elle a cédé ses titres de la SAS Curioz Loisirs à un prix minoré par rapport à leur valeur vénale ni que cette opération a été effectuée dans une intention libérale.
Par un mémoire, enregistré le 25 février 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Le ministre de l'action et des comptes publics soutient qu'aucun moyen de la requête n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Vu la décision par laquelle le président de la cour a désigné Mme H... pour exercer temporairement les fonctions de rapporteure publique en application des articles R. 222-24, 2nd alinéa et R. 222-32 du code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A... D..., présidente-assesseure,
- et les conclusions de Mme J... H..., rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. La SAS René Curioz, société holding spécialisée dans la gestion de fonds, ayant pour associés M. G... B... et Mme E... B..., qui assurent par ailleurs respectivement les fonctions de président et de directrice générale, détenait 4 490 actions des 5 000 actions de la SAS Curioz Loisirs, qui exerce une activité d'achat-revente et de réparation de camping-cars à La Balme de Sillingy (Haute-Savoie). Par un acte du 9 septembre 2009, la SAS René Curioz a cédé ces titres au prix de 698 444 euros à la SAS CDL Investissement, société holding dont le capital est détenu par Mme I... B... et par la SAS René Curioz à hauteur de, respectivement, 75 % et 25 %. La SAS René Curioz a fait l'objet en 2013 d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2011, à l'issue de laquelle l'administration, estimant que les titres de la SAS Curioz Loisirs avaient été cédés à un prix délibérément minoré par les parties dissimulant une libéralité consentie par le vendeur à l'acquéreur, a procédé à la réintégration dans les résultats de la SAS René Curioz de la somme de 1 809 086 euros, représentant l'écart entre la valeur réelle de ces titres, qu'elle a évaluée à 2 507 530 euros, et le prix dont la SAS CDL Investissement a bénéficié. L'administration a en conséquence assigné à la SAS René Curioz une cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés, au titre de l'exercice clos en 2011, assortie de majorations. A la suite de l'avis émis par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffres d'affaires le 20 juin 2014, la valeur vénale des titres de la SAS Curioz Loisirs retenue par l'administration a été réduite à la somme de 1 430 281 euros, ramenant ainsi l'écart entre la valeur vénale de ces titres et le prix dont l'acquéreur a bénéficié à 731 837 euros. La SAS René Curioz relève appel du jugement du 4 juin 2018 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2011 à raison de cette rectification, et des majorations correspondantes.
Sur l'existence d'un acte anormal de gestion :
2. En vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale. Constitue un acte anormal de gestion l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt.
3. S'agissant de la cession d'un élément d'actif immobilisé, lorsque l'administration, qui n'a pas à se prononcer sur l'opportunité des choix de gestion opérés par une entreprise, soutient que la cession a été réalisée à un prix significativement inférieur à la valeur vénale qu'elle a retenue et que le contribuable n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause cette évaluation, elle doit être regardée comme apportant la preuve du caractère anormal de l'acte de cession si le contribuable ne justifie pas que l'appauvrissement qui en est résulté a été décidé dans l'intérêt de l'entreprise, soit que celle-ci se soit trouvée dans la nécessité de procéder à la cession à un tel prix, soit qu'elle en ait tiré une contrepartie.
4. La valeur vénale d'actions non cotées en bourse sur un marché réglementé doit être appréciée compte tenu de tous les éléments dont l'ensemble permet d'obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu'aurait entraîné le jeu normal de l'offre et de la demande à la date où la cession est intervenue. L'évaluation des titres d'une telle société doit être effectuée, par priorité, par référence au prix d'autres transactions intervenues dans des conditions équivalentes et portant sur les titres de la même société ou, à défaut, de sociétés similaires. En l'absence de telles transactions, elle peut légalement se fonder sur la combinaison de plusieurs méthodes alternatives.
5. Il résulte de l'instruction que, pour déterminer la valeur vénale des titres de la SAS Curioz Loisirs, le vérificateur, d'une part, a calculé la valeur dite mathématique de ces titres, en recherchant notamment la valeur du fonds de commerce détenu par la SAS Curioz Loisirs par comparaison avec cinq opérations portant sur des fonds de commerce similaires et, d'autre part, a déterminé la valeur de productivité de ces titres, obtenue selon la formule V=R/I, où R représente le résultat net et I le taux de capitalisation, en se fondant sur le résultat net moyen de la société des trois exercices précédant la cession. Le vérificateur a ensuite retenu la moyenne de ces deux résultats selon une formule faisant intervenir trois fois la valeur mathématique pour une fois la valeur de productivité. La valeur totale des 4 490 titres de la SAS Curioz Loisirs a ainsi été fixée à 2 507 530 euros. L'administration a toutefois par la suite adopté, par mesure de bienveillance, la valeur déterminée par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires qui a fixé la valeur des titres de la SAS Curioz Loisirs selon la seule valeur mathématique, au montant proposé par la société elle-même, auquel la commission a appliqué un abattement de 20 % pour absence de liquidité, si bien que les titres ont été évalués à 1 430 281 euros.
6. En premier lieu, la SAS René Curioz soutient que les fonds de commerce retenus par l'administration pour déterminer la valeur du fonds de commerce de la SAS Curioz Loisirs ne sont pas comparables à ce dernier, de par leurs caractéristiques, leur environnement, leur zone de chalandise et l'ancienneté des opérations de cession concernées. Elle fait également valoir qu'elle a elle-même acquis le 29 novembre 2012 un fonds de commerce comparable pour la seule somme d'un euro symbolique. Il résulte toutefois de ce qui précède que, pour déterminer la valeur réelle des titres en litige, l'administration a renoncé à la méthode par comparaison initialement appliquée et a retenu la valeur proposée par la société. La circonstance, à la supposer établie, que les termes de comparaison retenus par le vérificateur ne seraient pas similaires au fonds de commerce exploité par la SAS Curioz Loisirs est donc sans incidence sur le bien-fondé des impositions en litige. Par ailleurs, dès lors que l'administration n'a pas retenu la valorisation des titres résultant de la prise en compte de leur valeur de productivité, la société requérante ne peut utilement faire valoir que la méthode de productivité ne traduirait pas la rentabilité réelle de la SAS Curioz Loisirs ni que l'administration ne pouvait valablement se fonder sur le résultat net de l'exercice clos le 31 août 2011. Si la SAS René Curioz fait en outre valoir que le Crédit agricole a évalué en 2010 ces titres à 1 500 000 euros, cette circonstance est sans incidence sur le bien-fondé des impositions en litige, lesquelles sont fondées sur une valeur inférieure, d'un montant de 1 430 281 euros. Enfin, si la société requérante soutient que le chiffre d'affaires de la SAS Curioz Loisirs a baissé de 27 % et son résultat net de 82 % au titre de l'exercice clos le 31 août 2013, une telle circonstance, postérieure de près de deux ans à la cession en litige, n'est pas, à elle seule, de nature à démontrer que les perspectives d'avenir de la société étaient défavorables à la date de la cession, alors que l'administration fait valoir, sans être contredite, que le bénéfice net de la société avait connu une hausse de plus de 100 % au cours des trois exercices précédant la cession, qui s'est poursuivie l'exercice suivant. Par suite, l'administration doit être regardée comme établissant que la cession en litige, qui a été effectuée au prix de 698 444 euros alors que la valeur réelle des titres s'élevait à 1 430 281 euros, a été réalisée à un prix significativement minoré par les parties.
7. En deuxième lieu, en se bornant à faire état de la baisse du résultat et du chiffre d'affaires de la SAS Curioz Loisirs au titre de l'exercice clos en 2013 et de l'impossibilité pour cette société de procéder à des distributions de dividendes permettant de rentabiliser l'acquisition des titres à un prix élevé, la société requérante n'établit pas qu'elle se serait trouvée dans la nécessité de procéder à la cession en litige à un prix délibérément minoré. En outre, la SAS René Curioz ne fait état d'aucun élément de nature à établir son intérêt à céder les titres en litige à un prix notablement inférieur à leur valeur réelle. Dans ces conditions, l'administration doit être regardée comme établissant que la cession en litige a été constitutive d'un acte anormal de gestion.
8. En dernier lieu, l'administration n'avait pas, contrairement à ce que la société requérante soutient, à établir, dans le cadre du rehaussement litigieux, l'intention de cette dernière d'accorder une libéralité à la SAS CDL Investissement. Le moyen tiré de ce que la SAS René Curioz n'avait pas l'intention d'octroyer un avantage à la fille de ses dirigeants, M. et Mme B..., est par suite inopérant.
Sur l'application du régime prévu au a quinquies du I de l'article 219 du code général des impôts :
9. Aux termes du I. de l'article 219 du code général des impôts, dans la version applicable au litige : " I.( ...). a quinquies. Pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2006, le montant net des plus-values à long terme afférentes à des titres de participation fait l'objet d'une imposition séparée au taux de 8 %. Ce taux est fixé à 0 % pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2007. Pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2007, une quote-part de frais et charges égale à 5 % du résultat net des plus-values de cession est prise en compte pour la détermination du résultat imposable. Cette quote-part de frais et charges est portée au taux de 10 % pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2011. "
10. La cession à prix minoré, par une entreprise, d'un élément de son actif peut conduire, lorsqu'elle ne relève pas d'une gestion normale pour l'application des articles 38 et 209 du code général des impôts ou constitue un transfert indirect de bénéfices au sens de l'article 57 du même code, à un rehaussement, à concurrence de l'insuffisance du prix stipulé, du bénéfice de la société cédante, imposable dans les conditions de droit commun prévues par ces dispositions. Elle ne peut en revanche, dès lors qu'elle constitue une libéralité, être imposée selon les régimes particuliers applicables aux plus-values professionnelles, notamment selon le régime prévu au a quinquies du I de l'article 219 du code général des impôts pour les plus-values à long terme sur titres de participation réalisées par une société soumise à l'impôt sur les sociétés. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à prétendre au régime prévu par ces dispositions, qui n'est pas applicable aux rehaussements du bénéfice imposable auxquels l'administration est en droit de procéder lorsqu'elle constate une minoration du prix de cession de titres de participation.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS René Curioz n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SAS René Curioz est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS René Curioz et au ministre de l'action et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 26 novembre 2019, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
Mme D..., présidente assesseure,
Mme C..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 17 décembre 2019.
N° 18LY02987 2
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