Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 31 juillet 2018, la SAS CDL Investissement, représentée par Me F..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 4 juin 2018 ;
2°) de lui accorder la décharge de ces impositions ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La SAS CDL Investissement soutient que l'administration n'établit pas qu'elle a acquis les titres de la SAS Curioz Loisirs à un prix minoré par rapport à leur valeur vénale ni que cette opération a été effectuée dans une intention libérale.
Par un mémoire, enregistré le 4 octobre 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Le ministre de l'action et des comptes publics soutient qu'aucun moyen de la requête n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Vu la décision par laquelle le président de la cour a désigné Mme H... pour exercer temporairement les fonctions de rapporteure publique en application des articles R. 222-24, 2nd alinéa et R. 222-32 du code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A... D..., présidente assesseure,
- et les conclusions de Mme J... H..., rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Par un acte du 9 septembre 2009, la SAS CDL Investissement, société holding dont Mme I... B... et la SAS René Curioz détiennent, respectivement, 75 % et 25 % du capital, a acquis auprès de la SAS René Curioz, société holding spécialisée dans la gestion de fonds ayant pour associés M. G... B... et Mme E... B..., lesquels assurent par ailleurs respectivement les fonctions de président et de directrice générale, 4 490 actions des 5 000 actions de la SAS Curioz Loisirs au prix de 698 444 euros. Par le même acte, la SAS CDL Investissement a acquis auprès de M. et Mme B... les dix titres de la SAS Curioz Loisirs que ces derniers détenaient à titre personnel. A l'issue d'une vérification de comptabilité de la SAS René Curioz, l'administration, estimant que les titres de la SAS Curioz Loisirs avaient été cédés à un prix délibérément minoré par les parties dissimulant une libéralité consentie par le vendeur à l'acquéreur, a réintégré dans les résultats de la SAS René Curioz la somme de 1 809 086 euros, représentant l'écart entre la valeur réelle de ces titres, qu'elle a évaluée à 2 507 530 euros, et le prix dont la SAS CDL Investissement a bénéficié. A la suite de l'avis émis par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffres d'affaires le 20 juin 2014, la valeur vénale des titres de la SAS Curioz Loisirs retenue par l'administration a été réduite à la somme de 1 430 281 euros, ramenant ainsi l'écart entre la valeur vénale de ces titres et le prix dont l'acquéreur a bénéficié à 731 837 euros. L'administration en a déduit que la SAS René Curioz avait consenti une libéralité à la SAS CDL Investissement qu'elle a en conséquence imposée en tant que revenu distribué entre les mains de l'acquéreur sur le fondement du c) de l'article 111 du code général des impôts. La SAS CDL Investissement a ainsi été assujettie à une cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos en 2012 et à des majorations. Elle relève appel du jugement du 4 juin 2018 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions.
2. D'une part, aux termes du 2 de l'article 38 du code général des impôts : " Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés (...) ". Aux termes de l'article 38 quinquies de l'annexe III au même code : " Les immobilisations sont inscrites au bilan pour leur valeur d'origine. Cette valeur d'origine s'entend : a. Pour les immobilisations acquises à titre onéreux, du coût d'acquisition (...) b. Pour les immobilisations acquises à titre gratuit, de la valeur vénale ; c. Pour les immobilisations apportées à l'entreprise par des tiers, de la valeur d'apport (...) ". Il résulte de ces dernières dispositions que, dans le cas où le prix de l'acquisition d'une immobilisation a été volontairement minoré par les parties pour dissimuler une libéralité faite par le vendeur à l'acquéreur, l'administration est fondée à corriger la valeur d'origine de l'immobilisation, comptabilisée par l'entreprise acquéreuse pour son prix d'acquisition, pour y substituer sa valeur vénale, augmentant ainsi son actif net dans la mesure de l'acquisition faite à titre gratuit, laquelle, au demeurant, correspond, si le vendeur est une entreprise passible de l'impôt sur les sociétés, à un revenu distribué imposable entre les mains de l'acquéreur en vertu du c) de l'article 111 du code général des impôts.
3. D'autre part, la valeur vénale d'actions non cotées en bourse sur un marché réglementé doit être appréciée compte tenu de tous les éléments dont l'ensemble permet d'obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu'aurait entraîné le jeu normal de l'offre et de la demande à la date où la cession est intervenue. L'évaluation des titres d'une telle société doit être effectuée, par priorité, par référence au prix d'autres transactions intervenues dans des conditions équivalentes et portant sur les titres de la même société ou, à défaut, de sociétés similaires. En l'absence de telles transactions, elle peut légalement se fonder sur la combinaison de plusieurs méthodes alternatives.
4. Il résulte de l'instruction que, pour déterminer la valeur vénale des titres de la SAS Curioz Loisirs, le vérificateur, d'une part, a calculé la valeur dite mathématique de ces titres, en recherchant notamment la valeur du fonds de commerce détenu par la SAS Curioz Loisirs par comparaison avec cinq opérations portant sur des fonds de commerce similaires et, d'autre part, a déterminé la valeur de productivité de ces titres, obtenue selon la formule V=R/I, où R représente le résultat net et I le taux de capitalisation, en se fondant sur le résultat net moyen de la société des trois exercices précédant la cession. Le vérificateur a ensuite retenu la moyenne de ces deux résultats selon une formule faisant intervenir trois fois la valeur mathématique pour une fois la valeur de productivité. La valeur totale des 4 490 titres de la SAS Curioz Loisirs a ainsi été fixée à 2 507 530 euros. L'administration a toutefois par la suite adopté, par mesure de bienveillance, la valeur déterminée par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires qui a fixé la valeur des titres de la SAS Curioz Loisirs selon la seule valeur mathématique, au montant proposé par la société elle-même, auquel la commission a appliqué un abattement de 20 % pour absence de liquidité, si bien que les titres ont été évalués à 1 430 281 euros.
5. En premier lieu, la SAS CDL Investissement soutient que les fonds de commerce retenus par l'administration pour déterminer la valeur du fonds de commerce de la SAS Curioz Loisirs ne sont pas comparables à ce dernier, de par leurs caractéristiques, leur environnement, leur zone de chalandise et l'ancienneté des opérations de cession concernées. Elle fait également valoir que la SAS René Curioz a acquis le 29 novembre 2012 un fonds de commerce comparable pour la seule somme d'un euro symbolique. Il résulte toutefois de ce qui précède que, pour déterminer la valeur réelle des titres en litige, l'administration a renoncé à la méthode par comparaison appliquée initialement et a retenu la valeur proposée par la société. La circonstance, à la supposer établie, que les termes de comparaison retenus par le vérificateur ne seraient pas similaires au fonds de commerce exploité par la SAS Curioz Loisirs est donc sans incidence sur le bien-fondé des impositions en litige. Par ailleurs, dès lors que l'administration n'a pas retenu la valorisation des titres résultant de la prise en compte de leur valeur de productivité, la société requérante ne peut utilement faire valoir que la méthode de productivité ne traduirait pas la rentabilité réelle de la SAS Curioz Loisirs ni que l'administration ne pouvait valablement se fonder sur le résultat net de l'exercice clos le 31 août 2011. Si la SAS CDL Investissement fait en outre valoir que le Crédit agricole a évalué en 2010 les titres à 1 500 000 euros, cette circonstance est sans incidence sur le bien-fondé des imposions en litige, lesquelles sont fondées sur une valeur inférieure, d'un montant de 1 430 281 euros. Enfin, si la société requérante soutient que le chiffre d'affaires de la SAS Curioz Loisirs a baissé de 27 % et son résultat net de 82 % au titre de l'exercice clos le 31 août 2013, une telle circonstance, postérieure de près de deux ans à la cession en litige, n'est pas, à elle seule, de nature à démontrer que les perspectives d'avenir de la société étaient défavorables à la date de la cession, alors que l'administration fait valoir, sans être contredite, que le bénéfice net de la société avait connu une hausse de plus de 100 % au cours des trois exercices précédant la cession qui s'est poursuivie l'exercice suivant. Par suite, l'administration doit être regardée comme établissant que la cession en litige, qui a été effectuée au prix de 698 444 euros alors que la valeur réelle des titres s'élevait à 1 430 281 euros, a été réalisée à un prix significativement minoré par les parties.
6. En deuxième lieu, en se bornant à faire état de la baisse du résultat et du chiffre d'affaires de la SAS Curioz Loisirs au titre de l'exercice clos en 2013 et de l'impossibilité pour cette société de procéder à des distributions de dividendes permettant de rentabiliser l'acquisition des titres à un prix élevé, la société requérante n'établit pas que la SAS Réné Curioz se serait trouvée dans la nécessité de procéder à la cession à un prix délibérément minoré. En outre, la SAS CDL Investissement ne fait état d'aucun élément de nature à établir l'intérêt de cette société à céder les titres en litige à un prix notablement inférieur à leur valeur réelle.
7. En dernier lieu, pour justifier que l'opération en cause procédait d'une intention libérale, l'administration fait état des liens existant entre la SAS CDL Investissement, qui a pour associée principale et présidente Mme I... B..., et la SAS René Curioz, dont les associés et dirigeants sont M. G... B... et Mme E... B..., parents de Mme I... B.... Elle fait également valoir que la SAS CDL Investissement, constituée le 5 juillet 2011, est devenue, à l'issue de l'opération de cession en litige, l'associée unique de la SAS Curioz Loisirs, permettant ainsi à M. et Mme B... de transmettre indirectement à leur fille, à un prix minoré, le principal actif de leur patrimoine professionnel. En se bornant à soutenir que M. et Mme B... n'avaient aucun intérêt à accorder un avantage au seul bénéfice de leur fille Isabelle alors qu'ils ont toujours traité de façon égalitaire cette dernière et sa soeur, la SAS CDL Investissement ne contredit pas sérieusement la présomption de libéralité résultant de l'existence des liens dont l'administration fait état, alors au demeurant qu'il résulte de la note patrimoniale établie par le Crédit agricole, produite par la SAS CDL Investissement elle-même, que l'acquisition en litige s'inscrit dans une opération d'ensemble prévoyant notamment le versement d'une soulte par Isabelle B... à sa soeur Sandrine, permettant à M. et Mme B... de transmettre leur patrimoine à leurs deux filles à parts égales. Ainsi, en invoquant les relations d'intérêt entre la SAS René Curioz et la SAS CDL Investissement, l'administration apporte la preuve qui lui incombe de l'intention de la première société d'octroyer et de la seconde de recevoir une libéralité sous la forme d'une minoration du prix de la cession de titres en cause.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS CDL Investissement n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SAS CDL Investissement est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS CDL Investissement et au ministre de l'action et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 26 novembre 2019, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
Mme D..., présidente assesseure,
Mme C..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 17 décembre 2019.
N° 18LY02991 2
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