Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 13 juin 2019, M. E..., représenté par Me D..., doit être regardé comme demandant à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 29 mars 2019 ;
2°) d'annuler ces arrêtés ;
3°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au bénéfice de son conseil au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
M. E... soutient que :
Sur l'arrêté de transfert aux autorités espagnoles :
- l'arrêté est insuffisamment motivée ;
- les dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604-2013 ont été méconnues ;
- il n'est pas établi que les autorités espagnoles ont été destinataires d'une demande de prise en charge ni qu'elles ont donné leur accord à cette mesure ;
- les dispositions de l'article 20 du règlement (UE) n° 604-2013 ont été méconnues ;
- la décision attaquée méconnaît les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604-2013 et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
Sur l'arrêté portant assignation à résidence :
- l'arrêté est illégal par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant transfert aux autorités espagnoles ;
- il est entaché d'erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire, enregistré le 13 août 2019, le préfet du Cantal conclut au rejet de la requête.
Le préfet du Cantal soutient qu'aucun moyen de la requête n'est fondé.
M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 avril 2019.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme A... B..., présidente-assesseure ;
Considérant ce qui suit :
1. M. E..., ressortissant algérien né le 27 mai 1997, est entré en France le 31 août 2018, selon ses déclarations et a sollicité son admission au séjour en qualité de demandeur d'asile le 11 décembre 2018. La comparaison du relevé décadactylaire de ses empreintes avec le fichier Eurodac a révélé que ses empreintes avaient été relevées par les autorités espagnoles le 22 novembre 2018. Le 11 décembre 2018, le préfet du Puy-de-Dôme a saisi les autorités espagnoles d'une demande de prise en charge de l'intéressé. Les autorités espagnoles ont implicitement donné leur accord à cette mesure. En conséquence, le préfet du Cantal a, par des arrêtés du 18 mars 2019, décidé le transfert de M. E... aux autorités espagnoles et l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. M. E... relève appel du jugement du 29 mars 2019 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces arrêtés.
Sur les conclusions tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire :
2. M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 avril 2019. Par suite, ses conclusions tendant à obtenir l'aide juridictionnelle provisoire sont sans objet.
Sur la légalité de la décision de transfert :
3. En premier lieu, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision de transfert, que le requérant reprend en appel sans apporter aucun élément de fait ou de droit nouveau, doit être écarté par adoption des motifs retenus à bon droit par le premier juge.
4. En deuxième lieu, M. E... soutient qu'il n'est pas établi que les autorités espagnoles ont été destinataires d'une demande de prise en charge ni qu'elles ont donné leur accord à cette mesure.
5. Le règlement (CE) n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 portant modalités d'application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, modifié par le règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, a notamment créé un réseau de transmissions électroniques entre les Etats membres de l'Union européenne ainsi que l'Islande et la Norvège, dénommé " Dublinet ", afin de faciliter les échanges d'information entre les Etats, en particulier pour le traitement des requêtes de prise en charge ou de reprise en charge des demandeurs d'asile. Selon l'article 19 de ce règlement, chaque Etat dispose d'un unique " point d'accès national ", responsable pour ce pays du traitement des données entrantes et de la transmission des données sortantes et qui délivre un accusé de réception à l'émetteur pour toute transmission entrante. Selon l'article 15 de ce règlement : " Les requêtes et les réponses, ainsi que toutes les correspondances écrites entre Etats membres visant à l'application du règlement (UE) n° 604/2013, sont, autant que possible, transmises via le réseau de communication électronique " DubliNet " établi au titre II du présent règlement (...). / 2. Toute requête, réponse ou correspondance émanant d'un point d'accès national (...) est réputée authentique. / 3. L'accusé de réception émis par le système fait foi de la transmission et de la date et de l'heure de réception de la requête ou de la réponse ". Le 2 de l'article 10 du même règlement précise que : " Lorsqu'il en est prié par l'Etat membre requérant, l'Etat membre responsable est tenu de confirmer, sans tarder et par écrit, qu'il reconnaît sa responsabilité résultant du dépassement du délai de réponse ".
6. Il résulte des dispositions citées ci-dessus du règlement (CE) n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 que la production de l'accusé de réception émis, dans le cadre du réseau Dublinet, par le point d'accès national de l'Etat requis lorsqu'il reçoit une demande présentée par les autorités françaises établit l'existence et la date de cette demande et permet, en conséquence, de déterminer le point de départ du délai de deux semaines au terme duquel la demande de reprise est tenue pour implicitement acceptée. Pour autant, la production de cet accusé de réception ne constitue pas le seul moyen d'établir que les conditions mises à la reprise en charge du demandeur étaient effectivement remplies. Il appartient au juge administratif, lorsque l'accusé de réception n'est pas produit, de se prononcer au vu de l'ensemble des éléments qui ont été versés au débat contradictoire devant lui, par exemple du rapprochement des dates de consultation du fichier Eurodac et de saisine du point d'accès national français ou des éléments figurant dans une confirmation explicite par l'Etat requis de son acceptation implicite de reprise en charge.
7. Il ressort des pièces du dossier que le préfet du Puy-de-Dôme, saisi de la demande d'admission au séjour de M. E... en qualité de demandeur d'asile a reçu, le 11 décembre 2018, le résultat de la consultation de la base Eurodac et qu'il a saisi, ce même jour, le point d'accès national français d'une requête aux autorités espagnoles aux fins de prise en charge concernant le dossier n° FR19930212901 attribué au requérant. Au surplus, l'administration verse au dossier l'accusé de réception automatique émis le 11 décembre 2018 par le point d'accès national français et l'avis d'information d'une décision d'accord implicite émis par ces mêmes autorités le 12 février 2019. Si M. E... fait valoir que la demande de prise en charge a été établie à tort au nom de M. E..., il ressort des pièces du dossier que cette mention résulte d'une indication erronée donnée par le requérant lui-même lors de l'introduction de sa demande d'asile. Il n'est pas contesté par le requérant que l'ensemble des autres informations reportées dans la demande, et notamment, ses empreintes digitales, son prénom, sa date et son lieu de naissance ainsi que le nom de ses ascendants permettent de l'identifier sans ambiguïté. Dans ces conditions, la seule circonstance que le nom du requérant comporte une erreur de plume n'est pas de nature à introduire un doute sérieux quant à la réception effective par les autorités espagnoles de la requête aux fins de prise en charge de l'intéressé. Par suite, le préfet du Cantal doit être regardé comme apportant la preuve que les autorités espagnoles ont effectivement été saisies d'une demande de prise en charge concernant M. E... et que l'accord implicite des autorités espagnoles pour cette prise en charge est intervenu avant que ne soit prise la décision de transfert.
8. En troisième lieu, M. E... soutient que l'entretien individuel ne s'est pas déroulé selon les formes et les conditions posées par l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Aux termes de ces dispositions : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. 2. L'entretien individuel peut ne pas avoir lieu lorsque: a) le demandeur a pris la fuite; ou b) après avoir reçu les informations visées à l'article 4, le demandeur a déjà fourni par d'autres moyens les informations pertinentes pour déterminer l'État membre responsable. L'État membre qui se dispense de mener cet entretien donne au demandeur la possibilité de fournir toutes les autres informations pertinentes pour déterminer correctement l'État membre responsable avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".
9. En l'espèce, il est constant que M. E... a bénéficié, le 11 décembre 2018, de l'entretien individuel prévu par les dispositions précitées de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Il ressort des pièces du dossier, et, notamment, du compte-rendu de cet entretien que ce dernier a été mené par un agent instructeur de la préfecture du Puy-de-Dôme qui l'a établi et signé. Ce compte-rendu comporte en outre le cachet de la préfecture et mentionne qu'il a été mené par un agent qualifié de la préfecture. Ni l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ni aucune autre disposition n'exige que le résumé de l'entretien individuel indique l'identité et la qualité de l'agent chargé de conduire cet entretien. Dès lors, et contrairement à ce que soutient le requérant, l'agent qui a établi ce résumé n'était pas tenu d'y faire figurer son prénom, son nom, sa qualité et son adresse administrative. En outre, la seule circonstance que le compte-rendu de cet entretien ne comporte pas l'indication de l'identité de l'agent qui l'a conduit ne suffit pas à établir qu'il n'a pas été régulièrement effectué par une personne qualifiée en vertu du droit national. Par suite, le moyen ne peut qu'être écarté.
10. En quatrième lieu, aux termes de l'article 20 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) 5. L'État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite pour la première fois est tenu, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, et en vue d'achever le processus de détermination de l'État membre responsable de l'examen de la demande de protection internationale, de reprendre en charge le demandeur qui se trouve dans un autre État membre sans titre de séjour ou qui y introduit une demande de protection internationale après avoir retiré sa première demande présentée dans un autre État membre pendant le processus de détermination de l'État membre responsable. / Cette obligation cesse lorsque l'État membre auquel il est demandé d'achever le processus de détermination de l'État membre responsable peut établir que le demandeur a quitté entre-temps le territoire des États membres pendant une période d'au moins trois mois ou a obtenu un titre de séjour d'un autre État membre. (...) ".
11. Si M. E... soutient qu'il avait quitté le territoire de l'Espagne depuis plus de trois mois à la date du dépôt de sa demande d'asile en France, il n'établit pas ni même n'allègue avoir quitté le territoire des Etats membres pendant une période d'au moins trois mois. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées du paragraphe 5 de l'article 20 du règlement (UE) n°604/213 du 26 juin 2013 doit être écarté.
12. En cinquième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (...) 2. L'État membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'État membre responsable, ou l'État membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre État membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre État membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. Les personnes concernées doivent exprimer leur consentement par écrit (...) ".
13. Si M. E... fait valoir que son père l'a hébergé lors de son arrivée en France et qu'il a depuis lors fait la connaissance de ses frères, il n'apporte aucune précision ni aucun élément de preuve de nature à établir que les membres de sa famille résident de façon stable et régulière sur le territoire français. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce qu'en ne dérogeant pas aux critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile de M. E..., le préfet du Cantal a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ne peut qu'être écarté.
Sur la légalité de la décision portant assignation à résidence :
14. M. E... se borne à reprendre, à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision portant assignation à résidence, les moyens, invoqués en première instance, tirés de ce que l'arrêté contesté serait illégal du fait de l'illégalité de la décision de transfert aux autorités espagnoles et de l'erreur manifeste d'appréciation, qui ont été écartés à bon droit par le tribunal administratif de Clermont-Ferrand. Par suite, il y a lieu de rejeter ces conclusions, par adoption des motifs du jugement, à l'encontre duquel le requérant ne formule aucune critique utile.
15. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a, par le jugement attaqué, rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte ainsi que celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent également être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... E... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet du Cantal.
Délibéré après l'audience du 22 octobre 2019, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
Mme B..., présidente assesseure,
Mme G..., première conseillère.
Lu en audience publique le 19 novembre 2019.
N° 19LY02360 2
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