Par une requête enregistrée le 4 novembre 2016, Mme F... épouse D..., représentée par Me J..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Dijon du 29 septembre 2016 ;
2°) d'annuler l'arrêté susmentionné pour excès de pouvoir ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Yonne de lui délivrer une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", ou, à défaut, de réexaminer sa situation et de lui délivrer durant cet examen une autorisation provisoire de séjour, injonction assortie d'une astreinte fixée à 150 euros par jour de retard à compter de l'expiration d'un délai de quinze jours suivant la notification du jugement à intervenir.
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au profit de Me J..., son conseil, en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée, sous réserve de sa renonciation au bénéfice de la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Elle soutient que :
S'agissant du refus de délivrance de titre de séjour :
- la décision est insuffisamment motivée au regard des exigences des articles L 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ; la motivation générale et stéréotypée est peu circonstanciée au regard de sa situation ; elle ne fait pas état de la contre indication au voyage mentionnée par le médecin de l'agence régionale de santé dans son avis ;
- la décision est entachée d'un défaut d'examen particulier et circonstancié de son état de santé et de l'existence d'un traitement approprié au Kosovo ;
- le refus attaqué a méconnu les dispositions de l'article L. 313-11 11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en ne tenant pas compte de l'avis du médecin de l'agence régionale de santé qui mentionnait une contre-indication au voyage vers son pays d'origine et l'absence de disponibilité d'un traitement approprié à son état de santé au Kosovo ; le préfet n'apporte pas d'éléments probants susceptibles de renverser cette présomption ; le jugement est entaché d'erreur de fait à cet égard ;
- l'arrêté litigieux ne se prononce pas sur son incapacité à voyager sans risque vers le Kosovo ;
S'agissant de l'obligation de quitter le territoire français :
- l'obligation de quitter le territoire est illégale du fait de l'illégalité du refus de titre de séjour ;
- cette décision ne tient pas compte de l'avis de médecin de l'agence régionale de santé quant à son incapacité à voyager sans risques vers son pays d'origine ;
S'agissant de la décision fixant le pays de renvoi :
- la décision fixant le pays de renvoi est illégale du fait de l'illégalité de la décision refusant le titre de séjour et de l'illégalité de la décision faisant obligation de quitter le territoire ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 mars 2018, le préfet de l'Yonne, représenté par Me E..., conclut au rejet de la requête.
Le préfet de l'Yonne fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par Mme F... épouse D... n'est fondé et qu'elle n'établit pas que son état de santé l'empêcherait de voyager sans risque vers son pays d'origine.
Mme F... épouse D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 novembre 2016.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et son décret d'application n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- l'arrêté du 9 novembre 2011 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des avis rendus par les agences régionales de santé en application de l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en vue de la délivrance d'un titre de séjour pour raison de santé ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme H..., première conseillère,
- les observations de Me G..., représentant le préfet de l'Yonne.
Considérant ce qui suit :
1. Mme F... épouse D..., ressortissante kosovare d'origine rom née le 21 juin 1977, est entrée irrégulièrement en France en compagnie de ses deux enfants à la date déclarée du 12 décembre 2012 pour y solliciter l'asile le 8 janvier 2013 auprès de la préfecture de la Côte d'Or. Son époux M. B... D... les aurait rejoints en avril 2013 pour y solliciter à son tour l'asile. Ces demandes ont été rejetées par l'office français de protection des réfugiés et apatrides le 13 septembre 2013, puis la Cour nationale du droit d'asile, par décisions du 31 mars 2014. M et Mme D... ont sollicité le réexamen de leurs demandes d'asile, leurs demandes ayant été rejetées par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 17 juin 2014, puis par la Cour nationale du droit d'asile le 19 décembre 2014. Mme D... a été hospitalisée d'urgence en janvier 2013 et a subi une intervention chirurgicale cardiaque. Elle a bénéficié d'une autorisation provisoire de séjour en qualité d'étranger malade le 13 août 2014 pour une période de six mois sur avis favorable du médecin de l'agence régionale de santé, autorisation valable jusqu'au 16 janvier 2014, et prolongée jusqu'au 22 février 2016. Sa demande de renouvellement de son titre de séjour en qualité d'étranger malade a été rejetée par l'arrêté litigieux du 26 avril 2016 par lequel le préfet de l'Yonne l'a, en outre, obligée à quitter le territoire français et fixé le pays de destination en cas d'exécution d'office de la mesure d'éloignement. Mme D... a saisi le tribunal administratif de Dijon d'une demande tendant à l'annulation de cet arrêté. Elle relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;
2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l'autorité administrative après avis du directeur général de l'agence régionale de santé, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative, après avis du médecin de l'agence régionale de santé de la région de résidence de l'intéressé, désigné par le directeur général de l'agence (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 313-22 du même code : " Pour l'application du 11° de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour temporaire au vu d'un avis émis par le médecin de l'agence régionale de santé compétente au regard du lieu de résidence de l'intéressé, désigné par le directeur général. ( ...)/ L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin agréé ou un médecin praticien hospitalier et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de traitement dans le pays d'origine de l'intéressé. " ; qu'aux termes de l'article 4 de l'arrêté du 9 novembre 2011 susvisé : " Au vu de ce rapport médical et des informations dont il dispose, le médecin de l'agence régionale de santé émet un avis précisant : -si l'état de santé de l'étranger nécessite ou non une prise en charge médicale ; / - si le défaut de cette prise en charge peut ou non entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur son état de santé ; / - s'il existe dans le pays dont il est originaire, un traitement approprié pour sa prise en charge médicale ; / - la durée prévisible du traitement. / Dans le cas où un traitement approprié existe dans le pays d'origine, il peut, au vu des éléments du dossier du demandeur, indiquer si l'état de santé de l'étranger lui permet de voyager sans risque vers ce pays. / Cet avis est transmis au préfet sous couvert du directeur général de l'agence régionale de santé. Celui-ci, s'il estime, sur la base des informations dont il dispose, qu'il y a lieu de prendre en compte des circonstances humanitaires exceptionnelles susceptibles de fonder une décision d'admission au séjour, transmet au préfet un avis complémentaire motivé. / Par ailleurs, dès lors que l'intéressé porterait à la connaissance du préfet des circonstances humanitaires exceptionnelles susceptibles de fonder une décision d'admission au séjour, le préfet saisit pour avis le directeur général de l'agence régionale de santé, qui lui communique son avis motivé dans un délai d'un mois. ".
3. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier, et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle. La partie qui justifie d'un avis du médecin de l'agence régionale de santé conforme à ses dires doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à faire obstacle à son éloignement. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
4. Dans le cas où le médecin de l'agence régionale de santé rend un avis conforme aux dires de l'étranger sollicitant la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement du 11° de l'article L 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, cet avis n'a pas pour effet de lier la compétence du préfet ni même de faire nécessairement présumer, sans que le préfet n'y puisse utilement opposer d'autres éléments d'appréciation portés à sa connaissance, que le demandeur remplit les conditions fixées par cette disposition pour se voir reconnaître un droit au séjour en qualité d'étranger malade.
5. Il ressort des pièces du dossier que le médecin de l'agence régionale de santé saisi pour avis par le préfet de l'Yonne, a estimé que l'état de santé de Mme F... épouseD..., qui présente une pathologie cardiaque ayant nécessité une intervention en urgence en France en janvier 2013 ayant conduit à l'ablation sous radiofréquence d'un kent malin, nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, que l'intéressée ne peut avoir accès à un traitement approprié dans son pays d'origine, qu'à la date du 6 avril 2016, il existe une contre-indication médicale momentanée au voyage vers son pays d'origine et que les soins nécessités doivent, en l'état, être poursuivis en France pendant au moins douze mois. Si pour s'écarter de cet avis, le préfet de l'Yonne a estimé que l'ensemble des éléments relatifs aux capacités locales en matière de soins médicaux et de médicaments disponibles au Kosovo, résultant notamment de la liste des médicaments disponibles dans le pays, des éléments transmis par l'ambassade de France au Kosovo et du rapport de l'Organisation internationale pour les migrations, ainsi que de l'avis du médecin, conseiller santé auprès du directeur général des étrangers en France, en date du 7 mars 2016, démontrait le sérieux et les capacités des institutions de santé kosovares, à même de traiter la majorité des maladies courantes, y compris les problèmes cardiaques, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'à la date de la décision attaquée, il ait pris en compte l'incapacité établie de Mme F... épouse D... à voyager sans risque vers son pays d'origine. Si, en défense, il soutient ne pas avoir été informé de cet état de fait, cette circonstance est démentie par l'avis explicite par lequel le médecin de l'agence régionale de santé faisait ressortir que son état de santé entravait sa capacité à voyager vers son pays d'origine. Dans ces conditions, en refusant de lui délivrer un titre de séjour, le préfet de l'Yonne, qui n'apporte aucun élément en sens contraire susceptible de remettre en cause l'avis du médecin de l'agence régionale de santé, a méconnu les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que celles du 10° de l'article L. 511-4 du même code. Par suite, Mme F... épouse D... est fondée à demander l'annulation de la décision du 26 avril 2016 par laquelle le préfet de l'Yonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour en qualité d'étranger malade ensemble la décision portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. Par voie de conséquence, il y a lieu pour la cour d'annuler la décision fixant le pays de destination.
6. Il résulte de ce qui précède que Mme F... épouse D... est fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du 26 avril 2016 par lesquelles le préfet de l'Yonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour et l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant le pays de destination.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
7. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. " ; qu'aux termes de l'article L. 911-2 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette décision doit intervenir dans un délai déterminé. ".
8. Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu pour le préfet de l'Yonne de délivrer un titre de séjour en qualité d'étranger malade à Mme F... épouse D... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il y ait lieu de prononcer l'astreinte demandée.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 et 75-I de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991:
9. Mme F... épouse D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles 37 et 75-I de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me J... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à payer à Me J... en application de ces dispositions.
DECIDE :
Article 1er : Les décisions du 26 avril 2016 par lesquelles le préfet de l'Yonne a refusé de délivrer un titre de séjour à Mme F... épouse D... et l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours en fixant le pays de destination sont annulées.
Article 2 : Le jugement n° 1601548, en date du 29 septembre 2016, du tribunal administratif de Dijon est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de l'Yonne de délivrer un titre de séjour en qualité d'étranger malade à Mme F... épouse D... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera une somme de 1 000 (mille) euros à Me I... J..., en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, sous réserve que ce dernier renonce à percevoir la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme F... épouse D... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... F... épouse D..., à Me J..., au préfet de l'Yonne et au ministre de l'intérieur. Copie du présent arrêt sera adressée au Procureur de la République près le tribunal de grande instance de Dijon.
Délibéré après l'audience du 13 mars 2018, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme H..., première conseillère,
Mme C..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 3 avril 2018.
N°16LY03698 2
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