Procédure devant la cour
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 24 février 2017, le 8 juin 2018 et le 31 août 2018, le préfet de la Nièvre demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Dijon du 16 février 2017 ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme B... en première instance.
Le préfet de la Nièvre soutient que :
- Mme B... ne l'avait pas informé, pas plus sans doute que le médecin de l'agence régionale de santé, de ce qu'une prothèse était en cours de réalisation au bénéfice de son mari ;
- son mari peut bénéficier des soins appropriés en Arménie ;
- il n'est pas établi que la famille ne peut se reconstituer en Azerbaïdjan, en Arménie ou en Russie où elle déclare avoir vécu avec son époux avant leur entrée en France ;
- les autorités arméniennes, saisies par ses soins ont indiqué que Mme B... possède la nationalité arménienne.
Par un mémoire en défense enregistré le 11 juillet 2018, Mme C... B..., représentée par Me D..., conclut au rejet de la requête, à l'annulation de la décision de refus de titre de séjour prise par le préfet de la Nièvre le 14 novembre 2016, ainsi que des décisions du même jour l'obligeant à quitter le territoire français et annulant la décision fixant le pays de destination, à ce qu'il soit enjoint au préfet de lui délivrer une carte de séjour temporaire mention " vie privée et familiale " et à la condamnation de l'Etat à lui verser 2 000 euros au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- l'état de santé de son mari nécessite une prise en charge qui ne peut avoir lieu qu'en France ;
- le refus de titre de séjour porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale ;
- la décision l'obligeant à quitter le territoire français méconnait l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- rien ne démontre que son mari et elle pourront poursuivre leur vie privée et familiale ensemble alors qu'ils ne sont pas de même nationalité.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme A..., première conseillère ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., de nationalité azerbaïdjanaise, est entrée en France en juillet 2014, accompagné de son mari, de nationalité arménienne et de leurs enfants. Ils ont sollicité le bénéfice de l'asile en vain. Le 13 juin 2016, M. B...a sollicité la délivrance d'un titre de séjour pour raisons de santé, sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 14 novembre 2016, le préfet de la Nièvre a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé l'Arménie, ou tout autre pays où il serait légalement admissible, comme pays de destination de cette mesure d'éloignement. Par un arrêté du même jour, le préfet a pris des décisions identiques à l'encontre de Mme B..., fixant toutefois comme pays de destination l'Azerbaïdjan ou tout autre pays où elle serait légalement admissible. Mme B... a saisi le tribunal administratif de Dijon d'une demande tendant à l'annulation de ces décisions. Par un jugement du 17 février 2017, le tribunal administratif de Dijon a annulé l'arrêté du préfet de la Nièvre du 14 novembre 2016 en tant qu'il n'a pas fait courir le délai de départ volontaire de trente jours à partir du 14 février 2017 et en tant qu'il n'a pas prévu que la requérante serait éloignée vers le même pays que son époux. Le préfet en relève appel dans cette mesure. Mme B... en relève appel en tant que le tribunal administratif a rejeté le surplus de ses conclusions.
Sur les conclusions d'appel de MmeB... :
En ce qui concerne le refus de titre de séjour :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1.Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale ".
3. Mme B..., née en 1979, est entrée irrégulièrement en France en juillet 2014. Si le médecin de l'agence régionale de santé a estimé en l'espèce qu'un défaut de prise en charge de son mari pouvait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'un traitement approprié n'existait pas dans le pays d'origine, le préfet a produit en première instance divers documents attestant de la possibilité pour M. B... de se voir dispenser les soins requis par son état de santé en Arménie. Mme B... ne les conteste pas utilement en se bornant à faire valoir que le système de santé n'étant pas adapté, il ne pourra pas effectivement en bénéficier. Par ailleurs, eu égard au caractère récent de son séjour en France et de ce que son époux n'y dispose pas d'un droit au séjour, elle n'est pas fondée à soutenir que la décision litigieuse méconnaitrait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ou le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
4. MmeB..., dont la demande d'asile a été rejetée par des décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et de la Cour nationale du droit d'asile, invoque la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Toutefois pas plus en appel qu'en première instance elle n'établit la réalité des risques invoqués. Le moyen doit, dès lors, être écarté.
5. Il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté le surplus de sa demande dirigé contre les décisions du 14 novembre 2016 lui refusant un titre de séjour et l'obligeant à quitter le territoire français. Ses conclusions aux fins d'injonction doivent être rejetées par voie de conséquence.
Sur l'appel du préfet :
En ce qui concerne la décision fixant le délai de départ volontaire :
6. La légalité d'une décision s'appréciant à la date à laquelle elle est intervenue, les circonstances qu'à la date de la décision litigieuse, une prothèse était en cours de réalisation et d'installation sur la personne de M. B... et un examen de contrôle était prévu le 14 février 2017 doivent être prises en compte dans l'appréciation qu'a portée le préfet sur le point de départ du délai de départ volontaire de trente jours imparti à M. et Mme B... pour exécuter l'obligation de quitter le territoire français prise à leur encontre, alors même que le certificat médical du 8 novembre 2016 n'aurait été produit par Mme B... que devant le tribunal administratif. Ainsi, le moyen tiré de ce que le préfet n'était pas tenu de prendre en compte des éléments qui n'avaient pas été portés à sa connaissance doit être écarté.
7. Le préfet soutient par ailleurs qu'un traitement approprié à son état de santé existe dans le pays d'origine de M. B.... Une telle circonstance, qui peut fonder le refus de titre de séjour, ne saurait toutefois suffire à justifier que le point de départ du délai de départ volontaire ait été fixé au 15 novembre 2016 malgré les circonstances rappelées au point 3.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
8. Il ressort des pièces du dossier que la décision litigieuse prévoit que l'intéressée pourra, à l'expiration du délai de départ volontaire, être reconduite d'office à destination de l'Azerbaïdjan ou de tout autre pays pour lequel elle établirait être légalement admissible. L'arrêté similaire concernant M. B... prévoit que ce dernier pourra être reconduit d'office à destination de l'Arménie ou de tout autre pays pour lequel il établirait être légalement admissible. Chacun de ces deux arrêtés, faute de limiter l'éloignement de l'étranger vers les pays où son conjoint ainsi que ses enfants sont légalement admissibles, permet de renvoyer les époux dans un pays différent, ce qui aurait nécessairement pour effet de séparer, même provisoirement, les membres de la cellule familiale. Si le préfet fait valoir pour la première fois en appel que Mme B... possède la nationalité arménienne, la décision litigieuse, qui mentionne l'Azerbaïdjan comme pays possible de destination, en tant qu'elle rend ainsi possible l'éloignement de l'un des époux à destination d'un pays différent de celui de son conjoint, porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de Mme B... et méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ce qui justifiait son annulation dans cette seule mesure.
9. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Nièvre n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif, d'une part, a annulé sa décision fixant le délai de départ volontaire imparti à Mme B... pour exécuter l'obligation de quitter le territoire français prise à son encontre en tant qu'il n'avait pas fixé le 14 février 2017 comme point de départ dudit délai, et, d'autre part, a annulé sa décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement en tant, seulement, qu'il n'a pas prévu que Mme B... serait éloigné vers le même pays que son époux.
Sur les conclusions relatives aux frais non compris dans les dépens :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à Mme B... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête du préfet de la Nièvre est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera 1 000 euros à Mme B... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de Mme B... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au préfet de la Nièvre, à Mme B... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 9 octobre 2018, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Menasseyre, présidente-assesseure,
Mme A..., première conseillère.
Lu en audience publique le 6 novembre 2018.
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N° 17LY00832