Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 18 décembre 2017, M. et Mme I..., représentés par Me A..., demandent à la cour :
1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 12 octobre 2017 ;
2°) de prononcer la décharge totale de ces impositions et pénalités correspondantes ; subsidiairement de prononcer la décharge de ces impositions à concurrence de l'exclusion de leurs bases imposables de prêts familiaux d'un montant de 35 000 euros et de la majoration de 40 % ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat les dépens de l'instance ainsi qu'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. et Mme I... soutiennent que :
- ils ont transféré leur foyer en Andorre dès 2007 mais ont été contraints de séjourner en France dans leur résidence secondaire au cours des années 2010 et 2011, en raison de circonstances exceptionnelles et indépendantes de leur volonté ; la mention d'une adresse en France sur leurs déclarations de revenus des années 2010 et 2011 procède d'une erreur de leur expert-comptable ; il n'y a ainsi pas lieu de rechercher leur lieu de séjour principal ; le critère du centre des intérêts économiques ne permet pas de déterminer le lieu de leur résidence fiscale ;
- les prêts familiaux ou remboursements de prêts familiaux sont présumés être des revenus non imposables et les sommes non admises par le tribunal administratif ont bien le caractère de remboursements de prêts familiaux, quand bien-même les versements ont parfois été effectués par une société gérée par des membres de leur famille ;
- les sommes inscrites au crédit de leurs comptes andorrans proviennent d'un gain réalisé au PMU en 2007, qui est leur seul revenu depuis lors ;
- l'administration n'établit pas leur intention délibérée d'éluder l'impôt.
Par un mémoire en défense enregistrés le 9 mai 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Le ministre de l'action et des comptes publics soutient que :
- ils ont déclaré résider en France au titre des années en litige et n'établissent pas avoir résidé antérieurement en Andorre ; l'examen de leurs comptes bancaires fait apparaitre qu'ils ont passé en 2010 et 2011 a minima, respectivement, 190 et 203 jours en France ; ils y ont également le centre de leurs intérêts économiques compte tenu des différents biens immobiliers qu'ils y possèdent et donnent en location ;
- le lien de parenté entre les contribuables et M. H... D... n'est pas établi et la présomption de prêt familial ne peut exister en présence d'une société ; en l'absence de contrat écrit en justifiant, les sommes versées par ces sociétés ne peuvent être regardées comme des remboursements de prêts ;
- ils n'établissent pas que le chèque correspondant à la somme gagnée au PMU en 2007 aurait été déposée sur un des comptes andorrans ;
- l'intention délibérée d'éluder l'impôt est établie.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C..., première conseillère,
- et les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. En 2012, M. et MmeI..., qui soutiennent être domiciliés en Andorre depuis 2007, ont fait l'objet d'un examen contradictoire de leur situation personnelle, à l'issue duquel l'administration, qui les regarde comme ayant alors été domiciliés en France, les a assujettis au titre des années 2010 et 2011 à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales, assorties de majorations de 40 % pour manquement délibéré. L'administration leur a également infligé des amendes pour défaut de déclaration de comptes ouverts à l'étranger au titre des années 2007 à 2011 sur le fondement de l'article 1736 du code général des impôts. M. et Mme I...ont saisi le tribunal administratif de Grenoble de trois demandes tendant à la décharge de ces impositions, pénalités et amendes. Ils relèvent appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Grenoble, après avoir prononcé un non-lieu à statuer partiel suite à une décision de dégrèvement prise par l'administration et avoir partiellement fait droit à leur demande, a rejeté le surplus de leurs conclusions.
Sur le bien-fondé des impositions :
En ce qui concerne la domiciliation fiscale :
2. Aux termes de l'article 4 A du code général des impôts : " Les personnes qui ont en France leur domicile fiscal sont passibles de l'impôt sur le revenu en raison de l'ensemble de leurs revenus. ". Aux termes de l'article 4 B du même code : " 1. Sont considérées comme ayant leur domicile fiscal en France au sens de l'article 4 A : / a. Les personnes qui ont en France leur foyer ou le lieu de leur séjour principal ; / b. Celles qui exercent en France une activité professionnelle, salariée ou non, à moins qu'elles ne justifient que cette activité y est exercée à titre accessoire ; / c. Celles qui ont en France le centre de leurs intérêts économiques ". Pour l'application des dispositions du a. du 1 de l'article 4 B précité, le foyer s'entend du lieu où le contribuable habite normalement et a le centre de ses intérêts familiaux, sans qu'il soit tenu compte des séjours effectués temporairement ailleurs en raison des nécessités de la profession ou de circonstances exceptionnelles. Le lieu du séjour principal du contribuable ne peut déterminer son domicile fiscal que dans l'hypothèse où celui-ci ne dispose pas de foyer.
3. Il résulte de l'instruction que M. et Mme I..., qui n'ont plus d'activité professionnelle depuis un important gain provenant du PMU et dont les enfants sont majeurs, ont indiqué jusqu'en 2012, dans leurs déclarations primitives de revenus, une adresse de domiciliation à Montboucher-sur-Jabron, dans la Drôme, où ils possédaient une maison d'habitation jusqu'en 2013 et à l'adresse de laquelle ils recevaient leur courrier, sans que le bureau de poste ne dispose d'une adresse de réexpédition. S'ils se prévalent de la mention d'une adresse en Andorre dans des actes notariés de vente de biens qu'ils possédaient en France en 2011, l'administration soutient sans être contredite que ces actes leur ont été néanmoins adressés à leur adresse de Montboucher-sur-Jabron. Il résulte par ailleurs des constatations non contredites de l'administration, réalisées à partir des mouvements constatés sur leurs comptes bancaires, qu'ils ont séjourné en France au moins 190 jours en 2010 et 202 jours en 2011. Dans ces conditions, l'achat d'un chalet en Andorre en 2007 et leur inscription auprès des services de l'immigration andorrans à la fin de l'année 2007, alors qu'ils ont également acquis des biens immobiliers en Espagne et en France au cours de la même année, ne permet pas de considérer qu'à l'inverse de ce qu'ils avaient eux-mêmes déclaré, ils auraient habité normalement en Andorre et y auraient eu le centre de leurs intérêts familiaux au cours des années 2010 et 2011. Il en va de même de la circonstance que leur présence en France de façon prolongée au cours de ces deux années aurait été contrainte par des évènements qui sont indépendants de leur volonté, dès lors qu'ils n'établissent pas avoir eu leur foyer en Andorre antérieurement à ces évènements. La circonstance que leurs déclarations des années litigieuses auraient été établies par un expert-comptable qui aurait été à l'origine de l'erreur réitérée d'adresse jusqu'en 2012, ne permet pas davantage de considérer que leur foyer se trouvait en Andorre au cours de la période litigieuse, M. et Mme I...étant réputés avoir approuvé les termes de ces déclarations. Les éléments mentionnés ci-avant ne permettant pas de déterminer avec certitude le lieu de leur foyer au cours des années en litige, il y a lieu de prendre en compte le lieu de leur séjour principal. A cet égard, il résulte de l'instruction, ainsi qu'il a été dit, qu'ils ont séjourné principalement en France en 2010 et en 2011, où ils doivent être regardés comme ayant été domiciliés, sans que n'ait d'incidence, dans l'appréciation de ce critère, la circonstance que leur séjour serait motivé par des raisons exceptionnelles. Au surplus, ils y avaient également le centre de leurs intérêts économiques, dès lors qu'ils y percevaient l'essentiel de leurs revenus imposables, ceux-ci, même modestes, ayant été tirés de loyers provenant de biens immobiliers situés en France et d'une pension d'invalidité dont bénéficie MmeI.en France Dans ces conditions, c'est à bon droit que l'administration a estimé qu'ils avaient leur domicile fiscal en France en 2010 et 2011 au sens des dispositions précitées du a de l'article 4 B du code général des impôts.
En ce qui concerne les revenus d'origine indéterminée :
4. Aux termes de l'article L. 16 du livre des procédures fiscales : " En vue de l'établissement de l'impôt sur le revenu, l'administration peut demander au contribuable des éclaircissements (...) Elle peut également lui demander des justifications lorsqu'elle a réuni des éléments permettant d'établir que le contribuable peut avoir des revenus plus importants que ceux qu'il a déclarés (...) ". Aux termes de l'article L. 69 du même livre : " (en France) Sont taxés d'office à l'impôt sur le revenu les contribuables qui se sont abstenus de répondre aux demandes d'éclaircissements ou de justifications prévues à l'article L. 16. ". En application de ces dispositions, M. et Mme I... qui ont insuffisamment répondu à des demandes d'éclaircissements sur les importants crédits figurant sur leurs comptes bancaires ont été régulièrement imposés d'office sur les sommes demeurées inexpliquées en tant que revenus d'origine indéterminée, dont il leur appartient de démontrer le caractère non imposable, en vertu de l'article L. 193 du livre des procédures fiscales.
5. En appel, M. et Mme I...contestent seulement la prise en compte dans leurs revenus imposables de crédits représentatifs selon eux de remboursements de prêts familiaux, à savoir, d'une part, un chèque de 10 000 euros émis par M. H... D..., qui serait le fils de Mme I...et, d'autre part, des chèques émis par les SARL Cytell (chèques de 1 000 euros et 5 000 euros) et Montboucher Façades (chèque de 10 000 euros), dont les gérants seraient la nièce et le neveu de MmeI.en France
6. S'agissant du chèque émis par M. H... D...le 28 avril 2011, M. et Mme I... se bornent à se prévaloir de ce que ce dernier possède le même patronyme que MM. B... et G...D..., dont l'administration a admis qu'ils étaient les fils de Mme I..., sans d'ailleurs qu'aucune pièce produite au dossier ne permette de l'établir. Toutefois la seule homonymie entre ces personnes ne permet pas d'en déduire qu'ils sont tous les fils de Mme I..., comme les requérants l'affirment, et alors qu'ils ne soutiennent pas, et a fortiori ne démontrent pas, qu'ils seraient dans l'impossibilité de produire les actes d'état civil permettant d'établir la filiation de cette personne. Par suite, le versement de la somme de 10 000 euros par M. H... D...ne peut bénéficier la présomption de prêt ou de remboursement de prêt familial dont les requérants se prévalent. S'agissant des sommes versées par les sociétés SARL Montboucher Façades et SARL Cytell, il ne résulte pas de l'instruction qu'elles puissent être regardées comme des remboursements de prêts en l'absence de tout contrat écrit en justifiant et, s'agissant d'entreprises commerciales, elles ne sauraient bénéficier de la présomption d'origine familiale desdites sommes, quand bien même leurs gérants seraient des neveux ou nièces de MmeI.en France Il suit de là que les requérants, qui n'invoquent aucun autre motif au versement de ces sommes, n'établissent pas qu'elles n'avaient pas le caractère de revenu imposable.
En ce qui concerne les revenus imposés sur le fondement de l'article 1649 A :
7. Aux termes des deuxième et troisième alinéas de l'article 1649 A du code général des impôts : " Les personnes physiques (...) sont tenues de déclarer, en même temps que leur déclaration de revenus ou de résultats, les références des comptes ouverts, utilisés ou clos à l'étranger. Les modalités d'application du présent alinéa sont fixées par décret. / Les sommes, titres ou valeurs transférés à l'étranger ou en provenance de l'étranger par l'intermédiaire de comptes non déclarés dans les conditions prévues au deuxième alinéa constituent, sauf preuve contraire, des revenus imposables. ".
8. Les dispositions de l'article 1649 A du code général des impôts, qui instaurent l'obligation, pour tout contribuable domicilié..., de déclarer à l'administration les références de tout compte bancaire dont il est titulaire à l'étranger, prévoient qu'à défaut d'une telle déclaration, les fonds ayant transité par ce compte constituent des revenus imposables, sauf, pour le contribuable titulaire du compte, à apporter la preuve que les sommes transférées n'entrent pas dans le champ d'application de l'impôt, en sont exonérées ou ont déjà été soumises à l'impôt.
9. Sur le fondement de ces dispositions, l'administration a regardé comme constituant des revenus imposables un montant total de 94 423 euros en 2010 et 37 975 euros en 2011, correspondant à des virements effectués sur le compte postal français de Mme I...depuis les comptes bancaires que les requérants détenaient en Andorre et qu'ils n'avaient pas déclarés à l'administration fiscale. Il résulte de l'instruction, notamment des ordres de virement produits par les requérants, que ceux-ci ont procédé au virement de deux sommes de 700 000 euros sur chacun des deux comptes qu'ils détiennent, l'un auprès de l'établissement bancaire andorran BBVA, l'autre auprès du Crèdit Andorrà et dont l'administration ne conteste pas qu'elles provenaient de leur gain au jeu. Chacun de ces virements indiquait comme motif l'achat d'un bien immobilier et il résulte de l'instruction, en particulier du relevé bancaire produit pour chacun de ces comptes, que les deux sommes en cause n'ont pas été entièrement affectées à l'achat des biens immobiliers en cause. Ainsi, il restait un solde de 136 089,41 euros sur le compte détenu auprès du Crèdit Andorrà après l'achat du bien immobilier décrit dans l'ordre de virement comme correspondant à un " chalet ", et leur compte détenu auprès de l'établissement BBVA faisait apparaitre un solde de 163 111,44 euros après l'émission de deux chèques, d'un montant total de 528 300,60 euros, pouvant correspondre à l'achat du bien immobilier décrit comme une " villa " sur l'ordre de virement correspondant. Toutefois, les requérants n'ayant produit que le relevé bancaire de décembre 2007 pour le Crèdit Andorrà et celui de novembre 2007 pour l'établissement BBVA, il n'est pas possible de vérifier que les virements effectués au cours des années 2010 et 2011 depuis leurs comptes andorrans sur leurs comptes détenus en France proviendraient du surplus des deux virements effectués en 2007. Ils ne sont, par suite, pas fondés à demander la décharge des impositions mises à leur charge à raison de ces sommes.
Sur les pénalités :
10. L'administration a assorti les rehaussements d'imposition dans la catégorie des revenus d'origine indéterminée de la pénalité de 40 % pour manquement délibéré prévue par les dispositions de l'article 1729 du code général des impôts. Elle s'est fondée notamment sur la répétition et la régularité des versements d'espèces sur leur compte bancaire, sur la pérennité des faits constatés sur l'ensemble de la période et sur l'importance des sommes en cause. Quand bien même la justification d'une partie de ces sommes a été admise en cours de procédure, l'origine d'une partie importante desdites sommes demeure inexpliquée. Si les requérants font valoir qu'ils avaient perdu toute confiance en leurs banques et ne souhaitaient pas placer durablement leur argent auprès d'établissements bancaires, cette affirmation n'est pas susceptible d'expliquer les nombreux dépôts en espèces de sommes d'argent, d'un montant en outre parfois très important. En tout état de cause, dès lors qu'ils n'ont pas été en mesure d'établir, comme cela leur incombait, le caractère non imposable des sommes qu'ils ont omis de déclarer, l'administration, qui ne s'est pas fondée sur leur comportement au cours du contrôle, leur a, à bon droit, appliqué la pénalité de 40 % prévue par les dispositions de l'article 1729 du code général des impôts.
11. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme I... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté le surplus de leurs demandes. Par voie de conséquence, leurs conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme I... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... et Mme F... I... et au ministre de l'action et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 9 avril 2019, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Menasseyre, présidente-assesseure,
Mme C..., première conseillère.
Lu en audience publique le 7 mai 2019.
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N° 17LY04271
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