Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 19 juillet 2018, M. C... F..., représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon du 24 avril 2018 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 17 avril 2018 par lequel le préfet de la Loire a décidé sa remise aux autorités italiennes et l'a assigné à résidence ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Loire de l'autoriser à déposer sa demande d'asile en France dans un délai de quinze jours, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
M. C... F...soutient que :
- la décision de transfert est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation et méconnaît l'article 17 du règlement nº 604/2013 du 26 juin 2013 en raison de son état de santé non pris en charge en Italie en raison des défaillances systémiques de ce pays ;
- la décision de transfert méconnaît l'article 3 du règlement nº 604/2013 du 26 juin 2013 car le dispositif de l'asile en Italie est touché par des défaillances systémiques ;
- la décision de transfert méconnait les articles 31 et 32 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, en l'absence d'assurances prises quant à sa prise en charge matérielle, compte tenu de son état de santé ;
- la décision de transfert lui a été notifiée sans qu'il bénéficie de l'assistance d'un interprète en langue arable.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 mars 2019, le préfet de la Loire conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le requérant n'a repris aucun des moyens soulevés en première instance à l'encontre de la décision d'assignation à résidence ;
- la mesure de transfert n'ayant pas été exécutée dans le délai de six mois qui lui était imparti, elle doit être regardée comme ayant été implicitement abrogée et il n'y a plus lieu de statuer sur sa légalité.
M. C... F...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 12 juin 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B..., première conseillère,
- et les observations de Me D..., représentant M. C... F... ;
Considérant ce qui suit :
1. M. C... F..., ressortissant soudanais, né le 14 février 1980, est entré en France en juillet 2017, où il a introduit une demande de protection internationale. Par un arrêté du 17 avril 2018, le préfet de la Loire a décidé son transfert aux autorités italiennes et son assignation à résidence. Il relève appel du jugement par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur l'exception de non-lieu à statuer soulevée par le préfet :
2. Un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un acte administratif n'a d'autre objet que d'en faire prononcer l'annulation avec effet rétroactif. Si, avant que le juge n'ait statué, l'acte attaqué est rapporté par l'autorité compétente et si le retrait ainsi opéré acquiert un caractère définitif, il emporte alors disparition rétroactive de l'ordonnancement juridique de l'acte contesté, ce qui conduit à ce qu'il n'y ait pas lieu pour le juge de la légalité de statuer sur le mérite du pourvoi dont il était saisi. Il en va ainsi, quand bien même l'acte rapporté aurait reçu exécution. En revanche, dans le cas où l'administration se borne à procéder à l'abrogation de l'acte attaqué ou dans le cas où ce dernier devient caduc, ces circonstances privent d'objet le recours formé à son encontre, à la double condition que cet acte n'ait reçu aucune exécution pendant la période où il était en vigueur et que la décision procédant à son abrogation ou sa caducité soient devenues définitives.
3. En l'espèce, l'arrêté du 17 avril 2018 du préfet de la Loire décidant le transfert de M. C... F...aux autorités italiennes en vue de l'examen de sa demande d'asile a reçu un commencement d'exécution notamment en fondant l'arrêté du même jour ordonnant son assignation à résidence. Cette mesure d'exécution fait obstacle à ce que la délivrance à l'intéressé d'une attestation de demande d'asile en procédure normale le 17 octobre 2018 permette de regarder la requête de M. A... tendant à l'annulation de ces décisions et du jugement attaqué comme privée d'objet. Par suite, l'exception de non-lieu à statuer soulevée par le préfet de la Loire doit être écartée.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
4. Aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 susvisé : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers (...) sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux (...). La demande est examinée par un seul Etat membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable (...) ; / (...) 2. (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable (...) ".
5. L'Italie étant membre de l'Union Européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il doit être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat membre est conforme aux exigences de la convention de Genève ainsi qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cette présomption est toutefois réfragable lorsqu'il y a lieu de craindre qu'existent des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant. Dans cette hypothèse, il appartient à l'administration d'apprécier dans chaque cas, au vu des pièces qui lui sont soumises et sous le contrôle du juge, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités italiennes répondent à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.
6. M. C... F...invoque l'existence de défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Italie et se réfère à cet égard à plusieurs rapports publiés en 2011 et 2017 par des organisations non gouvernementales, ainsi qu'à des articles de presse. Cependant, et malgré les difficultés réelles rencontrées par cet Etat compte tenu de l'importance des flux de demandeurs d'asile auquel il est confronté, M. C... F...n'établit pas qu'à la date à laquelle l'arrêté en litige a été pris, la situation générale qui régnait en Italie ou l'organisation mise en place par les autorités ne permettraient pas d'assurer un niveau de protection suffisant aux demandeurs d'asile. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que la demande d'asile du requérant ne serait pas traitée par les autorités italiennes, qui ont accepté la reprise en charge de M. C... F..., dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile et que M. C... F...courrait en Italie un risque réel d'être soumis à des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. La décision de transfert contestée ne méconnaît donc pas les dispositions précitées du 2 de l'article 3 du règlement (UE) du 26 juin 2013.
7. Aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ".
8. A l'appui du moyen tiré de ce que la décision litigieuse méconnaitrait l'article 17 précité, M. C... F...fait valoir son état de santé. Toutefois, s'il établi être atteint d'une affection nécessitant un traitement médical, il ne donne aucune précision sur la nature et la durée du traitement médical requis, de sorte qu'il n'établit pas que ce traitement, à supposer qu'il doive être poursuivi, ne pourrait lui être dispensé en Italie. Il ne ressort par ailleurs pas des pièces du dossier que son état de santé serait incompatible avec tout déplacement comme il l'affirme. Il suit de là que doit être écarté le moyen tiré de ce que le préfet de la Loire aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas application de la clause discrétionnaire prévue par les dispositions rappelées de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013.
9. Aux termes de l'article 26 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " (...) Lorsque la personne concernée n'est pas assistée ou représentée par un conseil juridique (...) les États membres l'informent des principaux éléments de la décision, ce qui comprend toujours des informations sur les voies de recours disponibles et sur les délais applicables à l'exercice de ces voies de recours, dans une langue que la personne concernée comprend (...) ". Aux termes de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. (...) Cette décision est notifiée à l'intéressé. Elle mentionne les voies et délais de recours ainsi que le droit d'avertir ou de faire avertir son consulat, un conseil ou toute personne de son choix. Lorsque l'intéressé n'est pas assisté d'un conseil, les principaux éléments de la décision lui sont communiqués dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu'il la comprend. ".
10. Si ces dispositions peuvent avoir une incidence sur l'opposabilité des voies et délais de recours, elles sont sans incidence sur la légalité de la décision ordonnant le transfert. Par suite les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions de l'article 26 du règlement Dublin III et de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être écartés
11. M. C... F...se prévaut également de la méconnaissance des articles 31 et 32 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. Toutefois ces dispositions, relatives à l'échange d'informations pertinentes et de données concernant la santé avant l'exécution d'un transfert ne concernent que l'exécution des décisions de transfert et leur éventuelle méconnaissance est sans incidence sur leur légalité.
12. Il résulte de ce qui précède que M. C... F...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et celles présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. C... F...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... C...F...et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Loire.
Délibéré après l'audience du 9 avril 2019, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Menasseyre, présidente-assesseure,
Mme B..., première conseillère.
Lu en audience publique le 7 mai 2019.
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N° 18LY02713
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