Par une requête enregistrée le 3 juillet 2014, la SCI Carre Bertholet, représentée par Me A... demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble, en date du 13 juin 2014 ;
2°) de lui accorder la décharge des impositions contestées restant à sa charge et des pénalités correspondantes ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
En ce qui concerne le bien-fondé de l'imposition litigieuse :
- s'agissant d'une vente en l'état futur d'achèvement, le fait générateur de la taxe sur la valeur ajoutée n'est intervenu qu'en 2008 lors de la livraison, dès lors que l'acte passé au moment de l'acquisition du terrain ne comportait qu'une promesse de dation en paiement et stipulait que cette dation serait constatée par un acte ultérieur constatant la livraison des locaux ;
- la taxe sur la valeur ajoutée ayant été effectivement réglée au 31 décembre 2008, le redressement devait être compensé avec le paiement déjà intervenu ; l'administration était tenue, sur le fondement de la loi et sur celui de la doctrine, de procéder à une compensation entre les rappels de taxe sur la valeur ajoutée litigieux et la taxe qu'elle a acquittée ;
- en l'absence de démonstration de fraude ou d'évasion fiscale, l'administration n'était pas fondée à substituer la valeur vénale au prix convenu entre les parties ;
En ce qui concerne les pénalités :
- l'absence de déclaration de taxe sur la valeur ajoutée sur la dation en paiement n'est pas constitutive d'un manquement délibéré dès lors que la déclaration de cette taxe, en décembre 2008, résultait d'un problème d'organisation comptable ;
- en l'absence de relation d'intérêts, la seule insuffisance de prix ne permettait pas de caractériser un manquement délibéré ; l'administration n'apporte pas la preuve qui lui incombe quelle aurait commis un manquement délibéré.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 décembre 2014, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête ;
Le ministre soutient que :
Sur le fait générateur et l'exigibilité de la taxe sur la valeur ajoutée de la vente en l'état futur d'achèvement :
- à titre principal, le fait générateur rendant la taxe sur la valeur ajoutée exigible est constitué par l'acte qui constate l'opération, c'est-à-dire par l'acte initial de vente du terrain à bâtir et non par la livraison des locaux ; en l'espèce c'est la date du 29 mai 2006 qu'il convient de retenir, date de l'acte initial de vente du terrain à bâtir et de l'acte de vente en VEFA des appartements garages et parkings à bâtir sur ce terrain et à livrer au vendeur du terrain, lequel constitue un acte de cession des locaux et non de promesse de dation ; si la livraison des locaux a eu lieu le 10 août 2008 la SCI n'a pas déclaré à ce moment, ni à aucune autre date au cours de la période vérifiée la taxe sur la valeur ajoutée collectée sur cette vente ; or la taxe sur la valeur ajoutée aurait dû être déclarée sur la déclaration CA3 de mai 2006 ; dans ces conditions la SCI ne peut soutenir que la taxe sur la valeur ajoutée était due lors de la livraison par remise des clefs et prise de possession des biens par l'acquéreur, livraison qui au demeurant serait intervenue au mois de mars 2008 alors que les documents intitulés " prise de possession " sur lesquels elle s'appuie ne sont pas datés et qu'elle indique dans ses écritures que le mois de décembre 2008 se situe dans le trimestre de livraison ;
- à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour considérerait que la taxe était due au titre du mois de mars 2008, l'administration invoque le droit de compensation qu'elle tient de l'article L. 203 du livre des procédures fiscales dès lors que la SCI a fait l'objet d'un avis de mise en recouvrement couvrant la période du 1er avril 2006 au 1er janvier 2009 ;
Sur la minoration du prix de vente :
- dans la mesure où le prix de vente des biens en l'état futur d'achèvement à M. B... s'écartait sensiblement des prix de vente des biens similaires vendus dans l'ensemble immobilier à construire dénommé Carré Bertholet, le service a déterminé la valeur vénale des biens vendus à M. B... ; cette estimation a été revue à la baisse par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires qui a évalué la valeur vénale des biens cédés à 1 150 000 euros, soit une insuffisance de taxe sur la valeur ajoutée de 77 908 euros pour une insuffisance de base taxable de 250 000 euros ; les parties étaient en relations d'intérêt dès lors que chacune était liée par la cession que l'autre était prête à lui consentir ; dans ces conditions, la volonté d'évasion fiscale est présumée du seul fait de l'insuffisance significative du prix ; en tant que professionnel de l'immobilier la SCI n'ignorait pas que le prix de vente à M . B... des immeubles en VEFA ne correspondait pas aux prix du marché, ainsi que cela ressort de l'analyse des éléments chiffrés communiqués par celle-ci à sa banque lors de l'ouverture de crédit du 23 mai 2006, quelques jours avant la signature de l'acte de vente à MB..., la SCI ayant d'ores et déjà prévu de revendre à cette date les bâtiment B et C à des prix respectivement de 54 % et 60 % plus élevé que le prix consenti à M.B... ; la SCI n'ignorait pas non plus que le prix de vente par tantième à M. B... se situait largement en dessous du prix de revient prévisionnel de l'opération ; la taxe sur la valeur ajoutée insuffisamment collectée par le vendeur ne pouvait être déduite par l'acquéreur, personne physique non assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée ; le préjudice pour l'administration fiscale résultant de la minoration du prix de cession en l'état futur d'achèvement qui correspondait à l'acquisition du terrain à bâtir, assimilable à de l'évasion fiscale, ne s'est pas limité à la taxe sur la valeur ajoutée, mais s'est également traduit par une minoration de l'impôt sur les plus-values dû par l'acquéreur, dès lors que l'acquisition du terrain était ancienne (1996) ; alors que l'importance de l'insuffisance de prix a été reconnue par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, et a été établie par l'administration fiscale, et que l'évasion fiscale est caractérisée par la volonté délibérée des parties qui étaient en relations d'intérêt, l'administration pouvait, en application des articles 27 de la 6ème directive et 266-2 b du code général des impôts substituer la valeur vénale des immeubles aux prix déclarés pour l'assiette de la taxe sur la valeur ajoutée ;
Sur la demande de compensation :
- Si la SCI Carre Berthollet soutient que la taxe sur la valeur ajoutée due à hauteur de 147 492 euros aurait dû être compensée par le trop réglé de 67 919 euros dû à une erreur de taux, toutefois une compensation ne peut être opérée avec les surtaxes éventuellement reconnues au cours de la même vérification que dans les cas où elles concernent des opérations imposables réalisées au cours d'une même année ou d'un même exercice commercial ; en conséquence, aucune compensation n'était possible entre une insuffisance se rapportant à une période du 19 avril au 31 décembre 2006 et des surtaxes constatées sur des périodes postérieures ; il appartenait à la société de présenter, le cas échéant, une demande de remboursement de crédit de taxe sur la valeur ajoutée ; la possibilité en ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée de compenser globalement les droits formant surtaxe et ceux résultant d'omissions ou d'insuffisances d'imposition pour l'ensemble de la période litigieuse et non année par année, évoquée par la SCI, concerne la compensation prévue en matière contentieuse par les articles L. 203 à L. 205 du livre des procédures fiscales et non celle possible au stade de la procédure de redressement ; en l'espèce, la société ne peut demander le bénéfice de la compensation prévue par les dispositions de l'article L. 205 du livre des procédures fiscales dès lors qu'elle ne remplit pas les conditions ;
Sur les pénalités pour manquement délibéré :
En ce qui concerne leur motivation :
- la proposition de rectification est suffisamment motivée et précise les éléments qui démontrent le caractère délibéré du manquement sans même faire référence à l'importance du rappel ;
En ce qui concerne la pénalité pour défaut de déclaration de taxe sur la valeur ajoutée relative à la vente en l'état futur d'achèvement du 29 mai 2006 :
- la SCI n'est pas fondée à invoquer l'incompétence de son comptable pour se dédouaner de sa mauvaise foi ; la majoration pour manquement délibéré sanctionne l'omission de déclaration qui s'est prolongée pendant plus de deux ans après l'exigibilité de la taxe qui pour une VEFA ne déroge pas aux règles de droit commun d'exigibilité de la taxe ; même si elle considérait que la taxe sur la valeur ajoutée n'était devenue exigible qu'au moment de la livraison, dont la date varie entre le 10 août 2008 selon le procès verbal d'état des lieux et le 31 octobre 2008, date de la comptabilisation de l'opération, elle n'a toutefois pas déclarée la taxe sur VEFA sur la période vérifiée ; la SCI n'ignorait pas l'insuffisance de déclaration de la taxe sur la valeur ajoutée collectée et ne peut invoquer l'absence de compétence du cabinet comptable de sa maison mère alors qu'elle a bien déclaré la taxe des autres ventes en l'état futur d'achèvement ; en ne corrigeant pas cette discordance, elle a sciemment commis l'infraction ; la société elle-même admet avoir manqué à ses obligations déclaratives ; sa mauvaise foi est établie ; le préjudice pour le Trésor existe dès lors que la déclaration de cette taxe aurait conduit à une diminution de ses crédits de taxe ;
En ce qui concerne la pénalité pour minoration du prix de vente consenti à M.B... :
En tant que professionnel de l'immobilier, la SCI ne pouvait ignorer que la cession au bénéfice de M. B... était réalisée à un prix inférieur au prix du marché dans la mesure où des biens aux caractéristiques identiques, au sein du même programme immobilier ont été cédés moyennant un prix bien supérieur de l'ordre de 38 % à 43 % correspondant à la valeur vénale des biens ; elle ne pouvait ignorer, lors de la signature de l'acte de vente, que le prix consenti à M. B... se situait très largement en dessous du prix de revient prévisionnel de l'opération mentionné dans l'acte d'ouverture de crédit communiqué par la SCI à sa banque ; l'administration établie la volonté d'évasion fiscale du fait des relations d'intérêt liant les parties dans cette transaction ; la valeur vénale s'apprécie à la date du fait générateur de la taxe sur la valeur ajoutée c'est-à-dire à la date de l'acte notarié opérant la vente en l'état futur d'achèvement, soit le 29 mai 2006, date des deux actes notariés constatant la dation en paiement, c'est-à-dire l'accord entre les parties sur la chose et le prix et donc la mutation ; le compromis de vente du terrain du 10 décembre 2004 ne comporte qu'une promesse de dation en paiement sans précisément désigner et identifier les lots concernés ; il était en outre assorti de deux conditions suspensives, tenant à l'obtention d'une ligne de crédit et à l'obtention d'un permis de construire ; lorsqu'une vente est assortie d'une condition, la taxe sur la valeur ajoutée n'est perçue que lors de la réalisation de la condition ; l'article 676 du code général des impôts dont se prévaut la SCI conduit à faire abstraction, comme en matière de taxe sur la valeur ajoutée, pour la liquidation de l'impôt, de l'effet rétroactif de la condition ; en minorant en toute connaissance de cause, le prix de la vente effectuée au profit de M. B..., la SCI a délibérément minoré la base d'imposition de la taxe sur la valeur ajoutée collectée
Par un mémoire, enregistré le 23 janvier 2015, la SCI Carré Berthollet conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens et sollicite la compensation entre le supplément de taxe sur la valeur ajoutée résultat de la rectification de la base imposable à la taxe sur la valeur ajoutée sur la dation et le surplus d'imposition qu'elle a réglé en raison de l'erreur sur le taux de la taxe ;
Elle soutient, en outre, que :
- le régime de la taxe sur la valeur ajoutée immobilière appliqué en France avant la réforme de 2010 était incompatible avec les principes de la directive européenne concernant la taxe sur la valeur ajoutée, notamment en ce qui concerne les ventes en l'état futur d'achèvement d'immeubles pour lesquels le fait générateur était l'acte de vente ; en ce qui concerne les dations en paiement, constituées d'une double vente, celle d'un terrain à bâtir et celle d'immeubles en l'état futur d'achèvement, la loi du 9 mars 2010, conforme à la directive, prévoit que le fait générateur de la taxe est la remise des immeubles ou le paiement du prix s'il est antérieur ; c'est la règle applicable erga omnes et sans condition de temps ; si le terrain à bâtir est devenu sa propriété dès la signature de l'acte en 2006, les immeubles ne sont devenus la propriété du vendeur du terrain que lors de leur livraison ; elle admet cependant que le fait générateur de la taxe est l'acte de vente grâce auquel elle est devenue propriétaire en 2006 ;
- alors que les prix de l'immobilier ont subi une forte évolution à la hausse, elle était tenue par les termes du contrat sous condition suspensive signé en 2004 entre les parties ;
- la substitution d'une valeur vénale au prix stipulé dans l'acte pour établir la base imposable à la taxe sur la valeur ajoutée est contraire au principe de neutralité de la taxe posé par la directive ; une telle substitution ne peut intervenir que si le contribuable est de mauvaise foi ;
- l'existence d'une relation d'intérêt entre les parties n'est pas démontrée alors que les parties n'ont conclu qu'une seule opération et ne sont liées en dehors de celle-ci par aucun lien d'intérêt ; l'acte anormal de gestion n'est pas établi ; les relations d'affaires et d'intérêt sont appréciées en dehors du contrat ou de l'opération en cause et doivent être constantes et continues ;
- en matière de sanctions fiscales, le contribuable bénéficie des droits de la défense prévus par l'article 6 §2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dont la présomption d'innocence et la lisibilité des lois ;
- elle est de bonne foi, et, compte tenu de la complexité des règles en matière de fiscalité immobilière, on ne peut lui reprocher de s'être trompée ;
- abandonnant son moyen tenant à l'année d'imposition, sa demande de compensation est devenue sans objet ; elle sollicite toutefois, la compensation entre le supplément de taxe sur la valeur ajoutée résultat de la rectification de la base imposable à la taxe sur la valeur ajoutée sur la dation et le surplus d'imposition qu'elle a réglé en raison de l'erreur sur le taux de la taxe ; cette compensation est de droit puisqu'elle porte sur la période vérifiée ;
Par un mémoire enregistré le 8 juillet 2015, la SCI Carré Berthollet persiste dans ses écritures ;
Elle soutient, en outre, que ;
- il appartenait au service et aux premiers juges de rechercher si l'écart constaté entre la valeur vénale des immeubles vendus à M. B...et le prix convenu dans l'acte n'avait pas pour contrepartie l'écart existant entre la valeur vénale du terrain à bâtir reçu en échange et le prix convenu dans l'acte de vente dès lors que l'acquisition du terrain lui a permis de réaliser un profit important qui a été soumis à l'impôt sur les sociétés ; dans la mesure où les valeurs vénales respectives du terrain à bâtir et des immeubles vendus étaient équivalentes, aucune libéralité n'a été accordée à M. B...et aucun avantage occulte n'a été consenti ;
- à défaut de rechercher l'existence d'un écart entre les valeurs vénales des termes de la dation en paiement, les premiers juges ont insuffisamment motivé leur décision et commis une erreur de droit ;
- elle reconnaît l'intérêt qu'elle avait à vendre à M. B...que l'on peut regarder comme l'apporteur d'affaires ; c'est la raison pour laquelle l'administration a entendu modifier le fondement légal de son redressement passant de l'acte anormal de gestion à celui de l'avantage occulte consenti ; la contrepartie tient ici dans la réalisation des opérations immobilières portant sur les bâtiments B et C, comme elle le reconnaît ; en omettant de rechercher si l'écart de prix n'avait pas pour contrepartie la réalisation du projet immobilier, les premiers juges ont commis une erreur de droit ;
Par un mémoire, enregistré le 1er février 2016, le ministre des finances et des comptes publics persiste dans ses écritures ;
Le ministre soutient, en outre, que :
- l'administration fiscale a démontré que la SCI avait volontairement minoré la base d'imposition de la taxe sur la valeur ajoutée collectée en minorant, en toute connaissance de cause, le prix de la vente effectuée au profit de M.B... ; elle a donc pu appliquer les majorations pour manquement délibéré sans contrevenir aux stipulations de l'article 6 §2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales garantissant la présomption d'innocence ;
- la cour administrative d'appel de Bordeaux a, dans un arrêt du 12 février 2015, confirmé que la SCI avait délibérément minoré le prix de vente des biens immobiliers cédés à M. B... et que l'administration fiscale avait établi l'intention de la société d'octroyer une libéralité du fait des conditions de la cession ; c'est la particularité de l'opération de dation en paiement qui établit l'intention commune de libéralité en matière de taxe sur la valeur ajoutée, ce qui n'existe pas pour l'impôt de distribution ;
- la SCI ne peut utilement soutenir que les parties ne seraient liées que par une seule opération dès lors que la relation d'intérêt résulte d'une double opération, l'une de vente d'un terrain à bâtir par M. B...à la SCI, l'autre de vente en état futur d'achèvement de biens et droits immobiliers par la SCI à M.B... ; au surplus les relations d'affaires entre les parties se sont poursuivies au-delà des ventes conclues le 29 mai 2006 puisque la SCI Carré Berthollet a vendu à M. B...deux parkings couverts par acte du 16 avril 2008 et un parking couvert et cinq parkings aériens par acte du 3 juillet 2009 ;
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme ;
- la directive 2006/112 CE du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, abrogeant la sixième directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 ;
- le code civil ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Terrade, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Besse, rapporteur public.
1. Considérant que la société civile immobilière (SCI) Carré Berthollet, gérée par la société SAGEC (Société des Alpes de Gestion et de Commercialisation) exerce à titre principal une activité de promotion immobilière ; qu'à ce titre elle a pour objet social le support juridique du programme immobilier dénommé Carré Berthollet à Annemasse et a réalisé dans ce cadre des opérations concourant à la production et à la livraison d'immeubles à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel, opérations soumises à la taxe sur la valeur ajoutée immobilière en application des dispositions du 7° de l'article 257 du code général des impôts ; que cette société a sollicité par courrier du 12 mai 2006 son assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée selon le régime des encaissements ; qu'elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 19 avril 2006 au 31 janvier 2009 à l'issue de laquelle elle a été assujettie à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, notifiés selon la procédure contradictoire, assortis de majorations pour manquement délibéré ; que par la présente requête, la SCI Carré Berthollet relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande de décharge de ces impositions supplémentaires ;
Sur le bien-fondé de l'imposition :
2. Considérant que, par acte notarié en date du 29 mai 2006, la SCI Carré Berthollet a acquis auprès d'un particulier, M.B..., un terrain à bâtir situé sur la commune d'Annemasse en vue de la construction d'un ensemble immobilier, composé de trois bâtiments collectifs à usage d'habitation ; que l'acte notarié stipule que le prix de vente hors taxes de 900 000 euros est, d'un commun accord entre les parties, converti dans l'obligation pour l'acquéreur de livrer au vendeur au plus tard le 31 janvier 2008 une partie de l'immeuble que la société s'engage à édifier sur ce terrain ; que, par acte notarié du même jour, la SCI Carré Berthollet a vendu en l'état futur d'achèvement à M. B... une série de lots de l'ensemble immobilier à construire sur le terrain à bâtir qu'elle venait d'acquérir, à savoir neuf appartements, neuf garages et sept parkings aériens, dont les types, les surfaces et la situation sont précisés, pour un prix de 900 000 euros toutes taxes comprises, payé " par compensation avec la somme de même montant formant le prix de la vente du terrain " ; que, toutefois, lors des opérations de contrôle, l'administration a constaté que la SCI Carré Berthollet n'avait pas déclaré la taxe sur la valeur ajoutée grevant cette vente de biens immobiliers en l'état futur d'achèvement entrant pourtant dans le champ d'application du 7° de l'article 257 du code général des impôts, ni sur la déclaration CA3 de mai 2006, ni lors de la livraison des biens immobiliers en mars 2008, ni à aucun autre moment sur la période vérifiée, ce qui n'est pas contesté, bien qu'elle ait comptabilisé la taxe relative à cette opération en décembre 2008 sur un compte " taxe sur la valeur ajoutée à régulariser " ; que l'administration a également constaté que le prix de vente des locaux à construire au bénéfice de M. B... en échange du terrain à bâtir sur lequel ils devaient être édifiés était significativement inférieur, de l'ordre de 35 % à 43 %, au prix du marché tel qu'il ressortait des actes de vente des biens comparables cédés au sein du même programme immobilier la même année par la SCI à d'autres acheteurs ; que l'administration a par conséquent substitué la valeur vénale appréciée à la date de l'acte de dation, au prix convenu par les parties et a rappelé les droits de taxe sur la valeur ajoutée y afférents ;
3. Considérant que la SCI Carré Berthollet conteste la date du fait générateur de la taxe retenue par l'administration ainsi que la date à laquelle la valeur vénale des lots à construire a été appréciée en faisant valoir que, malgré la hausse des prix de l'immobilier enregistrée sur cette période, elle était tenue par les termes de l'accord passé en décembre 2004 avec M. B... et ne pouvait par conséquent revenir sur le prix fixé à cette occasion sans risquer de compromettre l'opération immobilière ; que l'appelante soutient que s'agissant de la vente de biens immobiliers en l'état futur d'achèvement, la loi française était alors incompatible avec les dispositions de la 6ème directive relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ; qu'elle soutient, en outre, que l'évasion fiscale n'étant pas démontrée en l'absence de relation d'intérêt entre les parties, l'administration ne pouvait procéder à la substitution de la valeur vénale au prix convenu entre les parties, sans méconnaître le principe de neutralité fiscale de la taxe garanti par la 6ème directive, une telle substitution étant disproportionnée par rapport au but recherché dans la mesure où elle déroge de manière globale et systématique aux prescriptions de la 6ème directive ;
En ce qui concerne le fait générateur de la taxe sur la valeur ajoutée :
4. Considérant qu'aux termes de l'article 1289 du code civil : " Lorsque deux personnes se trouvent débitrices l'une envers l'autre, il s'opère entre elles une compensation qui éteint les deux dettes, de la manière et dans les cas ci-après exprimés. " ; qu'aux termes de l'article 1290 du même code : " La compensation s'opère de plein droit par la seule force de la loi, même à l'insu des débiteurs ; les deux dettes s'éteignent réciproquement, à l'instant où elles se trouvent exister à la fois, jusqu'à concurrence de leurs quotités respectives. " ; qu'aux termes de l'article 1583 du code civil : " [une vente] est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l'acheteur à l'égard du vendeur, dès qu'on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n'ait pas encore été livrée ni le prix payé. " ;
5. Considérant qu'aux termes de l'article 257 du code général des impôts dans sa version applicable : " Sont également soumis à la taxe sur la valeur ajoutée : (...) 7° Les opérations concourant à la production ou à la livraison d'immeubles (...) " ; qu'aux termes de l'article 269-1 dans sa rédaction alors applicable à l'imposition contestée : " 1. Le fait générateur de la taxe se produit (...) c) pour les mutations à titre onéreux (...) entrant dans le champ d'application du 7° de l'article 257, à la date de l'acte qui constate l'opération ou, à défaut, au moment du transfert de propriété ; (...) " ; qu'ainsi en vertu de ces dispositions, le fait générateur de la taxe sur la valeur ajoutée dans le cas d'une dation en paiement est constitué par l'acte qui constate l'opération et non par la livraison de l'immeuble à construire ;
6. Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'acte de dation en paiement par lequel la SCI Carré Bertholet s'engageait à livrer à M. B...une série de lots identifiés avec précision au sein d'un immeuble à construire sur le terrain à bâtir cédé le même jour par M B..., qui ne renvoyait à aucun acte de vente ultérieur et ne prévoyait aucune condition suspensive, constatait l'accord sur la chose et le prix à cette date ; que cet acte avait le caractère, non d'une promesse de vente, mais d'une cession, constitutive d'une mutation à titre onéreux entrant dans le champ d'application du 7° de l'article 257 précité du code général des impôts, le paiement à la SCI du prix des lots à construire par le bénéficiaire étant effectué à cette date par compensation avec le prix du terrain à bâtir cédé par celui-ci le même jour ; que, dans ces conditions, en application des dispositions de l'article 269 du code général des impôts, le fait générateur de la taxe sur la valeur ajoutée due à raison de cette opération s'est produit à la date de l'acte de dation le 29 mai 2006 et non à la date de livraison des locaux en 2008 ainsi que le soutient la requérante ; que l'administration fiscale a ainsi pu à bon droit rappeler au titre du mois de mai 2006 les droits de taxe sur la valeur ajoutée dus par la SCI Carré Berthollet et non déclarés sur l'ensemble de la période vérifiée ;
En ce qui concerne l'exigibilité de la taxe sur la valeur ajoutée et la date à laquelle doit être déterminée l'assiette de la taxe s'agissant de biens vendus en l'état futur d'achèvement :
7. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 269 du code général des impôts dans sa rédaction applicable à l'espèce : " (...) 2. La taxe est exigible : a) Pour les livraisons et les achats visés au a du 1 et pour les opérations mentionnées aux b, c, d et e du 1, lors de la réalisation du fait générateur ; (....) " ;
8. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 1601-3 du code civil : " La vente en l'état futur d'achèvement est le contrat par lequel le vendeur transfère immédiatement à l'acquéreur ses droits sur le sol ainsi que la propriété des constructions existantes au fur et à mesure de leur exécution ; l'acquéreur est tenu d'en payer le prix à mesure de l'avancement des travaux. " ; qu'aux termes du 2 de l'article 10 de la sixième directive susvisée relative au Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : " Le fait générateur de la taxe intervient et la taxe devient exigible au moment de la livraison du bien ou la prestation de services est effectuée. Les livraisons de biens autres que celles visées à l'article 5 § 4 b et les prestations de services qui donnent lieu à des décomptes ou à des paiements successifs sont considérés comme effectuées au moment de l'expiration des périodes auxquelles ces décomptes ou paiements se rapportent. Toutefois, en cas de versement d'acomptes avant que la livraison de biens ou la prestation de services ne soit effectuée, la taxe devient exigible au moment de l'encaissement à concurrence du montant encaissé (...) " ; qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions que pour les ventes en l'état futur d'achèvement, le transfert de propriété des constructions résultant non du contrat mais de l'exécution des travaux, la livraison et, par suite, le fait générateur et la date d'exigibilité de la taxe sur la valeur ajoutée n'interviennent pas à la date de l'acte qui constate l'opération, mais à l'expiration des périodes auxquelles se rapportent les paiements successifs liés à l'avancement des travaux ; que les dispositions de l'article 269-2 du code général des impôts alors applicables n'étaient donc pas compatibles, en ce qui concerne les ventes en l'état futur d'achèvement donnant lieu à des paiements successifs, avec les dispositions précitées de la sixième directive ;
9. Considérant que la SCI Carré Berthollet se prévaut de l'incompatibilité des dispositions applicables à l'espèce de l'article 269 du code général des impôts avec la 6ème directive européenne ; qu'elle soutient que selon la 6ème directive alors applicable malgré sa non-transposition, le fait générateur de la taxe sur la valeur ajoutée pour les ventes en l'état futur d'achèvement est constitué non par l'acte de vente mais par la remise des immeubles ou leur règlement s'il est antérieur ; que, toutefois, ainsi qu'il a été dit précédemment, une dation en paiement s'analyse comme une double vente assortie de modalités de paiement particulières, le prix des locaux à construire sur le terrain à bâtir étant acquitté par le cédant du terrain à bâtir par la cession à la date de la dation dudit terrain, et non par des paiements successifs à mesure de l'avancement des travaux de construction des lots ; que, dès lors la date d'exigibilité de la taxe sur la valeur ajoutée s'agissant de lots à construire dans le cadre d'une dation en paiement correspond à la date du fait générateur, c'est-à-dire à la date de l'acte organisant le transfert de propriété ; que ce régime propre à la dation en paiement qui ne comporte pas de décompte ou de paiements successifs n'est pas incompatible avec les dispositions de la 6ème directive européenne ; qu'ainsi, pour déterminer l'assiette et le montant de la taxe sur la valeur ajoutée due à raison d'une telle opération, l'administration, lorsqu'elle a constaté un prix significativement inférieur au prix du marché, évalue la valeur vénale des lots qu'elle compte substituer au prix de vente convenu entre les parties à la date de la dation ; que c'est dès lors, par une exacte application des dispositions précitées du code général des impôts que l'administration fiscale a apprécié la valeur vénale des lots à construire par la SCI Carré Berthollet remis en paiement au cédant du terrain à bâtir en se plaçant à la date du fait générateur de la taxe sur la valeur ajoutée c'est-à-dire de l'acte de dation du 29 mai 2006, en se référant aux ventes d'appartements comparables effectuées la même année, au sein du même ensemble immobilier ; que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que l'évaluation aurait due être faite à la date du compromis de vente conditionnelle intervenu le 10 décembre 2004 entre M. B... et la SARL Vista participations, qui se bornait à prévoir l'opération immobilière sous condition suspensive d'obtention d'un permis de construire, et auquel la SCI Carré Berthollet n'était d'ailleurs pas partie ;
En ce qui concerne la substitution de la valeur vénale au prix fixé par les parties pour corriger l'assiette de la taxe sur la valeur ajoutée :
10. Considérant qu'aux termes de l'article 266 du code général des impôts : " (...) 2. En ce qui concerne les opérations mentionnées au I de l'article 257, la taxe sur la valeur ajoutée est assise : (...) b. Pour les mutations à titre onéreux (...) sur : Le prix de la cession, le montant de l'indemnité ou la valeur des droits sociaux rémunérant l'apport, augmenté des charges qui s'y ajoutent ; (...) La valeur vénale réelle des biens, établie dans les conditions prévues à l'article L. 17 du livre des procédures fiscales, si cette valeur vénale est supérieure au prix, au montant de l'indemnité ou à la valeur des droits sociaux, augmenté des charges. (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 17 du livre des procédures fiscales : " En ce qui concerne les droits d'enregistrement et la taxe de publicité foncière ou la taxe sur la valeur ajoutée lorsqu'elle est due au lieu et place de ces droits ou taxe, l'administration des impôts peut rectifier le prix ou l'évaluation d'un bien ayant servi de base à la perception d'une imposition lorsque ce prix ou cette évaluation paraît inférieur à la valeur vénale réelle des biens transmis ou désignés dans les actes ou déclarations. /La rectification correspondante est effectuée suivant la procédure de rectification contradictoire prévue à l'article L. 55, l'administration étant tenue d'apporter la preuve de l'insuffisance des prix exprimés et des évaluations fournies dans les actes ou déclarations. " ; que, lorsque pour l'assiette de la TVA qui frappe en application de l'article 257-7° du code général des impôts les mutations d'immeubles faites à titre onéreux, la valeur vénale réelle des lieux cédés est, en vertu du 2 de l'article 266 du même code, substituée au prix de cession, cette valeur doit être estimée à la date du fait générateur de l'impôt ;
11. Considérant que les dispositions de l'article L. 17 du livre des procédures fiscales ont pour objet et pour effet d'ouvrir à l'administration la faculté de substituer, pour la détermination de l'assiette de la taxe sur la valeur ajoutée, la valeur vénale réelle du bien au prix stipulé lorsque cette valeur vénale est supérieure ; que, toutefois, conformément aux dispositions de l'article 27 de la sixième directive n° 77/388 du Conseil des communautés européennes et aux termes de la demande française notifiée à la Commission européenne le 23 décembre 1977, il ne peut être recouru à ce mécanisme de substitution que dans le cas de livraisons d'immeubles et dans le but de lutter contre la fraude ou l'évasion fiscales ; que lorsque l'administration relève, d'une part, que les prix de locaux faisant l'objet de mutation ont été minorés et, d'autre part, que le vendeur et l'acheteur sont étroitement liés, elle peut, en application des articles 27 de la sixième directive et 266 2-b du code général des impôts, substituer la valeur vénale des immeubles aux prix déclarés pour l'assiette de la taxe sur la valeur ajoutée ; qu'ainsi, l'administration peut, sans contrariété à la directive communautaire, opérer une telle substitution à condition de rapporter la preuve que l'insuffisance du prix de vente des locaux résulte d'une volonté d'évasion fiscale au sens de l'article 27 de la sixième directive, l'importance de l'insuffisance de prix n'étant pas, à elle seule, de nature à établir une telle volonté d'évasion fiscale ; que celle-ci, toutefois, se présume du seul fait de l'insuffisance significative du prix, lorsque les parties sont en relation d'intérêt, sauf preuve contraire apportée par le contribuable ;
12. Considérant que pour établir l'existence d'une minoration du prix de cession des lots à construire par rapport à leur valeur vénale de nature à justifier une correction de l'assiette de la taxe sur la valeur ajoutée due à raison de cette vente d'immeubles, l'administration a procédé à l'évaluation, à la date de la dation, de la valeur vénale des locaux remis au vendeur du terrain par la SCI Carré Berthollet par comparaison avec les prix de vente des biens comparables cédés la même année au sein du même programme immobilier, en tenant compte de l'incidence des frais de commercialisation ; que la valeur vénale ainsi déterminée pour une somme de 1 232 085 euros étant supérieure au prix de vente stipulé dans l'acte de dation de 900 000 euros, l'administration a constaté une insuffisance du prix de vente de 37 % par rapport au prix de vente moyen des appartements et garages et de 31 % par rapport au prix de revient ; qu'elle s'est, par la suite, conformée à l'avis émis le 17 septembre 2010 par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires qui a ramené la valeur vénale des biens à 1 150 000 euros TTC, soit une insuffisance de prix de 250 000 euros et un montant de taxe sur la valeur ajoutée supplémentaire dû de 40 970 euros ; que la société requérante n'allègue pas que la valeur vénale ainsi déterminée présenterait un caractère exagéré ; qu'elle n'est pas fondée à soutenir qu'elle était tenue par le prix fixé lors de la promesse de vente du terrain sous condition suspensive signée le 10 décembre 2004 ; qu'au surplus, il résulte de l'instruction que, par l'acte de dation du 29 mai 2006, M. B... a bénéficié d'un garage supplémentaire par rapport aux termes du compromis conditionnel du 10 décembre 2004, ce qui minore d'autant le prix fixé en 2006 ; que l'existence d'un écart de prix entre les termes de l'échange consenti à la date de la dation du fait de la hausse des prix de l'immobilier entre 2004 et 2006 n'est pas établie ; que, par suite, l'administration fiscale établit l'existence d'une minoration du prix de vente par rapport à la valeur vénale des immeubles ;
13. Considérant que l'administration fait valoir qu'il existait entre la SCI Carré Berthollet et le propriétaire du terrain remis en dation une relation d'intérêt procédant du dispositif même de la dation qui unit deux parties dans une double opération de cession réciproque, chacune étant liée par la cession que l'autre est prête à lui consentir, chacune ayant intérêt à minorer la taxe sur la valeur ajoutée due sur son achat, la taxe collectée par le vendeur des lots vendus en l'état futur d'achèvement ne pouvant, en l'espèce, être déduite par l'acquéreur, personne physique non assujettie ; que la SCI Carré Berthollet avait, pour sa part ainsi qu'elle le reconnait, intérêt à vendre à M. B..., même à un prix minoré, les biens remis en contrepartie de la vente de son terrain à bâtir pour ainsi acquérir le terrain sur lequel elle souhaitait réaliser des opérations immobilières ; que les parties étant, par la seule opération de dation, en relation d'intérêt, la volonté d'évasion fiscale au sens de l'article 27 de la sixième directive est présumée du seul fait de l'insuffisance significative du prix de vente par rapport au prix du marché ; que, par suite, l'administration fiscale, pour redresser l'assiette de la taxe sur la valeur ajoutée due à raison de cette opération, a pu, à bon droit en application des dispositions précitées substituer la valeur vénale ainsi déterminée des immeubles au prix de vente stipulé, sans méconnaitre les principes posés par la 6ème directive européenne susvisée ;
En ce qui concerne la compensation :
Sur le terrain de la loi fiscale et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le bénéfice de la doctrine administrative :
14. Considérant qu'aux termes de l'article L. 203 du livre des procédures fiscales : " Lorsqu'un contribuable demande la décharge ou la réduction d'une imposition quelconque, l'administration peut, à tout moment de la procédure et malgré l'expiration des délais de prescription, effectuer ou demander la compensation dans la limite de l'imposition contestée, entre les dégrèvements reconnus justifiés et les insuffisances ou omissions de toute nature constatées dans l'assiette ou le calcul de l'imposition au cours de l'instruction de la demande. " ; qu'aux termes de l'article L. 205 du même livre : " Les compensations de droits prévues aux articles L. 203 et L. 204 sont opérées dans les mêmes conditions au profit du contribuable à l'encontre duquel l'administration effectue une rectification lorsque ce contribuable invoque une surtaxe commise à son préjudice ou lorsque la rectification fait apparaître une double imposition. " ; que si un contribuable peut à tout moment de la procédure, y compris devant les juges du fond, demander à bénéficier, en application des dispositions précitées des articles L. 203 et L. 205 du livre des procédures fiscales, d'une compensation, et ce alors même que le délai de réclamation serait expiré, ce n'est que dans la limite de l'imposition qu'il a régulièrement contestée et dès lors que la créance qu'il détient sur le Trésor est établie ;
15. Considérant que la compensation en matière de taxes sur le chiffre d'affaires doit s'effectuer entre impositions dues et payées au cours de la période d'imposition couverte par l'avis de mise en recouvrement en litige ; que, toutefois, le ministre ne peut utilement se prévaloir des dispositions de l'article L. 80 du livre des procédures fiscales dès lors qu'elles ne régissent pas les conditions de la compensation devant le juge de l'impôt ;
16. Considérant que l'appelante sollicite sur le fondement des dispositions précitées la réduction par voie de compensation des rappels de taxe sur la valeur ajoutée dus au titre de l'opération litigieuse au motif qu'au terme de la période vérifiée le 31 janvier 2009, elle disposait d'un excédent de taxe sur la valeur ajoutée déclarée de 67 919 euros ; que la société requérante soutient, sans être contestée, que cet excédent de taxe, constaté au cours de la période vérifiée, n'a pas donné lieu à remboursement de la part de l'administration fiscale ; que l'existence de cet excédent n'étant pas contestée, la SCI Carré Berthollet est fondée à demander la compensation entre cet excédent de taxe de 67 919 euros et le montant total des droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée restant à sa charge au titre de l'année 2006 résultant de la rectification de la base imposable à la taxe sur la valeur ajoutée sur la dation ;
Sur les pénalités :
17. Considérant, qu'aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'État entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 p. 100 en cas de manquement délibéré (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales : " Les décisions mettant à la charge des contribuables des sanctions fiscales sont motivées au sens de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public, quand un document ou une décision adressés au plus tard lors de la notification du titre exécutoire ou de son extrait en a porté la motivation à la connaissance du contribuable. (...) " ; qu'aux termes des dispositions de l'article 1er de la loi susvisée du 11 juillet 1979 : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) - infligent une sanction (...) " ; qu'aux termes de l'article 3 de cette loi : " La motivation exigée par la présente loi doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision " ; que ces dispositions imposent à l'administration d'énoncer les considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision d'infliger une sanction fiscale ;
18. Considérant que l'administration fiscale a mentionné dans la proposition de rectification d'une part, les dispositions de l'article 1729 du code général des impôts, et, d'autre part, les circonstances de fait sur lesquelles elle s'est fondée ; qu'elle a distingué le manquement délibéré relatif à la taxe sur la valeur ajoutée non déclarée sur la vente en l'état futur d'achèvement du 29 mai 2006 et le manquement délibéré relatif à l'insuffisance de taxe sur la valeur ajoutée collectée sur la vente à prix minoré réalisée au bénéfice de M.B... ; qu'elle a ainsi suffisamment motivé les pénalités appliquées ;
En ce qui concerne la pénalité de 40 % pour manquement délibéré concernant le défaut de déclaration de la taxe sur la valeur ajoutée relative à la vente en l'état futur d'achèvement du 29 mai 2006 :
19. Considérant que l'administration fait valoir que la SCI Carré Berthollet, en tant que professionnel de l'immobilier ne pouvait de ce fait ignorer les règles fiscales dont elle relève, qu'elle a délibérément omis de déclarer la taxe afférente à la vente à M. B...des biens immobiliers en l'état futur d'achèvement dans le cadre de l'acte de dation intervenu le 29 mai 2006, alors qu'elle avait opté pour le paiement de la taxe à l'encaissement ; qu'en l'espèce la date d'encaissement coïncidait avec la date de l'acte de dation, et la date d'exigibilité de la taxe sur la valeur ajoutée due à raison de cette opération, laquelle était d'ailleurs mentionnée dans l'acte de dation ; que si la société soutient qu'il existait un doute quant à la date correspondant au fait générateur de la taxe sur la valeur ajoutée grevant cette vente, estimant qu'il fallait retenir soit la date de livraison des biens le 10 août 2008, soit la date de comptabilisation de la taxe sur la valeur ajoutée due le 31 décembre 2008, il est constant qu'elle n'a pas déclaré la taxe sur la valeur ajoutée en litige sur ses déclarations CA3 relatives à l'une ou l'autre de ces périodes, ni même sur l'ensemble de la période vérifiée ; qu'elle n'est pas fondée à se prévaloir des stipulations de l'article 6 §2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales garantissant la présomption d'innocence et la lisibilité des lois, alors qu'indépendamment de la date, elle reconnait ne pas avoir déclaré la taxe sur la valeur ajoutée litigieuse afférente à l'opération de dation ; qu'en outre, l'administration soutient que la société avait connaissance de son exigibilité, ainsi que cela ressort de l'écriture comptable du 31 décembre 2008 par laquelle elle a inscrit à son bilan, dans un compte " TVA à régulariser ", la différence entre la taxe en litige et un excédent de taxe déclarée, et qu'elle ne pouvait ignorer l'insuffisance de taxe déclarée par la discordance manifeste résultant du rapprochement entre son chiffre d'affaires et la taxe sur la valeur ajoutée déclarée sur CA3, discordance à laquelle elle n'a apporté aucune correction ; qu'elle ne saurait se prévaloir de la circonstance qu'elle bénéficiait d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée pour contester l'existence d'un préjudice pour le Trésor dès lors que la déclaration de la taxe sur la valeur ajoutée due aurait conduit à diminuer d'autant ledit crédit de taxe ; qu'ainsi, l'administration apporte la preuve de la volonté délibérée de la contribuable d'éluder l'impôt constitutive d'un manquement délibéré ;
En ce qui concerne la pénalité de 40 % pour manquement délibéré concernant la minoration du prix de vente consenti à M. B... :
20. Considérant que si, pour justifier l'insuffisance de prix de cession des lots à construire la société soutient qu'elle était tenue par le prix convenu dans le compromis de vente du terrain à bâtir du 10 décembre 2004, l'administration relève sans être contredite que les lots à remettre au vendeur n'étaient ni identifiés avec précision, ni nettement individualisés dans ce compromis de vente conditionnelle ; que pour motiver l'application des pénalités litigieuses, l'administration fait valoir que la SCI Carré Berthollet, en tant que professionnel de l'immobilier, ne pouvait ignorer, lors de la signature de l'acte de vente le 29 mai 2006, que le prix des lots à construire consenti à M. B..., avec lequel elle était en relation d'intérêt du fait de l'opération de dation, se situait très largement en dessous du prix de revient prévisionnel de l'opération, alors qu'elle avait d'ores et déjà prévu à cette date de revendre à la société Foncière Logement et à la Caisse des dépôts et consignations les bâtiment B et C de l'ensemble immobilier Carré Berthollet, comportant des lots comparables, à des prix respectivement de 54 % et 60 % plus élevé que le prix consenti à M. B... ainsi que cela ressort des données chiffrées communiquées par celle-ci à sa banque en vue d'obtenir l'ouverture d'un crédit le 23 mai 2006, quelques jours avant la signature avec M. B... ; que l'administration établissant l'existence d'un manquement délibéré, la requérante n'est pas fondée à se prévaloir des stipulations de l'article 6 §2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales garantissant la présomption d'innocence et la lisibilité des lois ; que, par suite, l'administration établit la volonté délibérée de la société d'éluder l'impôt à l'origine d'un manquement délibéré ;
21. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SCI Carré Berthollet est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la compensation de la taxe sur la valeur ajoutée rappelée par l'excédent de taxe sur la valeur ajoutée déclaré en 2007 et 2008 ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
22. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat la somme demandée par la SCI Carré Berthollet au titre des frais exposés en cours d'instance et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : Par voie de compensation, il y a lieu de réduire le montant des droits de taxe sur la valeur ajoutée dus par la SCI Carré Berthollet à concurrence de la somme de 67 919 euros ainsi que les pénalités y afférentes.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble en date du 13 juin 2014 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la SCI Carré Berthollet est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à SCI Carré Berthollet et au ministre des finances et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 24 mai 2016 à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Mear, président-assesseur,
Mme Terrade, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 24 juin 2016.
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N° 14LY02141