Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 20 octobre 2016, M. C..., représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 26 juillet 2016 ;
2°) d'annuler les décisions du 24 novembre 2015 par lesquelles le préfet de l'Ain a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Ain, à titre principal, de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", ou subsidiairement, d'examiner à nouveau sa situation, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travailler ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 600 euros au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
M. C... soutient que :
- la décision litigieuse n'a pas suffisamment précisé les éléments de fait relatifs à sa situation personnelle et familiale, en particulier ses développements récents depuis mars 2015 et la présence de deux enfants mineurs dans sa cellule familiale, ce qui révèle tant une insuffisance de motivation qu'un examen incomplet de sa situation ;
- la décision litigieuse est entachée d'une erreur de fait en ce qu'elle mentionne qu'il n'a effectué aucune démarche en vue d'obtenir un titre de séjour en tant que conjoint de français alors que c'était l'objet de sa demande de visa ;
- dans la mesure où la sincérité, l'ancienneté et la stabilité de sa relation avec sa femme et son implication auprès des enfants de celle-ci sont établies par les pièces du dossier, la décision litigieuse est entachée d'erreur manifeste d'appréciation, méconnaît les dispositions du 7° de l'article L.313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- la décision litigieuse n'est pas fondée sur l'absence de sincérité de la relation matrimoniale mais sur l'absence de production d'un visa ;
- subsidiairement, il justifie de considérations humanitaires et de motifs exceptionnels au sens des dispositions de l'article L.313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision l'obligeant à quitter le territoire français méconnaît les articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les articles 7, 21 et 24 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, dans la mesure où les ressortissants communautaires ont le droit d'être rejoints à tout moment par leurs conjoints non ressortissants de l'Union européenne sans qu'une mesure d'éloignement ne puisse être prise à leur encontre du seul fait de leurs conditions d'entrée sur le territoire.
Par un mémoire en défense enregistré le 23 décembre 2016, le préfet de l'Ain conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- sa décision est suffisamment motivée et certains éléments n'avaient pas été portés à sa connaissance ;
- l'appelant n'a pas demandé de titre de séjour sur le fondement de sa vie privée et familiale ;
- en l'absence d'ancienneté et de stabilité de sa relation avec sa femme et les enfants de celle-ci, la décision litigieuse n'est entachée ni d'erreur manifeste d'appréciation, ni ne méconnaît les dispositions du 7° de l'article L.313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou celles du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui ne fondaient pas sa demande, n'ont pas été méconnues ;
- la décision obligeant M. C... à quitter le territoire français ne méconnaît ni les articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni les articles 7 et 21 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
Par courrier du 17 juillet 2018, la cour a informé les parties de ce qu'elle était susceptible de fonder sa solution sur le moyen d'ordre public tiré de l'autorité absolue de la chose jugée par le tribunal administratif de Nantes dans son jugement du 15 mai 2018 devenu définitif, qui annule le refus de visa opposé à M. C... et enjoint au ministre de l'intérieur la délivrance à l'intéressé d'un visa de long séjour en qualité de conjoint de ressortissant français.
M. C...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle par une décision du 21 septembre 2016.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B..., première conseillère,
- et les observations de MeD..., représentant M. C... ;
Considérant ce qui suit :
1. M.C..., ressortissant kosovar né le 2 novembre 1982, est entré en France le 30 octobre 2013. Il a sollicité le bénéfice de l'asile politique puis un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le bénéfice du statut de réfugié lui a été refusé par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 30 juin 2014. Le 15 octobre 2014, sa demande de titre de séjour présentée sur le fondement de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile a été rejetée par le préfet de l'Ain. Ayant épousé une ressortissante française le 13 décembre 2014, il a demandé la délivrance d'un visa de long séjour en cette qualité mais cette demande a fait l'objet d'une décision de refus du ministre de l'intérieur du 14 mai 2015, confirmée par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France le 23 juillet 2015. Le 2 février 2015, la Cour nationale du droit d'asile avait confirmé la décision de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides lui refusant le bénéfice de la qualité de réfugié. Par décisions du 24 novembre 2015, le préfet de l'Ain a refusé de délivrer à M. C... un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure. M. C... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions.
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés par le requérant ;
2. Ainsi que cela ressort de ce qui a été rappelé au paragraphe 1., le préfet s'est prononcé sur le droit au séjour de M. C... à la suite du rejet de sa demande d'asile et de sa demande de visa de long séjour. Bien que n'ayant pas été saisi d'une demande de titre de séjour en qualité de conjoint d'une ressortissante française, le préfet, qui avait connaissance du mariage contracté par M. C..., a néanmoins examiné son droit au séjour en cette qualité. Il a toutefois refusé de lui délivrer le titre correspondant au motif qu'il n'avait pas produit de visa de long séjour.
3. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : (...) 4° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, marié avec un ressortissant de nationalité française, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé depuis le mariage (...) ". Aux termes de l'article L. 311-7 du même code, alors en vigueur : " Sous réserve des engagements internationaux de la France et des exceptions prévues par les dispositions législatives du présent code, l'octroi de la carte de séjour temporaire (...) sont subordonnés à la production par l'étranger d'un visa pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois. ".
4. En appel, M. C... a produit un jugement du 15 mai 2018 devenu définitif, par lequel le tribunal administratif de Nantes a annulé le refus de visa qui lui avait été opposé et a enjoint au ministre de l'intérieur de lui délivrer un visa de long séjour en qualité de conjoint de ressortissant français. Il suit de là que M. C... est fondé à soutenir que le préfet n'était pas fondé à lui opposer l'absence de production d'un visa de long séjour pour lui refuser la délivrance du titre sollicité.
5. Il ne résulte pas de l'instruction que le préfet de l'Ain aurait pris la même décision s'il n'avait pas retenu ce motif erroné. La décision de refus de titre de séjour est, par suite, illégale et doit être annulée, de même que, par voie de conséquence, la décision l'obligeant à quitter le territoire français et celle fixant le pays de destination.
6. Il résulte de ce qui précède que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
7. Eu égard au motif d'annulation des décisions du préfet de l'Ain, et en l'absence d'une part d'autre motif propre à justifier ce refus, et, d'autre part, de changement dans la situation de droit ou de fait de l'intéressé, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement, la délivrance à l'intéressé d'une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Il y a lieu d'enjoindre au préfet de l'Ain de délivrer à M. C... ce titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travailler.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me D... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
DECIDE :
Article 1er : Les décisions du 24 novembre 2015, par lesquelles le préfet de l'Ain a refusé de délivrer un titre de séjour à M. C..., l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination sont annulées, de même que le jugement du tribunal administratif de Lyon du 26 juillet 2016.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de l'Ain de délivrer à M. C... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travailler.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 000 euros à Me D...au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me D... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C..., au ministre de l'intérieur, au préfet de l'Ain et à Me D.... Copie en sera adressée au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse en application de l'article R. 751-11 du code de justice administrative.
Délibéré après l'audience du 25 septembre 2018, à laquelle siégeaient :
Mme Menasseyre, présidente-assesseure, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
MmeE..., première conseillère,
Mme B..., première conseillère.
Lu en audience publique le 16 octobre 2018.
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N° 16LY03506