Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire enregistrés le 23 mars 2018 et le 24 août 2018, M. A..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) à titre principal, d'enjoindre au préfet du Rhône d'enregistrer sa demande d'asile dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir ; à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la date de notification de la décision à intervenir, et de le munir dans cette attente d'une attestation de demande d'asile ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du CJA et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, à verser à la SCP COUDERC-C..., à charge de renonciation au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Il soutient que :
- il a été privé des droits et des garanties accordées aux demandeurs d'asile par les articles 4 et 5 du règlement n° 604/2013 et par l'article 29 du règlement Eurodac ;
- ayant introduit sa demande d'asile au plus tard le 12 juillet 2017 en France, la France était devenue responsable de l'examen de sa demande d'asile lorsque le Préfet du Rhône a saisi les autorités italiennes le 15 septembre 2017, soit plus de deux mois après le résultat positif de l'identification Eurodac ;
- l'article 3 paragraphe 2 alinéas 2 et 3, l'article 17 du règlement (UE) 604/2013 ont été méconnus, de même que l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'arrêté est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- l'assignation à résidence est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation en l'absence de perspectives raisonnables d'éloignement.
La requête et le mémoire ont été communiqués au préfet de l'Ardèche.
Par ordonnance du 28 août 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 13 septembre 2018.
Un mémoire présenté par le préfet de l'Ardèche a été enregistré le 24 septembre 2018, postérieurement à la clôture d'instruction.
M. D... A...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 février 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier ;
- l'arrêt C578/16 du 16 février 2017 de la Cour de justice de l'Union Européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Anne Menasseyre, présidente assesseure,
- et les observations de Me C..., représentant M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., de nationalité libérienne, a déclaré être entré en France le 1er juin 2017 afin d'y solliciter l'asile. La consultation des informations contenues dans le fichier Eurodac a révélé que ses empreintes digitales avaient déjà été enregistrées dans cette base, en Italie, les 8 et 15 mai 2017. Les autorités italiennes ayant été saisies le 15 septembre 2017 en vue de la prise en charge de l'intéressé, un accord tacite est né le 15 octobre 2017. Le préfet de l'Ardèche a alors décidé, par arrêté du 24 novembre 2017, le transfert de l'intéressé aux autorités italiennes. M. A... relève appel du jugement du 24 janvier 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande dirigée contre cet arrêté.
2. Aux termes de l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Tout étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile se présente en personne à l'autorité administrative compétente, qui enregistre sa demande et procède à la détermination de l'Etat responsable en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ou en application d'engagements identiques à ceux prévus par le même règlement, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat ".
2. Aux termes de l'article 23 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 dit " Dublin III ", relatif à la présentation d'une requête aux fins de reprise en charge lorsqu'une nouvelle demande a été introduite dans l'État membre requérant : " 2. Une requête aux fins de reprise en charge est formulée aussi rapidement que possible et, en tout état de cause, dans un délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac ("hit"), en vertu de l'article 9, paragraphe 5, du règlement (UE) n° 603/2013. (...) / 3. Lorsque la requête aux fins de reprise en charge n'est pas formulée dans les délais fixés au paragraphe 2, c'est l'État membre auprès duquel la nouvelle demande est introduite qui est responsable de l'examen de la demande de protection internationale ". Il résulte de ces dispositions qu'une requête aux fins de reprise en charge ne peut être valablement formulée plus de deux mois après la réception d'un résultat positif Eurodac.
3. M. A... a versé aux débats un résumé d'entretien individuel établi le 12 juillet 2017 par la préfecture de police de Paris. Ce document, établi au nom de Rashed A...né le 15 mai 1998, mentionne, sous la rubrique " date de dépôt de la demande " la date du 12 juillet 2017. Il mentionne également un numéro d'identification Eurodac n° IT1VR03T90. Il résulte des mentions de ce document qu'un résultat positif concernant l'étranger concerné a été reçu au plus tard le 12 juillet 2017. Le résumé d'entretien individuel établi par les services de la préfecture du Rhône le 16 août 2017 au nom de D...A...né le 15 mai 1998 mentionne également un numéro d'identification Eurodac n° IT1VR03T90. La concordance de ces deux numéros d'identification démontre que ces deux entretiens ont été conduits avec la même personne et que la France avait reçu un résultat positif Eurodac concernant l'intéressé au plus tard le 12 juillet 2017. Par suite, la France ne pouvait plus formuler une demande de reprise en charge de M. A... auprès de l'Italie à la date du 15 septembre 2017, à laquelle elle a saisi l'Italie d'une demande de reprise en charge de l'intéressé, date postérieure de plus de deux mois à la réception d'un " hit " Eurodac. La France étant, en vertu du 3. de l'article 23 du règlement 604/2013, devenue responsable de l'examen de la demande de protection internationale présentée par l'intéressé, elle ne pouvait légalement décider de le transférer vers l'Italie.
4. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
5. Aux termes de l'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France et du droit d'asile : " Si la décision de transfert est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues au livre V. L'autorité administrative statue à nouveau sur le cas de l'intéressé. ".
6. Les dispositions précitées n'ont pas pour objet, ni pour effet de faire obstacle à la mise en oeuvre, par le juge, sur demande du requérant, des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative. Selon ces dispositions, lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction prescrit, par cette même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution.
7 Eu égard au motif de l'annulation de la décision de transfert de M. A... vers l'Italie, et en l'absence de modification dans la situation, cette annulation implique nécessairement que les autorités françaises procèdent à l'examen de sa demande d'asile. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet de l'Ardèche de lui délivrer, le temps de cet examen, l'attestation de demande d'asile mentionnée à l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile justifiant de l'examen par les autorités françaises de la demande d'asile de l'intéressé et de fixer à quinze jours à compter de la notification du présent arrêt, le délai de délivrance de cette attestation.
Sur les frais liés au litige :
8. L'avocat de M. A... peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me C... de la somme de 1 000 euros. Conformément aux dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 modifiée, le recouvrement en tout ou partie de cette somme vaudra renonciation à percevoir, à due concurrence, la part contributive de l'Etat.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon du 24 janvier 2018 et la décision en date du 24 novembre 2017 par laquelle le préfet de l'Ardèche a décidé le transfert de M. A... vers l'Italie sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de l'Ardèche de délivrer à M. A..., dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt, l'attestation de demande d'asile mentionnée à l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 000 euros à Me C... en application du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Me C... renoncera, s'il recouvre cette somme, à percevoir la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A..., au préfet de l'Ardèche au ministre de l'intérieur .
Copie en sera adressée à Me C... et au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Privas.
Délibéré après l'audience du 25 septembre 2018, à laquelle siégeaient :
Mme Menasseyre, présidente assesseure, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
Mme E..., première conseillère,
Mme B..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 16 octobre 2018.
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N° 18LY01113