Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 9 mai 2018, M. B..., représenté par Me Petit, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 26 février 2018 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 9 février 2018 par lequel le préfet du Rhône a décidé sa remise aux autorités allemandes en vue de l'examen de sa demande d'asile, ainsi que l'arrêté du 21 février 2018, par lequel le même préfet l'a assigné à résidence ;
3°) d'enjoindre au préfet du Rhône, à titre principal, de l'admettre au séjour et de procéder à l'enregistrement de sa demande d'asile dans le délai de 48 heures à compter de l'arrêt à intervenir, et de lui remettre le dossier de demande d'asile sous le même délai, sous astreinte de 100 euros par jours de retard ; à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans le délai de huit jours à compter de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jours de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
M. B... soutient que :
- la décision est entachée d'une erreur de fait, une obligation de quitter le territoire allemand ayant été pris à son encontre le 21 juin 2016, décision confirmée par les juridictions nationales allemandes, ce qui a nécessairement eu une incidence sur l'appréciation portée par le préfet ;
- il n'est pas nécessaire de démontrer les défaillances systémiques de l'Etat membre vers lequel le demandeur est transféré, la seule circonstance qu'il soit frappé d'une mesure d'éloignement à destination de son pays d'origine suffisant à ce qu'il puisse se prévaloir de la protection absolue instaurée par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- son transfert à destination de l'Allemagne méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les articles 1er, 4 et 19 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ; il est également entaché d'absence d'examen particulier de sa situation et d'erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision d'assignation à résidence doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation de la décision de transfert.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 décembre 2018, le préfet du Rhône conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par ordonnance du 6 décembre 2018 la clôture d'instruction a été fixée au 21 décembre 2018.
Un mémoire ampliatif présenté par M. B... a été enregistré le 26 décembre 2018, postérieurement à la clôture d'instruction.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 10 avril 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A..., première conseillère,
- et les observations de Me C..., représentant M. B... ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant afghan né le 3 mars 1993, a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 9 février 2018 par laquelle le préfet du Rhône a décidé sa remise aux autorités allemandes ainsi que la décision du 21 février 2018 portant assignation à résidence. Il relève appel du jugement par lequel la magistrate déléguée du tribunal administratif a rejeté sa demande.
2. Aux termes de l'article 17 du règlement n° 604/2013 déjà cité : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. Le cas échéant, il en informe, au moyen du réseau de communication électronique " DubliNet " établi au titre de l'article 18 du règlement (CE) n o 1560/2003, l'État membre antérieurement responsable, l'État membre menant une procédure de détermination de l'État membre responsable ou celui qui a été requis aux fins de prise en charge ou de reprise en charge. / L'État membre qui devient responsable en application du présent paragraphe l'indique immédiatement dans Eurodac conformément au règlement (UE) n o 603/2013 en ajoutant la date à laquelle la décision d'examiner la demande a été prise. ". Aux termes de l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'autorité administrative estime que l'examen d'une demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat qu'elle entend requérir, l'étranger bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la fin de la procédure de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat. L'attestation délivrée en application de l'article L. 741-1 mentionne la procédure dont il fait l'objet. Elle est renouvelable durant la procédure de détermination de l'Etat responsable et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat. / Le présent article ne fait pas obstacle au droit souverain de l'Etat d'accorder l'asile à toute personne dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre Etat. ".
3. Il ressort des pièces du dossier que les affrontements armés prévalant en février 2018 sur l'ensemble du territoire afghan constituaient une situation de conflit armé interne. Aux termes, notamment, du rapport annuel du Haut-commissaire des droits de l'Homme aux Nations Unies relatif à l'Afghanistan, la situation sécuritaire et humanitaire de l'ensemble du pays n'a cessé de se dégrader au cours des dernières années et les groupes insurgés et les forces gouvernementales afghanes se sont rendus directement responsables d'un nombre significatif d'attaques délibérées à l'encontre des populations civiles, nombre en constante augmentation par rapport aux années précédentes et dont le Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations unies s'est fait l'écho dans sa résolution n° 2210 (2015) en date du 16 mars 2015. Plus particulièrement, il ressort des pièces du dossier que la situation dans la région et dans la ville même de Kaboul était, à la date de la décision litigieuse, susceptible d'être qualifiée de violence aveugle résultant d'un conflit armé interne au sens de l'article L. 721-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, relatif à la protection subsidiaire. Dans ces conditions, en décidant, plutôt que de l'autoriser à enregistrer sa demande en France, de transférer M. B... en Allemagne, alors que ce pays avait rejeté sa demande d'asile et pris une mesure d'éloignement à son encontre devenue définitive, le préfet du Rhône a commis une erreur manifeste d'appréciation dans l'application des textes précités relatifs au droit de tout Etat d'examiner lui-même une demande de protection internationale, quand bien-même cette demande relèverait de la compétence d'un autre Etat. La décision de transfert litigieuse est donc entachée d'une illégalité et doit être annulée ainsi que, par voie de conséquence, la décision d'assignation à résidence prise sur son fondement.
4. Il résulte de ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
5. Eu égard au motif d'annulation de la décision de transfert litigieuse, il y a lieu d'enjoindre au préfet d'autoriser M. B... à enregistrer sa demande d'asile en France et de lui délivrer l'attestation de demande d'asile mentionnée à l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à Me Petit avocat de M. B... au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que Me Petit renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
DECIDE :
Article 1er : L'arrêté du 9 février 2018 par lequel le préfet du Rhône a décidé la remise de M. B... aux autorités allemandes en vue de l'examen de sa demande d'asile et l'arrêté du 21 février 2018, par lequel le préfet du Rhône a assigné M. B... à résidence sont annulés, ainsi que le jugement n° 1801232 du 26 février 2018 de la magistrate déléguée du tribunal administratif de Lyon.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Rhône d'autoriser M. B... à enregistrer sa demande d'asile en France et de lui délivrer l'attestation de demande d'asile mentionnée à l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 000 euros à Me Petit au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que Me Petit renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
Article 4 : Le surplus de la demande de M. B... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B..., à Me Petit, au préfet du Rhône et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Lyon en application de l'article R. 751-11 du code de justice administrative.
Délibéré après l'audience du 26 février 2019, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Menasseyre, présidente-assesseure,
Mme A..., première conseillère.
Lu en audience publique le 19 mars 2019.
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N° 18LY01754
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