Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 24 novembre 2014, la SAS Laboratoires Hagral, représentée par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 18 septembre 2014 ;
2°) de la décharger de ces impositions et des pénalités y afférentes ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La SAS Laboratoires Hagral soutient que :
- les créances que détenait la société Eurochim sur la société Eurochim Sénégal, inscrites sur les comptes clients 4069 et 4070, pour un montant de 143 597,66 euros, présentaient bien le caractère de créances irrécouvrables le 31 décembre 2005 ; en effet, il n'est pas contesté que lesdites créances étaient établies et régulièrement comptabilisées et qu'elles relevaient de la gestion et de l'activité normale de l'entreprise ; par ailleurs, l'impossibilité de recouvrer ces créances, très anciennes, est établie, la société Eurochim ayant accompli différentes démarches à l'égard de sa cliente en 1995, 1996, 1998 et 2001 et ayant proposé différents plans d'apurement de sa dette ; la société Eurochim Sénégal a subitement disparu dans les années 2000, ainsi qu'en atteste un constat d'huissier ; le nouveau gérant de la société ne disposait pas de relations au Sénégal, comme l'ancien gérant, ce qui rendait encore plus difficile le recouvrement des créances ;
- à tout le moins, le 31 décembre 2005, 114 404,42 euros de créances de la société Eurochim à l'égard de la société Eurochim Sénégal étaient prescrites, la prescription commerciale étant alors de dix ans et ce montant résultant du solde du compte 4070 jusqu'à la facture n° 6905 du 29 juin 1994 ;
- les créances que détenait la société Eurochim sur la société Remora, pour un montant de 14 930,09 euros, étaient irrécouvrables le 31 décembre 2005 ; en effet, la société Remora a été dissoute, avec clôture des opérations de liquidation le 31 août 2005 ; l'introduction d'une action civile, après la liquidation, présente un caractère aléatoire et un coût important par rapport au montant de la créance.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 février 2015, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Le ministre des finances et des comptes publics soutient que :
- les créances détenues par la société Eurochim sur la société Eurochim Sénégal n'étaient pas prescrites cette dernière ayant reconnu sa dette antérieure dans ses comptes annuels clos le 31 décembre 1997 ;
- les autres moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 5 novembre 2015, la clôture d'instruction a été fixée au 23 novembre 2015.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, par courrier en date du 17 décembre 2015, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'inapplicabilité des dispositions de l'article L. 110-4 du code de commerce, relatif à la prescription en matière commerciale, aux relations commerciales entre la société Eurochim et la société Eurochim Sénégal, en raison du caractère international des contrats qui les lient.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de commerce ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Duguit-Larcher, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Besse, rapporteur public.
1. Considérant que la SAS Laboratoires Hagral, qui exerce une activité de fabrication et vente de produits chimiques destinés à une clientèle professionnelle, résulte de la fusion le 1er septembre 2006, avec effet rétroactif au 1er janvier 2006, des sociétés Synthèse, Eurochim et Laboratoires Hagral ; qu'après agrément délivré le 13 juillet 2007 par le directeur des services fiscaux, le déficit de 207 223 euros de la société Eurochim a été transféré à la SAS Laboratoires Hagral en application de l'article 209 du code général des impôts, ces déficits résultant pour partie de l'inscription en charges de créances, détenues sur la société Eurochim Sénégal et sur la société Remora, qualifiées d'irrécouvrables et pour partie d'un déficit d'exploitation ; qu'à l'issue d'une vérification de sa comptabilité, l'administration a notamment remis en cause cette imputation et a adressé à la SAS Laboratoires Hagral une proposition de rectification le 7 novembre 2008 portant sur des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2005, 2006 et en 2007 ; qu'à la suite d'un contrôle sur pièces, l'administration fiscale a adressé le 27 mai 2010 à la société une proposition de rectification portant notamment sur l'exercice clos en 2009, au motif que le déficit reportable au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2007, après la vérification de comptabilité, avait été ramené de 179 637 euros à 21 110 euros et que sa répartition entre les exercices clos en 2008 et en 2009 conduisait à un rehaussement d'imposition pour 2009 ; que les cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés en résultant ont été mises en recouvrement le 20 octobre 2010 ; que la SAS Laboratoires Hagral a saisi le tribunal administratif de Grenoble d'une demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés dues au titre des années 2006 et 2007, lequel a rejeté sa demande par un jugement du 5 septembre 2013 devenu définitif ; que la SAS Laboratoires Hagral relève appel du jugement du 18 septembre 2014 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés notifiées au titre de l'année 2009, résultant de la remise en cause sus évoquée d'une partie du déficit constaté au 31 décembre 2005 ;
2. Considérant qu'aux termes du 2 de l'article 38 du code général des impôts : " Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés " ; qu'aux termes de l'article 39 du même code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) 1° Les frais généraux de toute nature, les dépenses de personnel et de main-d'oeuvre ( ...) " ; qu'en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, s'il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits nécessaires au succès de sa prétention, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci ; qu'il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts, de justifier tant du montant des créances de tiers, amortissements, provisions et charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du code général des impôts que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité ;
Sur les créances détenues sur la société Eurochim Sénégal :
3. Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'entre 1991 et 2005, la société Eurochim a entretenu avec la société Eurochim Sénégal, à laquelle elle livrait des produits chimiques, d'importantes relations commerciales ; que le 1er janvier 2005, la société Eurochim a inscrit, en reports à nouveau, dans les comptes clients 4069 et 4070, l'ensemble des factures adressées à la société Eurochim Sénégal entre 1991 et 2005 pour lesquelles elle n'avait perçu aucun règlement ; que l'ensemble de ces factures représentait 143 597,66 euros ; qu'ainsi que l'a indiqué le tribunal administratif, ni la difficulté alléguée de recouvrer une créance en Afrique, ni l'ancienneté des créances en cause, ne suffisent à justifier de leur caractère irrécouvrable ; que si la SAS Laboratoires Hagral a produit un constat d'huissier du 24 septembre 2009 et un courrier de la chambre de commerce et d'industrie de Dakar du 16 décembre 2008, attestant de la cessation d'activité de la société Eurochim Sénégal, ces documents, postérieurs à la clôture de l'exercice 2005 au cours duquel la société Eurochim a constaté la perte de ces créances, ne peuvent établir le caractère définitif de cette perte à la date du 31 décembre 2005 ; que, par ailleurs, si la société Eurochim a produit pour la première fois en appel différents documents attestant des efforts fournis entre 1995 et 2001 par la société Eurochim pour recouvrer certaines des créances qu'elle détenait sur la société Eurochim Sénégal, ces différents documents ne concernent pas les factures qui ont été inscrites en report à nouveau en janvier 2005 dans les comptes de la société Eurochim, mais visent d'autres factures, établies au cours de cette même période par la société Eurochim à l'égard de la société Eurochim Sénégal, factures dont elle a finalement obtenu le paiement ; que si elle a produit un moratoire de paiement adressé le 5 juillet 1995 à la société Eurochim Sénégal relatif à l'ensemble des créances que détenait la société Eurochim avant cette date, la production de ce document ne suffit pas à justifier du caractère irrécouvrable des sommes en litige, en l'absence notamment de recours à des procédures plus coercitives visant à obtenir le paiement de ces créances ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 110-4 du code de commerce, dans sa rédaction alors en vigueur : " I.- Les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par dix ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes. " ; qu'aux termes de l'article 2248 du code civil, dans sa version alors en vigueur : " La prescription est interrompue par la reconnaissance que le débiteur ou le possesseur fait du droit de celui contre lequel il prescrivait. " ; que si la SAS Laboratoires Hagral fait valoir que les créances qu'elle détenait sur la société Eurochim Sénégal à la fin de l'année 1995, reprises dans ses comptes au 31 décembre 2005 au compte client 4070, pour un montant de 114 404,42 euros, étaient, eu égard à l'écoulement du temps, prescrites, l'administration fait valoir que la reconnaissance par la société Eurochim Sénégal dans ses comptes clos le 31 décembre 1997 d'une dette de 71 107 724 francs CFA, incluant des factures de 1989 à 1995, a, conformément aux dispositions précitées du code civil, interrompu la prescription ; que, faute pour la SAS Laboratoires Hagral d'avoir précisé, malgré la communication d'un moyen relevé d'office tiré du champ d'application des dispositions précitées du code de commerce, les règles qui étaient applicables aux contrats commerciaux passés entre la société Eurochim et la société Eurochim Sénégal en matière de prescription, elle n'a pas mis la cour à même d'apprécier le bien-fondé du moyen qu'elle a invoqué ; qu'au surplus, n'ayant pas contesté l'analyse faite par l'administration, elle n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, que les créances qu'elle a qualifiées d'irrécouvrables étaient prescrites au regard de la loi française qu'elle a invoquée ;
5. Considérant que, dans ces conditions, la SAS Laboratoires Hagral n'apportant pas la preuve, qui lui incombe, de l'irrécouvrabilité de ces créances en décembre 2005, c'est à bon droit que l'administration a remis en cause le caractère déductible de ces créances pour 2005 ;
Sur la créance détenue sur la société Remora :
6. Considérant que la SAS Laboratoires Hagral fait valoir que la créance, d'un montant de 14 930,09 euros, détenue par la société Eurochim sur la société Remora était irrécouvrable le 31 décembre 2005, en raison de la liquidation de la société en août 2005 ; que toutefois, en l'absence de tout élément établissant l'existence de cette créance et, en tout état de cause, de sa date de rattachement à l'actif de la société, cette dernière n'apporte pas la preuve que la créance de la société Eurochim était définitivement irrécouvrable en 2005 ; que, par suite, l'administration était fondée à remettre en cause une partie du déficit déclaré au titre de l'exercice 2009, issu de la déduction de cette créance, par la société Eurochim, comme irrécouvrable en 2005 ;
7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SAS Laboratoires Hagral n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande ; que, par suite, les conclusions qu'elle présente sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SAS Laboratoires Hagral est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Laboratoires Hagral et au ministre des finances et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 7 juin 2016 à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Mear, président-assesseur,
Mme Duguit-Larcher, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 28 juin 2016.
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N° 14LY03580
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