Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 6 mars 2018, M. D..., représenté par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble du 12 janvier 2018 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 20 octobre 2017 par lequel le préfet de l'Isère a ordonné son transfert vers l'Italie, ainsi que l'arrêté du 24 novembre 2017, par lequel le même préfet l'a assigné à résidence dans le département de l'Isère ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Isère de l'admettre provisoirement au séjour et de lui communiquer son entier dossier ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
M. D... soutient que :
- la décision litigieuse est insuffisamment motivée ;
- la décision ne mentionnait pas le nom et les coordonnées de l'interprète, ne permettant pas de vérifier s'il est inscrit sur la liste dressée par le procureur de la République en application de l'article R. 111-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- eu égard aux insuffisances qui caractérisent le traitement des demandes d'asile en Italie et compte tenu de l'acceptation tacite de ce pays à la demande de reprise en charge, son droit d'asile n'est pas garanti ; le tribunal administratif n'a pas suffisamment répondu à ce moyen ;
- faute de démonstration d'une demande de reprise en charge adressée aux autorités italiennes, la France est redevenue l'Etat membre compétent pour examiner sa demande de protection internationale ;
- il appartenait au préfet de prendre une décision de refus d'admission provisoire au séjour, faute de quoi il était réputé être admis et le préfet de l'Isère devait procéder au retrait expresse de cette décision à l'issue d'une procédure contradictoire, conformément aux prévisions de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 ;
- la notification de la décision ne comporte pas toutes les informations prévues au 2° de l'article 26 du règlement 604/2013 ;
- les brochures dont la remise est prévues par l'article 4 du règlement 604/2013 ne lui ont pas été remises dans une langue dont on peut raisonnablement penser qu'il la comprend ;
- l'entretien individuel et confidentiel n'a pas eu lieu et il ne lui a pas été remis une copie du compte rendu de cet entretien, dont il n'a pas davantage été informé qu'il pouvait le consulter ;
- la question de la traduction et de la qualité de l'interprète se pose au regard de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et le recours à un interprète en dehors de cet article méconnait le caractère confidentiel de l'entretien imposé par le règlement 604/2013 ;
- sans mention de l'identité de l'agent, il n'est pas possible de vérifier la qualification de la personne ayant mené l'entretien pour ce faire ;
- le préfet doit justifier qu'il l'a informé de son droit d'accès aux documents le concernant.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 février 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- la Constitution ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme C..., première conseillère ;
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., ressortissant nigérian âgé de vingt-quatre ans, a déposé une demande d'asile le 13 juin 2017. Le préfet de l'Isère a ordonné, par l'arrêté attaqué du 20 octobre 2017, notifié le 9 janvier 2018, le transfert de l'intéressé vers l'Italie et a par ailleurs prononcé son assignation à résidence par arrêté du 24 novembre 2017, également notifié le 9 janvier 2018. M. D... relève appel du jugement par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions.
2. A l'appui des conclusions de sa requête, M. D... soulève les mêmes moyens que ceux déjà présentés en première instance, tirés de ce qu'un entretien individuel n'aurait pas eu lieu, de ce que la qualification de l'agent qui a conduit l'entretien n'est pas établie, de ce que la décision de transfert serait insuffisamment motivée et de ce que la notification de la décision de transfert ne comporterait pas toutes les informations prévues par le règlement dit " Dublin III ". Il ressort des pièces du dossier que ces moyens doivent être écartés par les mêmes motifs que ceux retenus par le premier juge à bon droit et qu'il y a lieu pour la cour d'adopter.
3. En soutenant que " la question de la traduction et de la qualité de l'interprète se pose au regard de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile " et que le recours à un interprète en dehors de cet article méconnait le caractère confidentiel de l'entretien imposé par le règlement 604/2013, M. D... n'assortit pas son moyen des précisions permettant d'en apprécier le bien fondé.
4. Aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la désignation de cet État membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. 3. La Commission rédige, au moyen d'actes d'exécution, une brochure commune ainsi qu'une brochure spécifique pour les mineurs non accompagnés, contenant au minimum les informations visées au paragraphe 1 du présent article. Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) no 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les États membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux États membres. Ces actes d'exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d'examen visée à l'article 44, paragraphe 2, du présent règlement. "
5. En l'espèce, il est constant que M. D... s'est vu remettre les brochures mentionnées au 3. de l'article 4 du règlement précité le jour de l'enregistrement de sa demande d'asile, en langue anglaise. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier qu'il a indiqué comprendre cette langue et ne soutient d'ailleurs pas que tel ne serait pas le cas. Ainsi, il n'est pas fondé à soutenir que ces brochures ne lui ont pas été remises dans une langue dont on peut raisonnablement penser qu'il la comprend. Par ailleurs, les informations comprises dans ces brochures comprennent notamment les informations relatives au droit d'accès aux données le concernant.
6. La circonstance que la décision ne mentionnait pas le nom et les coordonnées de l'interprète ayant assisté M. D... au cours de l'entretien individuel prévu à l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 est sans incidence sur sa légalité. M. D... ne se prévaut par ailleurs d'aucune insuffisance de la part de l'interprète l'ayant assisté.
7. Aux termes de l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Lorsque l'enregistrement de sa demande d'asile a été effectué, l'étranger se voit remettre une attestation de demande d'asile dont les conditions de délivrance et de renouvellement sont fixées par décret en Conseil d'Etat. La durée de validité de l'attestation est fixée par arrêté du ministre chargé de l'asile. (...) ". Aux termes de l'article L. 742-1 du même code : " Lorsque l'autorité administrative estime que l'examen d'une demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat qu'elle entend requérir, l'étranger bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la fin de la procédure de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat. L'attestation délivrée en application de l'article L. 741-1 mentionne la procédure dont il fait l'objet. Elle est renouvelable durant la procédure de détermination de l'Etat responsable et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat. ".
8. Il résulte des dispositions précitées que lorsqu'il enregistre une demande d'asile, le préfet n'a pas à délivrer une autorisation provisoire de séjour mais une attestation de demande d'asile, laquelle donne le droit à l'étranger de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la décision de transfert, le cas échéant, jusqu'à l'exécution de celle-ci. Ainsi, M. D... n'est pas fondé à soutenir qu'il appartenait au préfet de prendre une décision de refus d'admission provisoire au séjour, faute de quoi il était réputé être admis et le préfet de l'Isère devait procéder au retrait expresse de cette décision à l'issue d'une procédure contradictoire.
9. Contrairement à ce soutient M. D..., il ressort des pièces du dossier, et en particulier des accusés de réception émanant de la cellule française chargée du réseau de communication électronique DubliNet, que le préfet a saisi les autorités italiennes d'une demande de reprise en charge. Il n'est dès lors pas fondé à soutenir que la France serait redevenue l'Etat responsable faute de demande en ce sens.
10. Aux termes du 2 de l'article 3 du règlement (UE) du 26 juin 2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable (...) ".
11. M. D... invoque l'existence de défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Italie. Toutefois, ses allégations de caractère général ne permettent pas de considérer que les autorités italiennes, qui ont donné leur accord implicite à la demande de reprise en charge adressée par les autorités françaises, ne sont pas en mesure de traiter sa demande d'asile dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile et qu'il courrait en Italie un risque réel d'être soumis à des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, en l'absence d'existence avérée de défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans ce pays, au demeurant Etat-membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Si le requérant invoque la décision de la Cour européenne des droits de l'Homme, " Tarakhel c. Suisse " (requête n° 29217/12) du 4 novembre 2014, il ne fait valoir aucun élément particulier justifiant que des garanties particulières soient prises auprès de l'Italie avant son transfert. Ainsi, le moyen tiré de ce que la décision de transfert contestée méconnaît les dispositions précitées du 2 de l'article 3 du règlement (UE) du 26 juin 2013 doit être écarté, ainsi que l'a fait le premier juge qui a suffisamment motivé son jugement sur ce point en l'absence de toute pièce produite à l'appui de ce moyen.
12. Il résulte de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et celles présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 8 janvier 2019, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Menasseyre, présidente-assesseure,
Mme C..., première conseillère.
Lu en audience publique le 29 janvier 2019.
5
N° 18LY00907
gt