Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 29 novembre 2018 et un mémoire enregistré le 16 juillet 2020, la SCI Moulin de Lespinasse, représentée par Me Remy, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 27 septembre 2018 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Loire du 28 juillet 2016 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'arrêté litigieux n'a pas été établi au nom du propriétaire de l'installation, ni ne lui a été notifié ;
- l'arrêté litigieux n'est pas suffisamment motivé en fait, en méconnaissance des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ;
- le préfet n'a pas préalablement recueilli les observations de l'exploitant, méconnaissant ainsi le principe du contradictoire ;
- le préfet a méconnu le principe du contradictoire, en s'abstenant de lui communiquer préalablement la cartographie nationale élaborée par l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture ;
- le débit réservé fixé par l'arrêté litigieux procède d'une erreur d'appréciation ;
- le préfet a commis une erreur de droit en se fondant sur l'article L. 214-18 du code de l'environnement pour lui prescrire l'installation d'un dispositif de dévalaison ;
- la prescription d'installer un dispositif de dévalaison n'est pas justifiée, la présence de faune piscicole n'étant pas établie.
Par un mémoire en défense enregistré le 8 juin 2020, le ministre de la transition écologique et solidaire conclut au rejet de la requête.
Il expose que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 20 juillet 2020, la clôture d'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 15 septembre 2020.
En application de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, l'instruction a été rouverte pour les seuls éléments et pièces demandés en vue de compléter l'instruction le 21 septembre 2020 et le 12 octobre 2020.
L'instruction à l'égard de ces éléments et pièces a été close le 4 novembre 2020 par ordonnance du 19 octobre 2020.
Par un mémoire enregistré le 4 novembre 2020, la SCI Moulin de Lespinasse a conclu aux mêmes fins que précédemment par les mêmes moyens.
Par un courrier du 11 décembre 2020, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la cour est susceptible de soulever d'office l'irrecevabilité des moyens d'irrégularité de procédure tirés de l'insuffisante motivation de la décision litigieuse et de la méconnaissance du principe du contradictoire, ceux-ci reposant sur une cause juridique différente de celle dont relevaient les moyens soulevés en première instance.
Un mémoire enregistré le 14 décembre 2020 a été présenté pour la SCI Moulin de Lespinasse en réponse à ce moyen d'ordre public et n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'énergie ;
- le code de l'environnement ;
- l'arrêté du 10 juillet 2012 portant sur la liste 1 des cours d'eau, tronçons de cours d'eau ou canaux classés au titre de l'article L. 214-17 du code de l'environnement du bassin Loire-Bretagne ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C... E..., première conseillère,
- les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public,
- et les observations de Me Brunner, avocat, représentant la SCI Moulin de Lespinasse ;
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 28 juillet 2016, le préfet de la Loire, sur le fondement de l'article L. 214-3 du code de l'environnement, a imposé des prescriptions complémentaires à l'ouvrage hydraulique dit le " Moulin de Lespinasse ", situé sur la rivière la Teyssonne, en vue de la mise en conformité de cet ouvrage au titre de l'article L. 214-18 du même code. Par un jugement du 27 septembre 2018, le tribunal administratif de Lyon a reconnu que le moulin bénéficie d'un droit fondé en titre, en application de l'article L. 511-9 du code de l'énergie, mais a rejeté les conclusions de la SCI Moulin de Lespinasse tendant à l'annulation de l'arrêté du 28 juillet 2016 et à ce que le débit réservé applicable à cet ouvrage soit fixé à 32,6 litres par seconde. En relevant appel de ce jugement, la SCI Moulin de Lespinasse doit être regardée comme sollicitant l'annulation de son seul article 2 rejetant ses conclusions à fin d'annulation.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Il appartient au juge du plein contentieux, saisi d'un recours formé contre une décision de l'autorité administrative prise dans le domaine de l'eau en application des articles L. 214-1 et suivants du code de l'environnement, d'apprécier le respect des règles de procédure au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date de la décision prise par cette autorité. S'agissant des règles de fond, il appartient au juge du plein contentieux non d'apprécier la légalité de la décision prise par l'autorité administrative dans le domaine de l'eau au vu des seuls éléments dont pouvait disposer cette autorité lorsqu'elle a statué sur la demande, mais de se prononcer lui-même sur l'étendue des obligations mises par cette autorité à la charge du bénéficiaire de l'autorisation au regard des circonstances de fait et de droit existant à la date à laquelle il statue.
3. Aux termes de l'article L. 214-18 du code de l'environnement : " I.- Tout ouvrage à construire dans le lit d'un cours d'eau doit comporter des dispositifs maintenant dans ce lit un débit minimal garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans les eaux au moment de l'installation de l'ouvrage ainsi que, le cas échéant, des dispositifs empêchant la pénétration du poisson dans les canaux d'amenée et de fuite. Ce débit minimal ne doit pas être inférieur au dixième du module du cours d'eau en aval immédiat ou au droit de l'ouvrage correspondant au débit moyen interannuel, évalué à partir des informations disponibles portant sur une période minimale de cinq années, ou au débit à l'amont immédiat de l'ouvrage, si celui-ci est inférieur. (...) III.- L'exploitant de l'ouvrage est tenu d'assurer le fonctionnement et l'entretien des dispositifs garantissant dans le lit du cours d'eau les débits minimaux définis aux alinéas précédents. IV.- Pour les ouvrages existant à la date de promulgation de la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques, les obligations qu'elle institue sont substituées, dès le renouvellement de leur concession ou autorisation et au plus tard le 1er janvier 2014, aux obligations qui leur étaient précédemment faites (...) ".
4. Il résulte des dispositions citées ci-dessus du IV de l'article L. 214-18 du code de l'environnement que les installations et ouvrages fondés en titre sont soumis, au plus tard le 1er janvier 2014, aux dispositions de cet article qui définissent les conditions dans lesquelles l'autorité administrative fixe un débit minimal et imposer des dispositifs aux ouvrages construits dans le lit d'un cours d'eau de nature à maintenir ce débit. Ainsi, dans l'exercice de ses pouvoirs de police de l'eau, l'autorité administrative peut imposer à l'exploitant de toute installation existante, y compris fondée en titre, les prescriptions nécessaires à la préservation des milieux naturels aquatiques.
5. En premier lieu, la SCI Moulin de Lespinasse n'avait, en première instance, présenté que des moyens contestant le bienfondé de l'arrêté en litige. Dès lors, elle n'est pas recevable, en appel, à soutenir que cet arrêté serait entaché d'un défaut de motivation et qu'il aurait été adopté au terme d'une procédure irrégulière méconnaissant le principe du contradictoire, ces moyens reposant sur une cause juridique, tirée de l'irrégularité de la procédure, différente de celle qui fondait ses moyens de première instance.
6. En deuxième lieu, d'une part, les circonstances dans lesquelles une décision administrative est notifiée sont dépourvues d'incidence sur sa légalité. D'autre part, ni l'article L. 214-8 du code de l'environnement, qui vise l'exploitant de l'ouvrage, ni aucune disposition de ce code n'exigent que la décision prise par l'autorité administrative dans le domaine de l'eau en application des articles L. 214-1 et suivants du code de l'environnement soit établie au nom du propriétaire de l'ouvrage. Par ailleurs, il est constant que M. B... est associé et cogérant de la SCI Moulin de Lespinasse, propriétaire de l'ouvrage. Ainsi, bien que visant M. B... en tant que pétitionnaire sans rappeler ses qualités au sein de la SCI, l'arrêté en litige ne saurait être regardé comme ayant été délivré à un tiers, contrairement à ce que prétend la requérante. Ce moyen doit être écarté.
7. En troisième lieu, il résulte de l'article L. 214-18 du code de l'environnement que le débit minimal qu'il prévoit est fixé, selon les cours d'eau, au dixième ou au vingtième du module du cours d'eau. Pour les installations et ouvrages fondés en titre, il résulte de ce qui a été dit au point 4, que le débit minimal doit, au plus tard au 1er janvier 2014, correspondre à ces valeurs.
8. Il résulte de l'instruction que le moulin de Lespinasse, qui dispose d'un droit fondé en titre, est construit dans le lit de la Teyssonne laquelle emprunte totalement son canal d'alimentation. Pour fixer à 40,6 litres par seconde le débit à maintenir dans le cours d'eau en aval du Moulin de Lespinasse, le préfet de la Loire s'est fondé sur une évaluation réalisée par l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (IRSTEA), lequel a corrigé les données relevées au droit de la station hydrométrique de Changy, située à 6 kilomètres en amont, pour tenir compte du débit du bassin versant venant renforcer le débit jusqu'au droit du moulin. Cette évaluation est issue d'un outil informatique dont un extrait a été versé au dossier. Pour contester cette modélisation, la SCI Moulin de Lespinasse ne peut se borner à demander l'application du module interannuel relevé à la station de Changy et n'apporte aucun élément de nature à démontrer le caractère erroné de la modélisation ainsi réalisée. En particulier, n'est pas suffisant le courrier électronique du 21 juillet 2017 relatif au débit réservé qui serait appliqué à un moulin distinct, lequel n'est corroboré par aucune décision en ce sens. Dans ces conditions, la SCI Moulin de Lespinasse n'est pas fondée à soutenir que le préfet de la Loire a méconnu les dispositions précitées en imposant ce débit réservé.
9. En quatrième lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 214-6 du code de l'environnement : " (...) II.- Les installations, ouvrages et activités déclarés ou autorisés en application d'une législation ou réglementation relative à l'eau antérieure au 4 janvier 1992 sont réputés déclarés ou autorisés en application des dispositions de la présente section. Il en est de même des installations et ouvrages fondés en titre. (...) VI.- Les installations, ouvrages et activités visés par les II, III et IV sont soumis aux dispositions de la présente section. ". L'article L. 214-3 du même code dispose que : " (...) Les prescriptions nécessaires à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 211-1, les moyens de surveillance, les modalités des contrôles techniques et les moyens d'intervention en cas d'incident ou d'accident sont fixés par l'arrêté d'autorisation et, éventuellement, par des actes complémentaires pris postérieurement. (...) ". L'article L. 211-1 du code de l'environnement vise notamment : " (...) 7° Le rétablissement de la continuité écologique au sein des bassins hydrographiques (...) ".
10. D'autre part, aux termes de l'article L. 214-17 du même code : " I.- Après avis des conseils départementaux intéressés, des établissements publics territoriaux de bassin concernés, des comités de bassins et, en Corse, de l'Assemblée de Corse, l'autorité administrative établit, pour chaque bassin ou sous-bassin : 1° Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux parmi ceux qui sont en très bon état écologique ou identifiés par les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux comme jouant le rôle de réservoir biologique nécessaire au maintien ou à l'atteinte du bon état écologique des cours d'eau d'un bassin versant ou dans lesquels une protection complète des poissons migrateurs vivant alternativement en eau douce et en eau salée est nécessaire, sur lesquels aucune autorisation ou concession ne peut être accordée pour la construction de nouveaux ouvrages s'ils constituent un obstacle à la continuité écologique. /Le renouvellement de la concession ou de l'autorisation des ouvrages existants, régulièrement installés sur ces cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux, est subordonné à des prescriptions permettant de maintenir le très bon état écologique des eaux, de maintenir ou d'atteindre le bon état écologique des cours d'eau d'un bassin versant ou d'assurer la protection des poissons migrateurs vivant alternativement en eau douce et en eau salée ; 2° Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant (...) ".
11. Contrairement à ce que prétend la requérante, l'article L. 214-18 du code de l'environnement, rappelé au point 3 du présent arrêt, permet au préfet non seulement de prescrire l'installation de dispositifs permettant le maintien d'un débit réservé, mais aussi de " dispositifs empêchant la pénétration du poisson dans les canaux d'amenée et de fuite ". Comme indiqué au point 8, il résulte de l'instruction que le Moulin de Lespinasse est construit dans le lit de la Teyssonne laquelle emprunte totalement son canal d'alimentation. Par suite, le préfet pouvait prescrire des dispositifs visant à limiter la mortalité des poissons circulant dans ce canal d'amenée.
12. En outre, il résulte des dispositions mentionnées aux points 9 et 10 du présent arrêt que l'obligation d'assurer la continuité écologique ne s'applique pas aux seuls cours d'eau classés sur les listes prévues aux 1° et 2° du I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement, mais constitue l'un des objectifs de la gestion équilibrée et durable de la ressource en eau dont les autorités administratives chargées de la police de l'eau doivent assurer le respect sur l'ensemble des cours d'eau. En application des dispositions rappelées au point 9, le préfet peut ordonner des prescriptions à cette fin, y compris aux ouvrages titulaires d'un droit fondé en titre. L'éventuel classement du cours d'eau au titre de l'article L. 214-17 du code de l'environnement, en raison de son très bon état écologique ou de son importance pour la circulation des sédiments et la migration des poissons, fait partie des éléments pris en compte pour apprécier la proportionnalité des prescriptions édictées. Par suite, et alors même que l'ensemble des dispositions applicables ne figurent pas dans les visas de l'arrêté litigieux mais seulement dans ses motifs ou son intitulé, la prescription fixée à l'article 3.2. de l'arrêté en litige n'est pas dépourvue de base légale.
13. En cinquième lieu, pour contester le bien-fondé de la prescription en litige, la SCI Moulin de Lespinasse se borne à mettre en cause des documents produits par le préfet de la Loire en première instance en vue d'établir l'existence d'une faune piscicole dans le cours d'eau. S'il est vrai que ces documents sont dépourvus de précisions quant à leur origine, il est toutefois constant que la Teyssonne est classée au titre du 1° de l'article L. 214-17 du code de l'environnement par un arrêté du 10 juillet 2012 du préfet de la région Centre et est ainsi reconnue soit comme étant en très bon état biologique, soit comme servant de réservoir biologique et dans lequel tout obstacle à la continuité écologique doit être évité. En cohérence avec ce classement, la prescription en litige exige seulement soit l'installation d'une turbine ichtyocompatible limitant la mortalité des poissons transitant dans la turbine, soit l'installation d'un dispositif empêchant la pénétration des poissons dans la turbine, sans que la requérante n'en démontre le caractère excessif. Dans ces conditions, elle n'est pas fondée à soutenir que le préfet de la Loire a méconnu les dispositions précitées en lui imposant une telle prescription.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la SCI Moulin de Lespinasse n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêt du préfet de la Loire du 28 juillet 2016.
Sur les frais liés au litige :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par la SCI Moulin de Lespinasse.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SCI Moulin de Lespinasse est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI Moulin de Lespinasse et au ministre de la transition écologique et solidaire.
Délibéré après l'audience du 26 janvier 2021, à laquelle siégeaient :
Mme D... A..., présidente,
M. Gilles Fédi, président-assesseur,
Mme C... E..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition du greffe le 11 février 2021.
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N° 18LY04253