Par une requête enregistrée le 22 janvier 2020, Mme D... épouse C..., représentée par Me H... (E... BS2A Bescou et Sabatier avocats associés), avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 31 décembre 2019 du tribunal administratif de Lyon ;
2°) d'annuler les décisions du préfet du Rhône du 7 mars 2019 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Rhône de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou, subsidiairement, de procéder à un nouvel examen de sa situation dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
En ce qui concerne la décision de refus de titre de séjour :
- cette décision méconnaît le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- elle méconnaît l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
- cette décision est illégale en raison de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
- cette décision est illégale en raison de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour et de l'obligation de quitter le territoire français.
Par un mémoire en défense enregistré le 16 septembre 2020, le préfet du Rhône conclut au rejet de la requête.
Il expose que les moyens soulevés ne sont pas fondés et s'en rapporte à ses écritures de première instance.
Par une ordonnance du 23 juillet 2020, la clôture de l'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 21 septembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 ;
- l'accord franco-tunisien en matière de séjour et de travail du 17 mars 1988 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme F... I..., première conseillère,
- et les observations de Me Hmaida, avocat, représentant Mme D... épouse C... ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... épouse C..., ressortissante tunisienne née le 19 juin 1982, est entrée en France le 27 juillet 2015. Par des décisions du 7 mars 2019, le préfet du Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français avant le 15 mai 2019 et a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement. Mme D... épouse C... relève appel du jugement du 31 décembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier que Mme D... épouse C..., ressortissante tunisienne née le 19 juin 1982, est entrée en France, sous couvert d'un visa de court séjour, le 27 juillet 2015, afin d'y rejoindre son époux, également de nationalité tunisienne et titulaire en France d'une carte de résident valable jusqu'au 8 juin 2026. De leur mariage, célébré en Tunisie en 2008, sont nés trois enfants respectivement, en 2010, 2017 et 2019. Il est constant qu'à la date du refus de titre litigieux, les époux et leurs enfants entretenaient une communauté de vie en France depuis près de quatre ans. Dès lors, et nonobstant la situation de bigamie dans laquelle se serait trouvé M. C... à la date de son mariage avec la requérante, en raison d'un premier mariage contracté en 2004, lequel a été ultérieurement déclaré nul par la cour d'appel de Lyon, Mme D... épouse C... est fondée à soutenir qu'en refusant de lui délivrer un titre de séjour, le préfet du Rhône a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels sa décision a été prise et a méconnu les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.
4. Le refus de titre de séjour opposé à Mme D... épouse C... étant ainsi entaché d'illégalité, l'obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de destination de cette mesure d'éloignement dont il est assorti doivent, par voie de conséquence, également être annulées.
5. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme D... épouse C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :
6. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure ".
7. Dès lors qu'aucun changement dans les circonstances de droit ou de fait ne résulte de l'instruction, l'annulation prononcée par le présent arrêt implique que le préfet territorialement compétent délivre à Mme D... épouse C... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement no 1903928 du 31 décembre 2019 du tribunal administratif de Lyon est annulé.
Article 2 : Les décisions du préfet du Rhône du 7 mars 2019 sont annulées.
Article 3 : Il est enjoint au préfet du lieu de résidence de Mme D... épouse C... à la date du présent arrêt de lui délivrer un titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Mme D... épouse C... une somme 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de Mme D... épouse C... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... D... épouse C... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Rhône.
Délibéré après l'audience du 26 janvier 2021, à laquelle siégeaient :
Mme G... B..., présidente de chambre,
M. Gilles Fédi, président assesseur,
Mme F... I..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 février 2021
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N°20LY00359