Par un jugement nos 1900655-1900656 du 13 février 2020, le tribunal administratif de Lyon a constaté qu'il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions aux fins d'annulation et d'injonction sous astreinte présentées par M. F..., a condamné l'Etat à lui verser une somme de 500 euros en réparation des préjudices subis, outre 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et a rejeté le surplus de ses demandes.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 14 février 2020, le préfet du Rhône demande à la cour :
1°) d'annuler les articles 2 et 3 du jugement du 13 février 2020 du tribunal administratif de Lyon ;
2°) de rejeter les demandes de M. F....
Il soutient que :
- sa requête est recevable ;
- aucune faute ne saurait être imputée à l'Etat, M. F... ayant toujours été titulaire d'un récépissé et n'ayant dès lors jamais été privé d'un droit à se maintenir légalement sur le territoire français ;
- aucun préjudice, notamment financier, n'est démontré, ni aucun lien de causalité entre ce prétendu préjudice et une faute de l'Etat.
Par un mémoire en défense enregistré le 2 avril 2020, M. F..., représenté par Me Sabatier, avocat, conclut au rejet de la requête et demande à la cour :
1°) par la voie de l'appel incident, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 10 000 euros, augmentée d'une rente de 1 000 euros par mois à compter du 26 novembre 2018 et jusqu'à notification d'une décision explicite, en réparation des préjudices qu'il a subis ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement à son avocat d'une somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il expose que :
- l'Etat a commis une faute, dès lors qu'en lui délivrant la carte de séjour sollicitée au mois de novembre 2019, il a reconnu son droit au séjour et au travail et que le récépissé qui lui avait été délivré antérieurement ne l'autorisait pas à travailler ;
- il a subi un trouble dans ses conditions d'existence, en conséquence de cette absence de droit au travail.
Par une décision du 19 août 2020, la demande d'aide juridictionnelle présentée par M. F... a été déclarée caduque.
Par une ordonnance du 23 juillet 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 21 septembre 2019.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 ;
- l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du royaume du Maroc en matière de séjour et d'emploi du 9 octobre 1987 :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme B... E..., première conseillère ;
Considérant ce qui suit :
1. Par courrier du 11 juin 2018, M. F..., ressortissant marocain né le 20 janvier 1984, a sollicité la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 et de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Sa demande ayant été implicitement rejetée, M. F... a demandé au préfet du Rhône la communication des motifs de ce refus, ainsi que le versement d'une indemnité de 2 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis, par courrier du 12 décembre 2018. A défaut de réponse, il a saisi le tribunal administratif de Lyon de demandes tendant à l'annulation du rejet implicite de sa demande de délivrance d'un titre de séjour et à la condamnation de l'Etat à réparer les préjudices subis en conséquence de l'illégalité de ce refus de titre de séjour. Par un jugement du 13 février 2020, le tribunal administratif de Lyon a estimé qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur les conclusions aux fins d'annulation et d'injonction sous astreinte présentées par M. F..., dans la mesure où une carte de résident lui avait été délivrée le 12 novembre 2019, et a condamné l'Etat à lui verser une somme de 500 euros en réparation des préjudices subis. Le préfet du Rhône relève appel de ce jugement, en tant qu'il condamne l'Etat à verser une indemnité à M. F..., outre une somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. M. F..., en réitérant en appel ses conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité de 10 000 euros, augmentée d'une rente mensuelle de 1 000 euros, doit être regardé comme ayant ainsi présenté, par la voie de l'appel incident, des conclusions tendant à la réformation de l'article 2 de ce jugement, afin que soit augmenté le montant de la somme que l'Etat a été condamné à lui verser.
Sur l'appel principal du préfet du Rhône :
2. Il résulte des termes mêmes du jugement attaqué que, pour condamner l'Etat à verser une somme de 500 euros à M. F..., les premiers juges ont retenu que l'Etat avait commis une faute en privant illégalement l'intéressé du droit de se maintenir sur le territoire français à l'expiration de son dernier récépissé, le 10 mars 2019. Toutefois, il résulte de l'instruction qu'à son échéance, ce récépissé a été renouvelé à quatre reprises, jusqu'à la délivrance d'une carte de résident le 12 novembre 2019. Ainsi, M. F... n'a pas été privé du droit à se maintenir légalement sur le territoire français entre le 10 mars et le 12 novembre 2019.
3. Il résulte de ce qui précède que le préfet du Rhône est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lyon a, pour condamner l'Etat à verser une somme de 500 euros à M. F..., retenu l'existence d'une faute consistant à avoir illégalement privé ce dernier du droit de se maintenir sur le territoire français à l'expiration de son récépissé le 10 mars 2019.
4. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par les parties tant devant le tribunal administratif de Lyon que devant la cour.
Sur les conclusions indemnitaires :
5. Toute illégalité commise par l'administration constitue une faute susceptible d'engager sa responsabilité, pour autant qu'il en soit résulté un préjudice direct et certain. Ainsi, si l'intervention d'une décision illégale peut constituer une faute susceptible d'engager la responsabilité de la collectivité publique, elle ne saurait donner lieu à réparation si, dans le cas d'une procédure régulière, la même décision aurait pu légalement être prise.
En ce qui concerne la légalité du refus de titre de séjour :
6. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui (...) ". L'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, applicable aux ressortissants marocains en vertu de l'article 9 de l'accord franco-marocain, dispose par ailleurs que : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : / (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus (...) ".
7. Il résulte de l'instruction que M. F..., ressortissant marocain né le 20 janvier 1984, a épousé en France le 17 septembre 2016 une compatriote, titulaire d'une carte de résident. De leur mariage est né un enfant le 25 avril 2018. Il n'est pas contesté que les époux entretiennent une communauté de vie et que M. F... participe ainsi à l'entretien et à l'éducation de leur enfant. Dans ces circonstances, M. F... est fondé à soutenir qu'en refusant implicitement de lui délivrer un titre de séjour, le préfet du Rhône a porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et méconnu les stipulations et dispositions précitées et qu'il a ainsi commis une faute de nature à engager sa responsabilité.
En ce qui concerne les préjudices subis par M. F... et le lien de causalité :
8. Il résulte de l'instruction que M. F... a toujours bénéficié d'un récépissé, régulièrement renouvelé, l'autorisant à séjourner sur le territoire français. Il ne peut, par suite, soutenir qu'il a été irrégulièrement maintenu dans une situation de précarité et d'anxiété en raison du délai d'instruction de sa demande.
9. Toutefois, il n'est pas contesté qu'à la différence du titre de séjour qui aurait dû lui être délivré, ce récépissé ne l'autorisait pas à travailler, alors qu'il justifie avoir disposé d'une promesse d'embauche au mois d'octobre 2019. Il a ainsi été privé d'une chance d'exercer une activité professionnelle. Eu égard à la courte durée de la période en cause, il sera fait une juste appréciation du préjudice ainsi subi en condamnant l'Etat à lui verser une somme de 500 euros.
10. Enfin, si M. F... soutient avoir été privé du bénéfice de certaines aides sociales, il ne produit aucune pièce tendant à l'établir. Il ne démontre pas davantage avoir eu des projets de voyage qu'il n'aurait pu mener à bien avant qu'une carte de résident lui soit délivrée. Ces préjudices sont par suite dépourvus de caractère certain.
11. Il résulte de ce qui précède que le préfet du Rhône n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon l'a condamné à verser une somme de 500 euros à M. F... ainsi qu'une somme de 1000 euros au titre des frais d'instance, l'Etat étant la partie perdante. M. F... n'est pas davantage fondé à se plaindre de ce que le tribunal administratif de Lyon a rejeté le surplus de ses demandes.
Sur les frais liés au litige :
12. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, la somme demandée par M. F... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet du Rhône est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la voie de l'appel incident par M. F..., ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... F... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Rhône.
Délibéré après l'audience du 26 janvier 2021, à laquelle siégeaient :
Mme C... A..., présidente de chambre,
M. Gilles Fédi, président-assesseur,
Mme B... E..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 février 2021.
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N° 20LY00659