Par une ordonnance du 25 novembre 2015, le président de la 1ère chambre du tribunal administratif de Grenoble a décliné la compétence de la juridiction administrative pour connaître
du litige.
Par un jugement du 8 septembre 2016, le tribunal de commerce de Thonon-les-Bains a renvoyé au Tribunal des conflits le soin de statuer sur la question de compétence.
Par décision n° 4074 du 9 janvier 2017, le Tribunal des conflits a déclaré la juridiction administrative seule compétente pour connaître du litige indemnitaire opposant la société Centre Léman à la communauté d'agglomération d'Annemasse-Les Voirons.
Par un jugement n° 1700446 du 9 novembre 2017, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 12 janvier 2018 et deux mémoires enregistrés le 21 décembre 2018 et le 5 février 2020, la société Centre Léman, représentée par Me Billet, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 9 novembre 2017 ;
2°) de condamner la communauté d'agglomération d'Annemasse à lui verser une somme de 748 860 euros en réparation du préjudice subi au 31 décembre 2017, outre 4 380 euros par semaine supplémentaire jusqu'à l'arrêt à intervenir ;
3°) de mettre à la charge de la communauté d'agglomération d'Annemasse Les Voirons une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les prix d'accès aux activités aquatiques proposées par le Château Bleu revêtent le caractère de prix prédateurs et constituent ainsi une concurrence déloyale en méconnaissance des articles L. 410-1 et suivants du code du commerce, engageant la responsabilité de la communauté d'agglomération qui gère le centre nautique ;
- le préjudice subi s'élève à 4 380 euros par semaine.
Par deux mémoires en défense enregistrés le 7 septembre 2018 et le 28 février 2020, la communauté d'agglomération d'Annemasse Les Voirons, représentée par Me B... (F... B... et associés), avocat, conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de la société Centre Léman la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il expose que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 29 juin 2020, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 21 juillet 2020.
Un mémoire, enregistré le 21 juillet 2020, a été présenté pour la société Centre Léman et, dépourvu d'éléments nouveaux, n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de commerce ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- l'ordonnance n° 2004-503 du 7 juin 2004 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C... E..., première conseillère ;
- les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public ;
- les observations de Me Venancio avocat, représentant la société Centre Léman, et de Me Sovet, avocat, représentant la communauté d'agglomération d'Annemasse Les Voirons ;
Considérant ce qui suit :
1. La société Centre Léman exploite depuis 2008 un centre de remise en forme situé à Vetraz-Monthoux et, depuis avril 2013, un espace aquatique proposant notamment des activités d'" aquabike " et d'" aquagym ". Après une interruption pour cause de travaux, la communauté d'agglomération d'Annemasse Les Voirons, dite " Annemasse agglo ", a également à nouveau proposé de telles activités au centre aquatique " le château bleu " situé à proximité, à compter du mois de mai 2014. Par courrier du 23 juin 2015, la société Centre Léman sollicitait de la communauté d'agglomération réparation du préjudice commercial subi en raison des tarifs qu'elle pratique. Sa demande ayant été rejetée par décision du 28 septembre 2015, la société Centre Léman a saisi le tribunal administratif de Grenoble d'une requête aux mêmes fins, laquelle a été rejetée par jugement du 9 novembre 2017. La société Centre Léman relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 410-1 du code du commerce : " Les règles définies au présent livre s'appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques, notamment dans le cadre de conventions de délégation de service public ". L'article L. 420-5 du même code dispose que : " Est prohibée, dans les conditions prévues à l'article L. 420-1, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises d'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou en conditions de vente discriminatoires ainsi que dans la rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées (...) ".
3. Les personnes publiques sont chargées d'assurer les activités nécessaires à la réalisation des missions de service public dont elles sont investies et bénéficient à cette fin de prérogatives de puissance publique. Si elles entendent, indépendamment de ces missions, prendre en charge une activité économique, elles ne peuvent légalement le faire que dans le respect tant de la liberté du commerce et de l'industrie que du droit de la concurrence. Pour intervenir sur un marché, elles doivent, non seulement agir dans la limite de leurs compétences, mais également justifier d'un intérêt public, lequel peut résulter notamment de la carence de l'initiative privée ou de la volonté d'amortir des équipements. Une fois admise dans son principe, une telle intervention ne doit pas se réaliser suivant des modalités telles qu'en raison de la situation particulière dans laquelle se trouverait cette personne publique par rapport aux autres opérateurs agissant sur le même marché, elle fausserait le libre jeu de la concurrence sur celui-ci.
4. Ainsi que l'ont retenu à juste titre les premiers juges, le coût pertinent à prendre en compte afin d'évaluer si le prix des prestations offertes en concurrence est abusif, est celui du coût incrémental, c'est-à-dire le coût que la personne publique ne supporterait pas si elle n'exerçait pas l'activité concurrentielle. Les coûts qu'elle est obligée d'engager pour assurer la mission de service public qui lui est confiée et qu'elle serait obligée d'engager même si elle n'offrait pas de prestations en concurrence n'ont pas à être pris en compte dans les coûts pertinents de l'activité concurrentielle et donc à être couverts par les recettes tirées de cette activité. Il en est notamment ainsi des coûts fixes communs à la mission de service public et à l'activité concurrentielle.
5. Il résulte de l'instruction, en particulier des bilans financiers produits, qu'en prenant en compte ces seuls coûts incrémentaux, les activités proposées par la communauté d'agglomération d'Annemasse Les Voirons qui relèvent d'un marché concurrentiel, que sont l'exploitation de l'espace bien-être, l'aquabike et l'aquafitness, sont entièrement financées par leurs propres recettes, exclusivement tirées des entrées et des abonnements, à l'exclusion de toute subvention. Ces bilans sont accompagnés des éléments comptables à partir desquels ils ont été établis, sans que la société Centre Léman ne remette utilement en cause leur exactitude. Contrairement à ce qu'elle prétend, ces données financières peuvent être ainsi justifiées par tout document comptable ou tout autre moyen approprié, aucune des décisions et dispositions dont elle se prévaut n'ayant pour effet de soumettre la communauté d'agglomération à l'obligation de tenir une comptabilité analytique propre aux activités en cause, celles-ci n'étant notamment pas susceptibles d'affecter sensiblement les échanges au sein de l'Union européenne au sens de l'article 2 de l'ordonnance du 7 juin 2004 susvisé portant transposition de la directive 80/723/CEE relative à la transparence des relations financières entre les Etats membres et les entreprises publiques. Par ailleurs, la circonstance que la taxe sur la valeur ajoutée n'aurait pas été effectivement appliquée aux tarifs de ces activités, allégation dont la réalité n'est, au demeurant, nullement établie, demeure, en tout état de cause, dépourvue de toute incidence sur l'équilibre financier de ces activités. Enfin, la circonstance que les prix pratiqués par la communauté d'agglomération d'Annemasse Les Voirons sont inférieurs à ceux proposés par la société Centre Léman ne saurait en elle-même établir une atteinte au droit de la concurrence, compte tenu notamment des qualités respectives des prestations en cause. Par suite, la société Centre Léman ne démontre pas qu'ainsi qu'elle le prétend, la communauté d'agglomération d'Annemasse Les Voirons pratiquerait des prix contraires au droit de la concurrence.
6. Il résulte de tout ce qui précède que la société Centre Léman n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la communauté d'agglomération d'Annemasse Les Voirons, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par la société Centre Léman. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cette dernière une somme de 2 000 euros à verser à la communauté d'agglomération d'Annemasse Les Voirons au titre de ces mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Centre Léman est rejetée.
Article 2 : La société Centre Léman versera à la communauté d'agglomération d'Annemasse Les Voirons une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Centre Léman et à la communauté d'agglomération d'Annemasse Les Voirons.
Délibéré après l'audience du 13 octobre 2020, à laquelle siégeaient :
Mme D... A..., présidente de chambre,
M. Gilles Fédi, président-assesseur,
Mme C... E..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 17 novembre 2020.
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N° 18LY00140