II/ Par une requête, enregistrée le 9 novembre 2020 sous le n° 20LY03262, Mme B..., représenté par Me Gillioen, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon du 22 octobre 2020 et les décisions du préfet de l'Ain du 17 octobre 2020 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
- la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon ne pouvait retenir valablement la délégation de signature de M. C..., dès lors que cette délégation de signature n'a pas été régulièrement produite par le préfet de l'Ain ;
- l'obligation de quitter le territoire français est entachée d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;
- cette décision est entachée d'un défaut de motivation et d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Sur le refus de délai de départ volontaire :
- la décision litigieuse est entachée d'un défaut de motivation et d'une erreur d'appréciation sur l'application des dispositions du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'elle justifie de circonstances particulières au sens du 3° de ces dispositions ; le juge de première instance n'a pas suffisamment motivé son jugement pour écarter ce moyen.
Sur l'interdiction de retour sur le territoire français :
- la décision est insuffisamment motivée au regard des dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; l'analyse du préfet sur ses attaches familiales est erronée ;
- elle porte une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Sur la décision d'assignation à résidence :
- c'est à tort que le premier juge a considéré qu'il y avait un risque de soustraction à la mesure l'obligeant à quitter le territoire français.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 avril 2021, le préfet de l'Ain conclut au rejet de la requête et demande, par la voie de l'appel incident, l'annulation du jugement de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon du 22 octobre 2020 en ce qu'il annule sa décision d'assignation à résidence du 17 octobre 2020 en tant qu'elle fixe une plage horaire pendant laquelle Mme B... doit demeurer à sa résidence.
Il soutient que :
- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;
- les dispositions de l'article L. 561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile concernant la possibilité d'assigner à résidence un étranger en fixant une plage horaire pendant laquelle celui-ci doit demeurer à son domicile étaient applicables au cas d'espèce en vertu du dixième alinéa du I de l'article L. 561-2 du même code.
Dans l'instance n° 20LY03262, par un courrier du 6 juillet 2021, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la cour est susceptible de relever d'office l'irrecevabilité des conclusions d'appel incident du préfet de l'Ain, en ce qu'elles soulèvent un litige distinct de celui qui fait l'objet de l'appel principal de Mme B....
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique, le rapport de Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante tunisienne née le 9 juin 1979, est entrée sur le territoire français le 16 mars 2020 munie d'un visa court séjour. Elle a également bénéficié d'une autorisation provisoire de séjour valable jusqu'au 19 août 2020. Par un arrêté du 17 octobre 2020, le préfet de l'Ain l'a obligée à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a désigné un pays de destination et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Par un second arrêté du même jour, le préfet de l'Ain l'a assignée à résidence en fixant une plage horaire quotidienne, de 9h à 12h, pendant laquelle elle doit rester à son domicile et en l'obligeant à se présenter chaque jour à 15h à la gendarmerie. Par un jugement du 22 octobre 2020, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon a annulé la décision d'assignation à résidence en tant qu'elle fixe une plage horaire pendant laquelle Mme B... doit demeurer à sa résidence (article 1er du jugement), a condamné l'Etat à verser à Mme B... une somme de 1 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 2 du jugement) et a rejeté le surplus des conclusions à fin d'annulation de Mme B... (article 3 du jugement).
2. Par une requête n° 20LY03095, le préfet de l'Ain relève appel de ce jugement en tant qu'il condamne l'Etat au paiement de frais non compris dans les dépens. Par la requête n° 20LY03262 Mme B... relève appel de ce même jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions et, par des conclusions d'appel incident, le préfet de l'Ain demande l'annulation du jugement en tant qu'il a annulé partiellement sa décision d'assignation à résidence.
3. Les requêtes susvisées nos 20LY03095 et 20LY03262, présentées respectivement par le préfet de l'Ain et par Mme B..., relèvent appel d'un même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur la requête n° 20LY03262 :
Sur les conclusions de Mme B... :
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
4. En premier lieu, il ressort des pièces produites par le préfet de l'Ain que le secrétaire général de la préfecture de l'Ain, signataire des décisions litigieuses disposait, en vertu d'une délégation accordée le 12 octobre 2020 et publiée le jour même au recueil des actes administratifs de la préfecture, de la compétence pour les signer. Par suite, si le jugement attaqué mentionne par erreur que cette délégation de signature découlait d'un arrêté du 2 septembre 2020, Mme B... n'est pas fondée à se plaindre de ce que la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon a écarté le moyen tiré de l'incompétence du signataire des décisions litigieuses.
5. En deuxième lieu, le préfet de l'Ain a fait mention, avec une précision suffisante, des considérations de fait et de droit qui constituent le fondement de son arrêté du 17 octobre 2020. Il a précisé que Mme B... est entrée en France sous couvert de son passeport revêtu d'un visa de court séjour, qu'elle a bénéficié d'une autorisation provisoire de séjour dans le contexte sanitaire dont elle n'a pas demandé le renouvellement et qu'elle évoque un projet de mariage avec un ressortissant français. Ce faisant, il a procédé, contrairement à ce qui est soutenu, à examen particulier de la situation de la requérante. La circonstance que le préfet de l'Ain n'a pas fait état de la présence en France d'une partie de sa famille n'est pas de nature à établir un tel défaut d'examen.
6. En troisième lieu, parmi les motifs de son arrêté, le préfet de l'Ain, après avoir évoqué le projet de mariage de Mme B... et le fait que celui-ci ne lui paraissait pas établi a indiqué que " en tout état de cause et quand bien même ses allégations seraient réelles, elle serait dans l'obligation de regagner son pays d'origine et de revenir en France sous couvert d'un visa régularisant sa situation administrative ". Dès lors qu'il est constant qu'à la date de la décision attaquée Mme B... n'était pas mariée, elle n'est fondée à soutenir ni que ce motif est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ni qu'il méconnaît les dispositions du sixième alinéa de l'article L. 211-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en vertu desquelles la demande de visa d'un étranger entré régulièrement et marié en France avec un ressortissant français et séjournant en France depuis plus de six mois avec son conjoint est présentée à l'autorité administrative compétente pour la délivrance d'un titre de séjour.
7. En quatrième lieu, entrée en France à quarante ans, n'y étant jamais venue auparavant, Mme B... n'y séjournait que depuis quelques mois à la date de la décision attaquée après avoir vécu dans son pays d'origine où elle n'est pas démunie d'attaches familiales. Dans ces circonstances, même si Mme B... a été hébergée chez l'un de ses quatre frères qui vivent tous en France et qu'elle évoque, sans l'établir, un récent projet de mariage avec un ressortissant français, la décision l'obligeant à quitter le territoire français ne porte pas une atteinte excessive à sa vie privée et familiale. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit, dès lors, être écarté.
En ce qui concerne l'absence de délai de départ volontaire :
8. En premier lieu, le préfet de l'Ain a exposé de façon suffisante les considérations de fait et de droit qui justifient l'absence de délai de départ volontaire. Sa décision est ainsi suffisamment motivée.
9. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 511-1 alors en vigueur du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " II. ' L'étranger auquel il est fait obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de l'obligation de quitter le territoire français. (...) Toutefois, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : (...) 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) c) Si l'étranger s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois après l'expiration de son titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour, sans en avoir demandé le renouvellement ; ".
10. Les circonstances que Mme B... est entrée régulièrement en France, qu'elle a sollicité le prolongement de son séjour régulier et fourni une attestation d'hébergement chez son frère, qu'elle n'a jamais fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement, et qu'elle bénéficie de la présence d'une partie de sa famille en France, ne sont pas à elles seules de nature à renverser la présomption posée par les dispositions précitées qu'il existe un risque qu'elle se soustraie à l'obligation de quitter le territoire français dont elle fait l'objet. Elles ne constituent pas non plus une circonstance particulière au sens de ces mêmes dispositions. Dès lors que la situation de Mme B... entrait dans la catégorie des étrangers prévue par le c) des dispositions précitées, le préfet de l'Ain a pu, sans entacher sa décision d'une inexacte application de celles-ci, ne pas lui accorder de délai de départ volontaire. Il en résulte que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lyon, qui a suffisamment motivé son jugement sur ce point, a écarté le moyen tiré de l'inexacte application des dispositions du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :
11. En premier lieu, il ressort de la décision litigieuse que le préfet de l'Ain a procédé à l'examen de la situation de la requérante au regard de l'ensemble des critères définis au III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et a suffisamment motivé sa décision, même s'il n'a pas expressément mentionné la présence régulière en France des quatre frères de Mme B....
12. En deuxième lieu, Mme B..., qui s'est vu légalement refuser tout délai de départ volontaire pour exécuter l'obligation de quitter le territoire prise à son encontre, et dont le projet de mariage avec un ressortissant français n'est pas sérieusement établi, ne justifie d'aucune circonstance humanitaire qui aurait pu justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour sur le territoire français à son encontre.
13. En troisième lieu, eu égard à la courte durée du séjour en France de Mme B... qui y est venue pour la première fois passé l'âge de quarante ans, les éléments de sa vie privée et familiale dont elle fait état ainsi que son prétendu projet d'union ne suffisent pas pour considérer que la durée de l'interdiction de retour sur le territoire français prononcée à son encontre, limitée à un an, serait entachée d'une erreur d'appréciation. Pour les mêmes motifs, l'interdiction de retour sur le territoire français ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Sur l'appel incident du préfet de l'Ain :
14. Par la voie de l'appel incident, le préfet de l'Ain demande, après l'expiration du délai d'appel, l'annulation du jugement attaqué en ce qu'il a annulé la décision d'assignation à résidence en tant qu'elle fixe une plage horaire pendant laquelle Mme B... doit demeurer à son sa résidence. Ces conclusions, qui soulèvent un litige distinct de celui faisant l'objet de l'appel principal, ne sont pas recevables.
Sur la requête n° 20LY03095 du préfet de l'Ain :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 faisaient obstacle à ce qu'il soit fait droit en première instance aux conclusions présentées par Mme B..., partie perdante pour l'essentiel, tendant au remboursement des frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés. Le préfet de l'Ain est, par suite, fondé à demander l'annulation de l'article 2 du jugement attaqué.
16. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que la requête n° 20LY03262 de Mme B..., dirigée contre l'article 3 du jugement attaqué doit être rejetée, de même que les conclusions d'appel incident du préfet de l'Ain dirigées contre l'article 1er de ce jugement, d'autre part, que le préfet de l'Ain est fondé à demander l'annulation de l'article 2 du jugement attaqué.
Sur les frais d'instance liés au litige d'appel :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de Mme B... présentées sur son fondement. Il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées au même titre par le préfet de l'Ain.
D E C I D E :
Article 1er : La requête n° 20LY03262 de Mme B... est rejetée.
Article 2 : L'article 2 du jugement n° 2007399 du tribunal administratif de Lyon du 22 octobre 2020 est annulé.
Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par les parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera délivrée au préfet de l'Ain.
Délibéré après l'audience du 14 septembre 2021 à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président,
M. Gilles Fédi, président-assesseur,
Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 septembre 2021.
No 20LY03095, 20LY032622