Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 1er mars 2016, M. A...B..., représenté par Me Barone, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 1506319 du tribunal administratif de Grenoble du 1er février 2016 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 17 septembre 2015 par lequel le préfet de la Haute-Savoie lui a refusé un titre de séjour, a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de destination ;
3°) d'enjoindre au préfet de réexaminer sa situation et de lui délivrer un titre de séjour portant la mention "vie privée et familiale" ou "salarié", dans le délai de quinze jours, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- sa requête d'appel est recevable ;
- la décision contestée n'est pas suffisamment motivée au regard de ses liens personnels et familiaux en France et de ses perspectives d'insertion professionnelle ;
- elle ne l'est pas non plus au regard de la circulaire du 28 novembre 2012 et de l'article 3 de la convention franco-tunisienne ;
- sa situation devait être régularisée sur le fondement de l'article L. 313-14 du CESEDA et des stipulations de l'accord franco-tunisien ;
- l'arrêté est entaché d'une erreur de fait dès lors que la DIRECCTE a émis un avis favorable à son contrat de travail ;
- l'arrêté est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de son état de santé à la suite des blessures dont il a été victime et des conséquences de celles-ci qui nécessitent la poursuite de soins en France ;
- l'arrêté est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de sa présence en France depuis 2009, laquelle est établie grâce aux justificatifs fournis ;
- l'arrêté est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de sa personnalité car il veut s'insérer durablement dans la société française car il a toujours honoré ses charges fiscales et a exécuté sa condamnation pour les faits de détention de fausse pièce d'identité ;
- l'arrêté est entaché d'une erreur de droit dès lors que le préfet n'a pas examiné sa situation au regard des stipulations de l'article 2 du protocole du 28 avril 2008 ;
M. A...B...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 16 mars 2016.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-tunisien en matière de séjour et de travail du 17 mars 1988 modifié ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique, le rapport de M. Samuel Deliancourt, premier conseiller ;
1. Considérant que M. A...B..., ressortissant tunisien né le 14 mars 1987, entré en France, selon ses déclarations, au cours de l'année 2009, a déposé le 1er avril 2014 auprès des services de la préfecture de la Haute-Savoie une demande de titre de séjour en application des stipulations de l'article 3 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 modifié et des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que M. A... B...relève appel du jugement du 1er février 2016 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de l'arrêté du 17 septembre 2015 par lequel le préfet de la Haute-Savoie lui a refusé le droit au séjour, l'a obligé à quitter le territoire français et a fixé le pays de destination ;
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Considérant, en premier lieu, que l'arrêté contesté comporte l'énoncé des dispositions légales dont il a été fait application ainsi que des circonstances de fait au vu desquelles les décisions contestées ont été prises ; que les éventuelles erreurs de fait et d'appréciation qu'aurait commis le préfet de la Haute-Savoie et invoquées par l'appelant sont sans incidence sur la motivation de cet acte ; que, par suite, le moyen tiré d'une insuffisance de motivation de l'arrêté attaqué doit être écarté ;
3. Considérant, en deuxième lieu, que si M. A...B..., célibataire et sans enfants, soutient être entré en France au cours de l'année 2009, il ne justifie toutefois pas de la réalité de sa présence à compter de cette date par la production de trois factures en date du 23 juin 2009 et des28 mars et 13 octobre 2011 ; qu'il ne justifie pas de la réalité de sa vie sociale en France malgré ses années de présence alléguée par les quelques attestations produites et son activité professionnelle invoquée, laquelle est justifiée pour un mois pour l'année 2012 puis de septembre 2013 au 15 juillet 2014 sous couvert d'une fausse carte d'identité ; que si sa soeur, qui bénéficie d'une carte de résident de dix ans, son époux et ses deux neveux résident en France, sa mère réside cependant en Tunisie où l'intéressé a vécu la majeure partie de sa vie ; que s'il fait état de sa volonté de s'intégrer et de s'établir en France, cette circonstance à elle seule ne lui confère pas un droit au séjour ; que dès lors M. A...B...n'est pas fondé à soutenir que, par la décision attaquée, le préfet a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise en lui refusant le droit au séjour ; que, par suite le préfet de la Haute-Savoie n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article 3 de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Tunisie en matière de séjour et de travail, du 17 mars 1988 : " Les ressortissants tunisiens désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France, pour une durée d'un an au minimum, et qui ne relèvent pas des dispositions de l'article 1er du présent Accord, reçoivent, après contrôle médical et sur présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, un titre de séjour valable un an et renouvelable et portant la mention ''salarié''. / Après trois ans de séjour régulier en France, les ressortissants tunisiens visés à l'alinéa précédent peuvent obtenir un titre de séjour de dix ans. Il est statué sur leur demande en tenant compte des conditions d'exercice de leurs activités professionnelles et de leurs moyens d'existence. Les dispositions du deuxième alinéa de l'article 1er sont applicables pour le renouvellement du titre de séjour après dix ans. / Les autres ressortissants tunisiens ne relevant pas de l'article 1er du présent Accord et titulaires d'un titre de séjour peuvent également obtenir un titre de séjour d'une durée de dix ans s'ils justifient d'une résidence régulière en France de trois années. Il est statué sur leur demande en tenant compte des moyens d'existence professionnels ou non, dont ils peuvent faire état et, le cas échéant, des justifications qu'ils peuvent invoquer à l'appui de leur demande. / Ces titres de séjour confèrent à leurs titulaires le droit d'exercer en France la profession de leur choix. Ils sont renouvelables de plein droit " ; qu'en vertu du point 2.3.3 du protocole du 28 avril 2008 : " Le titre de séjour portant la mention ''salarié'', prévu par le premier alinéa de l'article 3 de l'Accord du 17 mars 1988 modifié, est délivré à un ressortissant tunisien en vue de l'exercice, sur l'ensemble du territoire français, de l'un des métiers énumérés sur la liste figurant à l'Annexe I du présent Protocole, sur présentation d'un contrat de travail visé par l'autorité française compétente sans que soit prise en compte la situation de l'emploi " ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article 11 de l'accord du 17 mars 1988 : " Les dispositions du présent Accord ne font pas obstacle à l'application de la législation des deux Etats sur le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l'Accord " ; qu'aux termes de l'article R. 5221-20 du code du travail : " Pour accorder ou refuser l'une des autorisations de travail mentionnées à l'article R. 5221-11, le préfet prend en compte les éléments d'appréciation suivants : / (...) 2° L'adéquation entre la qualification, l'expérience, les diplômes ou titres de l'étranger et les caractéristiques de l'emploi auquel il postule " ;
5. Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte des stipulations précitées que les dispositions du code du travail relatives aux conditions de délivrance des autorisations de travail demeurent... ; que M. A...B...ne justifie pas en cause d'appel qu'il aurait présenté un contrat de travail visé à l'appui de sa demande de titre de séjour, la circonstance qu'une agence d'intérim lui ait fait une proposition d'embauche ne pouvant en tenir lieu ; que, par suite, il n'est pas fondé à soutenir que le tribunal aurait commis une erreur de fait, ni une erreur de droit en écartant ce moyen; qu'en tout état de cause, M. A...B...était dépourvu de visa de long séjour d'une durée supérieure à trois mois exigé par l'article L. 311-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
6. Considérant, en quatrième lieu, que, portant sur la délivrance des catégories de cartes de séjour temporaires prévues par les dispositions auxquelles il renvoie, l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'institue pas une catégorie de titres de séjour distincte mais est relatif aux conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France, soit au titre de la vie privée et familiale, soit au titre d'une activité salariée ; que dès lors que l'article 3 de l'accord franco-tunisien prévoit la délivrance de titres de séjour au titre d'une activité salariée, M. A...B...ne peut utilement invoquer les dispositions de l'article L. 313-14 à l'appui d'une demande d'admission au séjour sur le territoire national, s'agissant d'un point déjà traité par l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 au sens de l'article 11 de cet accord, ni soutenir que la décision contestée aurait dû être motivée au regard de ces stipulations ;
7. Considérant, en cinquième lieu, que si l'accord franco-tunisien ne prévoit pas de semblables modalités d'admission exceptionnelle au séjour, ses stipulations n'interdisent pas au préfet de délivrer un titre de séjour à un ressortissant tunisien qui ne remplit pas l'ensemble des conditions auxquelles est subordonnée sa délivrance de plein droit ; qu'il appartient au préfet, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point, d'apprécier, en fonction de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, l'opportunité d'une mesure de régularisation ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de la Haute-Savoie, dont il ressort de l'arrête contesté qu'il a examiné la demande de M. A...B...au titre de son pouvoir de régularisation, ait commis une erreur manifeste d'appréciation en ne procédant pas à la régularisation de la situation administrative du requérant au vu de l'ensemble des éléments propres à celle-ci eu égard notamment à la durée de son séjour, à son activité professionnelle invoquée sous couvert d'une fausse carte d'identité italienne obtenu en Italie et à sa situation personnelle et familiale telle qu'elle a été énoncée au point n° 3 ;
8. Considérant, en sixième lieu, que M. A...B..., qui n'a pas sollicité de titre sur le fondement de l'article L. 313-11, 11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et sur lequel ne s'est pas prononcé le préfet, n'est pas fondé à se prévaloir d'un droit à séjour en invoquant un motif humanitaire en raison des blessures subies à la suite de l'agression dont il a été victime le 14 décembre 2013 à l'arme blanche par une personne en état d'ébriété et à l'origine d'une incapacité temporaire de travail de quarante jours, dès lors, en tout état de cause, qu'il n'allègue pas qu'il ne pourrait pas être pris en charge en Tunisie, ni que son état de santé ferait obstacle à son retour ;
9. Considérant, en septième lieu, que M. A...B...ne saurait utilement se prévaloir des dispositions de la circulaire du ministre de l'intérieur du 28 novembre 2012 qui sont dépourvues de caractère impératif ;
10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. A...B...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement contesté, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
11. Considérant que le présent jugement, qui rejette les conclusions aux fins d'annulation de M. A...B..., n'appelle aucune mesure d'exécution ; que, par suite, les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte doivent être rejetées ;
Sur les conclusions relatives aux frais non compris dans les dépens :
12. Considérant que l'Etat n'étant pas partie perdante dans la présente instance, les conclusions présentées par M. A...B...au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. A...B...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...A...B..., à Me Barone et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Savoie.
Délibéré après l'audience du 14 mars 2017, à laquelle siégeaient :
- M. Hervé Drouet, président de la formation de jugement,
- Mme Nathalie Peuvrel, premier conseiller,
- M. Samuel Deliancourt, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 4 avril 2017.
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N° 16LY00745
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