Par une requête, enregistrée le 27 avril 2018, Mme A...D..., représentée par Me B...demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 26 mars 2018 et l'arrêté du préfet de la Drôme du 15 décembre 2017 ;
2°) d'enjoindre au préfet de la Drôme de lui délivrer un titre de séjour portant droit au travail dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 400 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
l'appréciation portée par le tribunal administratif de Grenoble sur sa vie privée et familiale est entachée d'erreur de fait, d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation, la délivrance d'une carte de séjour portant la mention vie privée et familiale étant conditionnée uniquement à la preuve du transfert en France du centre de ses intérêts et familiaux, le caractère récent de ce transfert étant indifférent tout autant que la circonstance qu'elle entre dans la catégorie des étrangers pouvant bénéficier du regroupement familial ;
Son mari est entré en France " il y a de nombreuses années " où il travaille depuis plusieurs années de façon quasi continue et où il a suivi une formation professionnelle rémunérée à partir du 4 septembre 2017, ce qui fait qu'il ne peut vivre une vie normale en Tunisie, d'autant moins qu'il est père d'une enfant française née en 2007 d'une précédente union et qu'il a un droit de visite et d'hébergement libre par jugement de divorce avec autorité parentale conjointe. Il produit des preuves de ses liens avec sa fille ;
l'arrêté méconnaît les stipulations de l'article 3 -1 de la convention du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 mai 2018, le préfet de la Drôme se rapportant à ses écritures de première instance, conclut au rejet de la requête.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
la convention du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant ;
le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
* le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Pierre Thierry, premier conseiller ;
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 15 décembre 2017, le préfet de la Drôme a rejeté la demande de titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " formée le 25 septembre 2017 par Mme D..., ressortissante tunisienne née 1994, et l'a obligée à quitter le territoire français. Elle relève appel du jugement du tribunal administratif de Grenoble du 26 mars 2018 qui a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.
Sans qu'il soit besoin d'examiner l'ensemble des moyens de la requête ;
2. Aux termes de l'article 3-I de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 stipule que " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
3. Mme D... expose qu'elle s'est mariée en Tunisie en décembre 2015 avec M.C..., son compatriote, qu'elle l'a rejoint en France le 29 mai 2016, munie d'un visa touristique de huit jours et qu'elle vit depuis lors avec lui. Un enfant est né le 24 mars 2017 de leur union. Il n'est pas contesté que M.C..., qui bénéficie d'une carte de résident, vit en France depuis 2006, est le père d'une enfant française née en 2007 d'un précédent mariage avec une ressortissante française dont il a divorcé le 26 août 2014. Le jugement de divorce par lequel la garde de cette enfant a été confiée à sa mère, précise également que l'autorité parentale demeure partagée par les deux parents et que M. C... dispose d'un droit de visite qui s'exerce, sauf meilleur arrangement entre les parents, au moins un week-end sur deux ainsi que pendant la moitié des vacances scolaires. Il ressort des pièces du dossier produites en appel que M. C... reçoit régulièrement sa fille chez lui un week-end sur deux et que cette dernière l'a accompagné en Tunisie en période de vacances. Il entretient ainsi, malgré son divorce, une relation étroite avec son premier enfant qui, ajoutée la durée de son séjour sur le territoire français et son insertion professionnelle, confère à la vie privée et familiale de M. C...un lien intense sur le territoire français ne permettant pas d'envisager son retour en Tunisie pour y vivre avec son épouse.
4. Le refus de délivrer un titre de séjour à Mme D..., bien que celle-ci entre dans la catégorie des étrangers qui peuvent bénéficier du regroupement familial, a pour effet de conduire à la séparer de son mari et, compte tenu des circonstances mentionnées au point précédent, soit de la séparer de son fils, soit de séparer ce dernier de son père pour une durée indéterminée, ce qui méconnaît son intérêt supérieur au sens des stipulations précitées.
5. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... est fondée à soutenir que l'arrêté attaqué a méconnu l'article 3-1 de la convention du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant et, par suite, à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Grenoble et dudit arrêté.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. Aux termes de l'article L 911-1 du code de justice administrative : " lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".
7. Eu égard aux motifs du présent arrêt, l'annulation de l'arrêté attaqué implique nécessairement que le préfet de la Drôme délivre à Mme D... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Il y a lieu de prescrire cette mesure dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les conclusions aux fins d'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros qu'il paiera à Mme D..., au titre des frais non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1800203 du tribunal administratif de Grenoble du 26 mars 2018 et la décision du 15 décembre 2017 du préfet de la Drôme sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Drôme de délivrer à Mme D... un titre de séjour portant la mention vie " privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 1 200 euros à Mme D... en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 4
: Le présent arrêt sera notifié à Mme D..., à Me B...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera délivrée au préfet de la Drôme.
Délibéré après l'audience du 12 février 2019 à laquelle siégeaient :
M. Jean-François Alfonsi, président de chambre,
Mme Virginie Chevalier-Aubert, président assesseur,
M. Pierre Thierry, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 12 mars 2019.
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N° 18LY01552