Par un arrêt n° 12LY01724 du 18 avril 2013, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté la requête des consorts F...relevant appel de ce jugement.
Par une décision n° 369427 du 15 octobre 2014, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté pour les consortsF..., a annulé cet arrêt et renvoyé le jugement de l'affaire à la cour administrative d'appel de Lyon.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 3 juillet 2012, et des mémoires, enregistrés les 21 février 2013, 25 février 2013, 15 mars 2013 et 17 juin 2015, Mme B...F..., Mme C... F..., Mme A...F..., M. G... F..., M. I... F..., M. D... F...et M. E... F..., représentés par la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Lyon du 25 avril 2012 ;
2°) de condamner l'Institut national des sciences appliquées (INSA) de Lyon à leur payer la somme de 15 000 euros chacun en réparation du préjudice qu'ils ont subi du fait du décès accidentel de leur frère, M. H... F..., le 9 novembre 2000 ;
3°) de mettre à la charge de l'INSA de Lyon la somme de 5 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- dans sa décision n° 369427 du 15 octobre 2014, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a jugé que l'INSA de Lyon avait commis deux fautes en n'insérant pas, dans la convention de stage passée avec la société SEFI, de clause de nature à assurer que le stage de M. H... F...se déroulerait dans des conditions ne mettant à pas en danger la sécurité de ce dernier et en ne prenant aucune mesure pour assurer que le stage se déroulerait dans de telles conditions ;
- en relevant que la Cour avait entaché son arrêt d'une erreur de qualification juridique des faits en retenant que l'INSA de Lyon n'avait pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité, le Conseil d'Etat s'est prononcé dans cette même décision sur l'existence d'un lien de causalité entre les fautes commises par l'INSA de Lyon et le décès accidentel de M. H... F...durant son stage pratique au Caire (Egypte) ;
- en vertu de l'autorité de la chose jugée qui s'attache à cette décision du Conseil d'Etat, un tel lien de causalité doit être regardé comme établi ;
- les fautes précitées l'INSA de Lyon présentent un lien de causalité direct avec l'accident mortel de M. H... F...et, donc, avec le préjudice de ses frères et soeurs ;
- la totalité de ce préjudice doit être indemnisée, l'INSA de Lyon n'étant pas fondé à soutenir que le préjudice indemnisable ne consisterait qu'en la réparation de la perte d'une chance d'éviter la survenance du dommage ;
- en sollicitant chacun une indemnité de 15 000 euros, ils font une juste évaluation du préjudice d'affection subi par chacun d'eux, eu égard aux relations qu'ils entretenaient avec leur frère.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 4 octobre 2012, 27 février 2013 et 22 décembre 2014, l'Institut national des sciences appliquées (INSA) de Lyon, représentée par la SCP Saidji Moreau, conclut :
1°) à titre principal, au rejet de la requête ;
2°) à titre subsidiaire, à ce que les prétentions indemnitaires des requérants soient ramenées à de plus justes proportions ;
3°) à la suppression d'un passage de la requête introductive d'instance en application de l'article L. 741-2 du code de justice administrative ;
4°) à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge solidaire des requérants au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- il n'y a pas de lien de causalité certain, direct et exclusif entre sa faute et le préjudice d'affection allégué par les requérants, eu égard à l'âge et à l'expérience de la victime et dès lors que la cause déterminante du décès est la faute commise par la société d'études de fondations et d'injections qui n'a pas mis en oeuvre des moyens de sécurité adéquats sur le chantier où intervenait le stagiaire ;
- ce préjudice sera évalué à de plus justes proportions ;
- le premier paragraphe de la page 5 de la requête introductive d'instance doit être supprimé en ce qu'il est outrageant.
Un mémoire, enregistré 15 septembre 2015 et présenté pour l'INSA de Lyon, n'a pas été communiqué aux autres parties en application du dernier alinéa de l'article R. 611-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'éducation ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Drouet, président-assesseur ;
- les conclusions de M. Clément, rapporteur public ;
- et les observations de M. E... F....
1. Considérant que M. H... F..., élève inscrit en formation continue en cinquième année de préparation du diplôme d'ingénieur civil à l'Institut national des sciences appliquées (INSA) de Lyon, a été affecté comme stagiaire auprès de la société d'études de fondations et d'injections (SEFI) par une convention de stage en entreprise en date du 16 juin 2000 ; qu'alors qu'il accomplissait en Egypte une partie de son stage en entreprise, il a été victime d'un accident mortel sur un chantier le 9 novembre 2000 ; que, par un arrêt du 11 mai 2006 réformant un jugement du 24 février 2004 du tribunal des affaires de sécurité sociales du Gard, la cour d'appel de Nîmes a jugé qu'en manquant à l'obligation de sécurité de résultat qui lui incombait en sa qualité d'organisme de formation, l'INSA de Lyon avait commis une faute inexcusable justifiant le versement de rentes et de dommages intérêts aux enfants de M. H... F..., à son épouse et à ses parents, et a décidé que le versement de ces sommes serait garanti par la société SEFI ; que, postérieurement à cet arrêt, Mme B...F..., Mme C...F..., Mme A...F..., M. G... F..., M. I... F..., M. D... F...et M. E... F..., frères et soeurs de M. H... F..., ont recherché auprès de l'INSA de Lyon l'indemnisation du préjudice résultant pour eux du décès de leur frère à raison de la responsabilité fautive de l'établissement ; que, par jugement du 25 avril 2012, le tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'INSA de Lyon à leur payer une indemnité de 15 000 euros chacun ; que, par un arrêt du 18 avril 2013, la Cour a rejeté la requête des consorts F...tendant à l'annulation de ce jugement et à la condamnation de l'INSA de Lyon à leur payer les sommes réclamées ; que, par une décision du 15 octobre 2014, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté pour les consortsF..., a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la Cour pour qu'elle statue à nouveau ;
Sur les fins de non-recevoir opposées par l'INSA de Lyon :
2. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article R. 411-2, applicable à la date d'introduction de la requête : " Lorsque la contribution pour l'aide juridique prévue à l'article 1635 bis Q du code général des impôts est due et n'a pas été acquittée, la requête est irrecevable. (...) " ;
3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que les consorts F...ont acquitté la contribution pour l'aide juridique prévue à l'article 1635 bis Q du code général des impôts ; que, par suite, doit être écarté la fin de non-recevoir opposée par l'INSA de Lyon et tirée du défaut d'acquittement de cette contribution par les requérants ;
4. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours. " ;
5. Considérant que, contrairement à ce que soutient l'intimé, la requête des consorts F...contient des moyens d'appel ;
Sur la responsabilité :
6. Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment des motifs de fait de l'arrêt du 11 mai 2006 de la cour d'appel de Nîmes et de ceux du jugement du 24 février 2004 du tribunal des affaires de sécurité sociales du Gard, que M. H... F...était occupé à la préparation de butons, éléments comprimés d'une structure de génie civil pesant environ quatre tonnes, en vue de leur déplacement à l'aide d'une grue, qu'au cours de cette opération, l'un des butons qui était positionné de manière instable s'est effondré en heurtant la tête de M. H... F..., lequel est décédé immédiatement des suites de ses blessures et que cet effondrement est dû au stockage instable des butons avant leur enlèvement ; que cette opération dangereuse de manutention de tuyaux lourds et volumineux ne relevait pas de l'activité d'un ingénieur stagiaire, n'était pas dirigée par un responsable de la société SEFI et a été exécutée sans la mise en place préalable de mesures de sécurité et de protection des personnes ; que, dans ces conditions, l'accident dont a été victime M. H... F...a pour cause des manquements à des obligations de sécurité ;
7. Considérant, d'une part, que, lorsqu'un élève ou un étudiant effectue un stage dans le cadre de ses études, il demeure sous la responsabilité de l'établissement d'enseignement dont il relève ; que l'exercice de cette responsabilité implique, notamment, que l'institut de formation s'assure, au titre du bon fonctionnement du service public dont il a la charge, que le stage se déroule dans des conditions ne mettant pas en danger la sécurité du stagiaire, en particulier lorsque le stage se déroule à l'étranger ; qu'un manquement à cette obligation est susceptible d'entraîner la responsabilité pour faute de l'établissement d'enseignement ;
8. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la convention passée par l'INSA de Lyon avec la société SEFI ne comportait aucune clause de nature à assurer que le stage de M. H... F...se déroulerait dans des conditions ne mettant à pas en danger la sécurité de ce dernier, notamment si tout ou partie du stage avait lieu à l'étranger, et que l'INSA de Lyon n'a pris aucune mesure pour assurer que le stage se déroulerait dans de telles conditions alors qu'il avait été informé au préalable par la société SEFI, le 30 juin 2000, de ce que M. H... F... serait amené à effectuer une partie de son stage en Egypte en qualité d'ingénieur travaux ; qu'ainsi, en s'abstenant, d'une part, d'insérer dans ladite convention toute clause de nature à assurer que le stage de M. H... F...se déroulerait dans des conditions ne mettant à pas en danger sa sécurité et, d'autre part, de prendre des mesures pour s'assurer que ce stage se déroulerait dans de telles conditions, l'INSA de Lyon commis des fautes de nature à engager sa responsabilité ;
9. Considérant, d'autre part, qu'il résulte de l'instruction et de ce qui a été dit aux points 6 et 8, que l'accident de M. H... F...a pour causes certaines et directes, d'une part, les deux abstentions fautives précitées de l'INSA de Lyon qui n'ont pas permis que le stage de la victime se déroulât dans des conditions ne mettant pas en danger sa sécurité et qui ont ainsi rendu possible la survenance de cet accident et, d'autre part, le comportement de la société SEFI qui a, sur le lieu du stage, confié à M. H... F...une tâche dangereuse ne relevant pas de l'activité d'un ingénieur stagiaire, sans qu'elle soit dirigée par un responsable de cette société et sans mise en oeuvre préalable sur place des mesures appropriées de sécurité et de protection des personnes ; que, dans ces conditions, et alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que la victime aurait commis une faute ayant concouru à la réalisation du dommage, les fautes de l'INSA de Lyon doivent être regardées comme ayant contribué de manière certaine et directe, à hauteur d'un quart, à la survenance de l'accident et au décès consécutif de M. H... F... ; que, par suite, les consorts F...sont seulement fondés à demander la condamnation de l'INSA de Lyon à les indemniser du quart des conséquences dommageables du décès de leur frère ;
Sur la réparation du préjudice :
10. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. H... F..., né le 18 octobre 1960, apportait un soutien moral et matériel à sa soeur, Mme B...F..., née le 30 juin 1956, et aux cinq enfants de celle-ci à la suite du décès de son époux ; que, dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation du préjudice d'affection subi par Mme B... F... du fait du décès de son frère en l'évaluant à la somme de 16 000 euros ; que, par suite, Mme B... F...a droit au quart de cette somme, soit la somme de 4 000 euros ;
11. Considérant qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice d'affection subi par Mme C...F..., née le 8 décembre 1962, du fait du décès de son frère en l'évaluant à la somme de 4 000 euros ; que, par suite, Mme C... F...a droit au quart de cette somme, soit la somme de 1 000 euros ;
12. Considérant que Mme A...F..., née le 6 juin 1964 et habitant Lyon, soutient sans être contredite sur ce point par l'intimé, qu'elle voyait quasi-quotidiennement son frère, M. H... F..., qui résidait à Villeurbanne durant sa scolarité à l'INSA de Lyon, qu'ils se recevaient à leur domicile et qu'ils effectuaient ensemble de nombreuses tâches de la vie quotidienne ; que, dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation du préjudice d'affection subi par Mme B... F...du fait du décès de son frère en l'évaluant à la somme de 8 000 euros ; que, par suite, Mme A... F...a droit au quart de cette somme, soit la somme de 2 000 euros ;
13. Considérant qu'il n'est pas contesté que M. E... F..., né le 12 octobre 1961, habitait avec son frère, M. H... F...dans le même appartement durant la scolarité de ce dernier à l'INSA de Lyon et que M. G... F..., né le 5 août 1965, résidait dans le même immeuble que celui de la victime durant sa scolarité à Lyon ; que, dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation des préjudices d'affection subi par M. E... F...et par M. G... F...du fait du décès de leur frère en les évaluant chacun à la somme de 8 000 euros ; que, par suite, M. E... F...et M. G... F...ont droit chacun au quart de cette somme, soit la somme de 2 000 euros chacun ;
14. Considérant qu'il n'est pas contesté que M. I... F..., né le 20 avril 1970 et M. D... F..., né le 8 août 1971, étaient amenés à travailler régulièrement sur des chantiers avec leur frère, M. H... F..., ce dernier ayant régulièrement séjourné chez M. I... F... ; que, dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation des préjudices d'affection subis par M. I... F...et par M. D... F...du fait du décès de leur frère en les évaluant chacun à la somme de 4 000 euros ; que, par suite, M. I... F...et M. D... F...ont droit chacun au quart de cette somme, soit la somme de 1 000 euros chacun ;
15. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les requérants sont fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande indemnitaire ;
Sur les conclusions de l'INSA de Lyon tendant à l'application de l'article L. 741-2 du code de justice administrative :
16. Considérant que, en vertu des dispositions de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 reproduites à l'article L. 741-2 du code de justice administrative, les tribunaux administratifs peuvent, dans les causes dont ils sont saisis, prononcer, même d'office, la suppression des écrits injurieux, outrageants ou diffamatoires ;
17. Considérant que le passage dont la suppression est demandée par l'intimé n'excède pas le droit à la libre discussion et ne présente pas de caractère injurieux, outrageant ou diffamatoire ; que les conclusions de l'INSA de Lyon tendant à sa suppression doivent, par suite, être rejetées ;
Sur les frais non compris dans les dépens :
18. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme que l'INSA de Lyon demande sur leur fondement au titre de ses frais non compris dans les dépens soit mise à la charge des consortsF..., qui ne sont pas, dans la présente instance, parties perdantes ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'INSA de Lyon une somme globale de 2 000 euros au titre des frais exposés par les consorts F...et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lyon du 25 avril 2012 est annulé.
Article 2 : L'Institut national des sciences appliquées de Lyon est condamné à verser à Mme B... F...une indemnité de 4 000 euros, à Mme A...F..., M. G... F...et M. E... F...une indemnité de 2 000 euros chacun, à Mme C...F..., M. I... F...et M. D... F...une indemnité de 1 000 euros chacun.
Article 3 : L'Institut national des sciences appliquées de Lyon versera une somme globale de 2 000 euros aux requérants au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...F..., à Mme C...F..., à Mme A...F..., à M. G... F..., à M. I... F..., à M. D... F..., à M. E... F...et à l'Institut national des sciences appliquées de Lyon.
Délibéré après l'audience du 26 janvier 2016, à laquelle siégeaient :
M. Boucher, président de chambre ;
M. Drouet, président-assesseur ;
Mme Peuvrel, premier conseiller.
Lu en audience publique le 16 février 2016.
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