Par un jugement n° 1500820 du 17 mai 2016, le tribunal administratif de Dijon a condamné l'Etat à payer à la commune de Sens une indemnité de 1 297 449 euros avec intérêts au taux légal à compter du 23 décembre 2014 et capitalisation des intérêts au 23 décembre 2015 ainsi qu'une somme de 250 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour
I. Par un recours, enregistré le 13 juillet 2016 sous le n° 16LY02383, le ministre de l'intérieur demande à la cour d'annuler ce jugement n° 1500820 du 17 mai 2016 du tribunal administratif de Dijon et de rejeter la demande de la commune de Sens.
Il soutient que :
- ce jugement est irrégulier en ce qu'il est insuffisamment motivé s'agissant tant du lien de causalité entre l'illégalité fautive imputée à l'Etat et le préjudice allégué que de l'existence même de ce préjudice ;
- il est irrégulier, dès lors que les juges de première instance n'ont pas répondu au moyen de défense opposé par l'administration et tiré de l'absence de lien de causalité direct entre le préjudice allégué et la faute ;
- la collectivité publique n'est pas fondée à se prévaloir de l'existence d'un préjudice né d'une illégalité fautive de nature à engager la responsabilité de l'Etat ; en effet, les décisions préfectorales des années 2012, 2013 et 2014 lui notifiant les dotations de compensation au titre de chacune de ces années ne sont pas entachées d'illégalité fautive, le tribunal administratif ayant considéré à tort que la minoration du produit de la taxe sur les surfaces commerciales perçu par l'Etat sur le territoire de la collectivité publique concernée en 2010 ne s'appliquait pas aux dotations de compensation au titre des années 2012 à 2014 ;
- il n'y a pas de lien de causalité direct entre le préjudice allégué et l'illégalité fautive invoquée fondée sur l'extension par une autorité incompétente du mécanisme de compensation prévu par la loi au titre de l'année 2011 aux années 2012, 2013 et 2014 ; en effet, le législateur aurait compétemment étendu la mesure de compensation en cause aux années 2012, 2013 et 2014 si l'autorité administrative en avait demandé la mise en oeuvre dans le cadre des projets de loi de finances pour les trois années considérées et le vote de l'article 114 de la loi de finances pour 2015 modifiant ce dispositif de compensation manifeste l'intention du législateur quant à sa pérennité.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 23 septembre 2016 et le 7 octobre 2016,la commune de Sens, représentée par le Cabinet ASEA, avocat, conclut au rejet du recours et demande qu'une somme de 10 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre des frais exposés par elle tant en première instance qu'en appel et non compris dans les dépens.
Elle fait valoir que les moyens présentés par le ministre dans son recours ne sont pas fondés.
II. Par un recours, enregistré le 18 juillet 2016 sous le n° 16LY02438, le ministre de l'intérieur demande à la cour d'ordonner, sur le fondement de l'article R. 811-17 du code de justice administrative, qu'il soit sursis à l'exécution du jugement n° 1500820 du 17 mai 2016 du tribunal administratif de Dijon.
Il soutient que les moyens critiquant le bien-fondé du jugement attaqué, exposés dans sa requête en annulation de ce jugement dont une copie est jointe, sont sérieux et que l'exécution de ce jugement emporterait des conséquences difficilement réparables pour le budget de l'Etat.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010 ;
- la loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014 de finances pour 2015 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Drouet,
- les conclusions de M. Clément, rapporteur public,
- et les observations de Me Sevino, avocat (Cabinet ASEA), pour la commune de Sens dans l'instance n° 16LY02383.
1. Considérant que, par courrier notifié le 23 décembre 2014, le maire de la commune de Sens a sollicité de l'Etat le paiement d'une indemnité totale de 1 297 449 euros en réparation des conséquences dommageables des décisions préfectorales ayant minoré ses dotations de compensation pour les années 2012, 2013 et 2014 du produit de la taxe sur les surfaces commerciales perçu par l'Etat sur son territoire en 2010 ; que cette réclamation a fait l'objet d'un rejet implicite ; que, parallèlement, par une demande enregistrée le 17 mars 2015, la commune de Sens a saisi le tribunal administratif de Dijon à fin de condamnation de l'Etat au paiement de cette même indemnité ; que, par son recours n° 16LY02383, le ministre de l'intérieur relève appel du jugement n° 1500820 du 17 mai 2016 par lequel le tribunal administratif de Dijon a condamné l'Etat à payer à cette collectivité publique une indemnité de 1 297 449 euros avec intérêts au taux légal à compter du 23 décembre 2014 et capitalisation des intérêts au 23 décembre 2015 ainsi qu'une somme de 250 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que, par son recours n° 16LY02438, le ministre demande qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement ;
2. Considérant que les recours visés ci-dessus sont dirigés contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre pour qu'ils fassent l'objet d'un même arrêt ;
Sur le recours n° 16LY02383 :
3. Considérant qu'aux termes du paragraphe 1.2.4.2 de l'article 77 de la loi du 30 décembre 2009 de finances pour 2010 : " Le montant de la compensation prévue au D de l'article 44 de la loi de finances pour 1999 (n° 98-1266 du 30 décembre 1998) ou de la dotation de compensation prévue à l'article L. 5211-28-1 du code général des collectivités territoriales est diminué en 2011 d'un montant égal, pour chaque collectivité territoriale ou établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre, au produit de la taxe sur les surfaces commerciales perçu par l'État en 2010 sur le territoire de la collectivité territoriale ou de l'établissement public de coopération intercommunale " ; que l'article 114 de la loi du 29 décembre 2014 de finances pour 2015 a supprimé dans ces dispositions les mots : " en 2011 " ;
4. Considérant qu'il ressort des travaux parlementaires ayant abouti au vote de l'article 114 de la loi de finances pour 2015 qu'en décidant de supprimer les mots " en 2011 ", le législateur, seul compétent pour ce faire, a entendu, par des dispositions à caractère interprétatif, rectifier une erreur légistique et clarifier ainsi la portée d'un mécanisme qui vise, par une intégration en base dans le calcul des dotations, à assurer la neutralité, pour le budget de l'Etat, du transfert opéré ; que, dans ces conditions, en procédant à la minoration des dotations de compensation de la commune de Sens pour les années 2012, 2013 et 2014 d'un montant équivalent au produit de la taxe sur les surfaces commerciales perçu par l'Etat sur le territoire de cette commune en 2010, le préfet de l'Yonne n'a pas commis d'illégalité fautive et n'a pu, par suite, causer de préjudice à l'intimée ;
5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement, que le ministre de l'intérieur est fondé à demander l'annulation du jugement qu'il attaque ainsi que le rejet de la demande présentée par la commune de Sens devant le tribunal administratif de Dijon ; que, par voie de conséquence, doivent être rejetées les conclusions de la commune de Sens tendant à la condamnation de l'Etat à lui payer une somme au titre des frais exposés par elle tant en première instance qu'en appel et non compris dans les dépens
Sur le recours n° 16LY02438 :
6. Considérant que la cour statuant par le présent arrêt sur les conclusions du recours n° 16LY02383 du ministre de l'intérieur tendant à l'annulation du jugement attaqué, son recours n° 16LY02438 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement est privé d'objet ; qu'il n'y a pas lieu, par suite, d'y statuer ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1500820 du 17 mai 2016 du tribunal administratif de Dijon est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la commune de Sens devant le tribunal administratif de Dijon et ses conclusions présentées devant la Cour sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur le recours n° 16LY02438 du ministre de l'intérieur.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à la commune de Sens.
Copie en sera adressée au préfet de l'Yonne.
Délibéré après l'audience du 14 décembre 2016, à laquelle siégeaient :
- M. Drouet, président de la formation de jugement,
- Mme Peuvrel, premier conseiller,
- M. Deliancourt, premier conseiller.
Lu en audience publique le 20 décembre 2016.
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N°s 16LY02383, 16LY02438