Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 29 novembre 2017, M. F..., représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 8 novembre 2017 du tribunal administratif de Lyon ;
2°) d'annuler les décisions du 2 février 2017 du préfet du Rhône ;
3°) d'enjoindre au préfet du Rhône de lui délivrer une carte de séjour temporaire mention " vie privée et familiale ", dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt et sous astreinte journalière de 100 euros ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement une somme de 1 200 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- les premiers juges ont omis de statuer de statuer sur le moyen tiré de l'absence d'examen préalable, réel et sérieux de sa situation ;
- la décision portant refus de titre de séjour est entachée d'un défaut d'examen préalable, réel et sérieux de sa situation ;
- cette décision méconnaît les stipulations des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 7 de la charte européenne des droits fondamentaux, 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et 24 de la charte européenne des droits fondamentaux ;
- elle méconnaît l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle ;
- l'illégalité du refus de titre prive de base légale l'obligation de quitter le territoire français ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire est entachée de méconnaissance des stipulations des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 7 et 24 de la charte européenne des droits fondamentaux ;
- le préfet s'est cru à tort en situation de compétence liée pour prononcer une obligation de quitter le territoire français ;
- elle méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- la fixation d'un délai de départ volontaire limité à trente jours est entachée d'erreur manifeste d'appréciation, ainsi que le refus d'assignation à résidence.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 février 2018, le préfet du Rhône conclut au rejet de la requête et demande que la somme de 500 euros soit mise à la charge de M. F... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que les moyens présentés par M. F... ne sont pas fondés.
Par une décision du 16 janvier 2018, le bureau d'aide juridictionnelle a accordé le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale à M. F....
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte européenne des droits fondamentaux ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- l'arrêté du 17 octobre 2016 publié le 31 octobre 2016 au recueil des actes administratifs de la préfecture du Rhône ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Virginie Chevalier-Aubert, président assesseur,
- les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public,
- et les observations de Me E..., représentant M.F... ;
Considérant ce qui suit :
1. M. G... F..., né en 1987, de nationalité marocaine, relève appel du jugement du 8 novembre 2017 du tribunal administratif de Lyon qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du 2 février 2017 par lesquelles le préfet du Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé, en rejetant implicitement sa demande d'assignation à résidence, à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a désigné le pays de destination.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Les premiers juges ont visé mais omis de répondre, en ce qui concerne la légalité de la décision portant refus de titre de séjour, au moyen tiré de l'absence d'examen préalable, réel et sérieux de la situation de M. F.... Ce moyen n'étant pas inopérant, le requérant est fondé à soutenir que ce jugement est irrégulier et à en demander, pour ce motif, l'annulation. Il y a donc lieu, pour la cour, d'une part, d'évoquer et de se prononcer immédiatement sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision portant refus de titre de séjour et, d'autre part, de statuer par l'effet dévolutif de l'appel sur le surplus des conclusions de la requête.
Sur la légalité de la décision portant refus de séjour :
3. En premier lieu, la décision attaquée a été signée le 23 mai 2017 par Mme H...C..., directrice de la citoyenneté, de l'immigration et de l'intégration, laquelle dispose d'une délégation accordée le 17 octobre 2016 par le préfet du Rhône et publiée le 31 octobre 2016 au recueil des actes administratifs de la préfecture à l'effet de signer les actes relevant de sa direction, au nombre desquels figurent les décisions en matière de séjour et d'éloignement des étrangers. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire qui manque en fait doit être écarté.
4. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que le préfet a procédé à un examen préalable de la situation personnelle de M. F... avant de refuser de lui délivrer le titre de séjour sollicité.
5. En troisième lieu, aux termes l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger (...) dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus (...) L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile (...) Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire (...) au bien-être économique du pays (...) ".
6. M. F... a sollicité le 19 août 2013 un titre de séjour en qualité d'étranger malade. Sa demande a été rejetée et il a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire le 28 novembre 2014. M. F... soutient qu'il réside en France depuis décembre 2011 et qu'il a engagé une procédure, à ce jour pendante, de contestation de paternité de l'enfant Ethan Samy JolyA..., né le 27 juillet 2012 d'une mère de nationalité française avec laquelle il a entretenu une courte relation et qui a été reconnu par M. B... A.... A la date de la décision en litige, la filiation alléguée de l'enfant mineur de nationalité française n'est pas établie. La décision contestée n'a pas, par elle-même pour effet, de le priver de son droit à exercer l'action en justice qu'il a introduit alors même que sans l'aide juridictionnelle accordée en France il ne pourrait poursuivre cette action en raison de son coût financier. La circonstance qu'une procédure de contestation de paternité est pendante devant les juridictions de l'ordre judiciaire ne donne aucun droit à M. F... au maintien sur le territoire national, alors qu'il dispose de la possibilité de se faire représenter, en France, dans le cadre de cette procédure pour faire valoir ses droits et que rien ne s'oppose à ce qu'il sollicite la délivrance d'un visa pour se rendre sur le territoire français afin de satisfaire aux exigences que commanderait ladite procédure. M. F... n'est pas dénué de liens familiaux dans son pays d'origine, dans lequel ses parents et deux de ses frères et soeurs résident. Dans ces conditions, M. F... n'est pas fondé à soutenir que le refus de titre de séjour en litige porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale par rapport aux motifs du refus. Dès lors, le préfet du Rhône, en refusant la délivrance d'un titre de séjour à M. F... n'a méconnu ni les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, la décision portant refus de séjour n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation de la situation personnelle de l'intéressé.
7. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 (...) peut être délivrée (...) à l'étranger (...) dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir (...) ". La circonstance que F...a introduit une action en reconnaissance de paternité d'un enfant français avec lequel il n'avait à la date de la décision en litige, aucun lien, ne constitue pas un motif exceptionnel ou une considération humanitaire susceptible de justifier la carte de séjour l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour.
8. En cinquième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ".
9. Ainsi qu'il a été exposé précédemment, la filiation alléguée de M. F..., à la date de la décision attaquée avec un enfant mineur de nationalité française, n'est pas établie. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées ne peut qu'être écarté.
10. En dernier lieu, aux termes de l'article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications ". Aux termes de l'article 24 de la Charte : " 1. Les enfants ont droit à la protection et aux soins nécessaires à leur bien-être. Ils peuvent exprimer leur opinion librement. Celle-ci est prise en considération pour les sujets qui les concernent, en fonction de leur âge et de leur maturité. / 2. Dans tous les actes relatifs aux enfants, qu'ils soient accomplis par des autorités publiques ou des institutions privées, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. / 3. Tout enfant a le droit d'entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à son intérêt. ". Aux termes de l'article 51-1 de la même Charte : " Les dispositions de la présente Charte s'adressent aux institutions, organes et organismes de l'Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu'aux États membres uniquement lorsqu'ils mettent en oeuvre le droit de l'Union (...) ".
11. La décision contestée ne met pas en oeuvre le droit de l'Union. Dès lors, les moyens tirés de ce qu'elle méconnaitrait les articles 7 et 24 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne sont inopérants.
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
12. Comme il a été dit ci-dessus, la décision refusant de délivrer un titre de séjour à M. F... n'est pas entachée d'illégalité. Par suite, le moyen tiré, par voie d'exception, de l'illégalité de ce refus de titre doit être écarté.
13. Pour les mêmes motifs que ceux ci-dessus mentionnés et M. F... ne développant pas d'autres arguments, il n'est pas fondé à soutenir que la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant. Pour les mêmes raisons, cette décision n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
14. La décision contestée ne met pas en oeuvre le droit de l'Union. Dès lors, les moyens tirés de ce qu'elle méconnaitrait les articles 7 et 24 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne sont inopérants.
15. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet du Rhône se soit estimé en situation de compétence liée pour prendre la mesure d'éloignement en litige. Dès lors, le moyen tiré d'une erreur de droit doit être écarté.
Sur la décision accordant un délai de départ de trente jours :
16. Les décisions portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire n'ont pas pour effet de priver M. F... de son droit à exercer l'action en justice qu'il a introduit. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le délai de départ de trente jours empêcherait l'intéressé de poursuivre son action et notamment d'effectuer l'expertise biologique requise par son action judiciaire. Dès lors le requérant n'est pas fondé à soutenir qu'en lui accordant un délai de départ de trente jours, le préfet a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.
Sur la décision implicite de refus d'assignation à résidence :
17. Aux termes de l'article L. 561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger justifie être dans l'impossibilité de quitter le territoire français ou ne peut ni regagner son pays d'origine ni se rendre dans aucun autre pays, l'autorité administrative peut, jusqu'à ce qu'existe une perspective raisonnable d'exécution de son obligation, l'autoriser à se maintenir provisoirement sur le territoire français en l'assignant à résidence, dans les cas suivants : 1° Si l'étranger fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français sans délai ou si le délai de départ volontaire qui lui a été accordé est expiré (...) ".
18. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date de la décision de refus de titre de séjour du préfet du Rhône en litige, assortie d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, M. F... n'entrait pas dans le champ d'application des dispositions précitées. Dès lors, le préfet du Rhône était tenu de rejeter sa demande d'assignation à résidence. Par suite, M. F... ne peut utilement se prévaloir, pour contester la décision implicite de rejet de sa demande d'assignation à résidence, d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation au regard des dispositions de l'article L. 561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
19. Il résulte de tout ce qui précède que M. F... n'est fondé ni à demander l'annulation de la décision du préfet du Rhône portant refus de titre de séjour, ni à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté les autres conclusions de sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte et celles tendant à l'application des dispositions de l'article L 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.
20. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions du préfet du Rhône présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lyon n° 1701519 du 8 novembre 2017 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions présentées par M. F... à l'encontre du refus de titre de séjour opposé par le préfet du Rhône.
Article 2 : Les conclusions dirigées contre le refus de titre de séjour présentées par M. F... devant le tribunal administratif de Lyon sont rejetées.
Article 3 : Le surplus des conclusions d'appel de M. F... est rejeté.
Article 4 : Les conclusions du préfet du Rhône présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. G... F... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet du Rhône.
Délibéré après l'audience du 4 décembre 2018, à laquelle siégeaient :
M. Jean-François Alfonsi, président de chambre,
Mme Virginie Chevalier-Aubert, président assesseur,
M. Pierre Thierry, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 20 décembre 2018.
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N° 17LY04044