Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 13 novembre 2018, le préfet de la Drôme demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 5 novembre 2018 du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) de rejeter la demande de M. A...devant le tribunal administratif de Grenoble.
Il soutient que :
- M. A...n'établit pas sa présence continue en France en se bornant à produire des pièces médicales qui ne couvrent pas au surplus l'intégralité de la période et des attestations d'hébergement sans valeur probante ;
- il se rapporte à ses écritures de première instance pour écarter les autres moyens soulevés par M.A....
Par des mémoires en défense, enregistrés les 21 décembre 2018 et 18 janvier 2019, M. A..., représenté par Me Albertin, conclut :
- au rejet de la requête ;
- à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Drôme, en cas d'annulation pour un motif de forme, de réexaminer sa demande et de lui remettre une autorisation provisoire de séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, en cas d'annulation pour un motif de fond, d'enjoindre au préfet de la Drôme de lui délivrer un titre de séjour l'autorisant à travailler, dans le délai de trente jours suivant cette notification et sous la même condition d'astreinte ;
- à ce que soit mis à la charge de l'État le paiement à son conseil d'une somme de 1 800 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il fait valoir que les moyens présentés par le préfet ne sont pas fondés.
M. A...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 février 2019.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- l'accord du 9 octobre 1987 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du royaume du Maroc en matière de séjour et d'emploi ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique, le rapport de Mme Chevalier-Aubert, présidente assesseure ;
Considérant ce qui suit :
1. M.A..., né le 17 mai 1957, de nationalité marocaine, déclare être entré en France le 11 mai 2005. Par arrêté du 3 février 2008, le préfet de l'Ardèche a rejeté une première demande de délivrance d'une carte de séjour et assorti sa décision d'une obligation de quitter le territoire. Il a fait l'objet d'une seconde obligation de quitter le territoire français, décidée par le préfet de l'Hérault le 4 mai 2012. Le recours qu'il avait formé contre cette décision a été rejeté par un jugement du 18 septembre 2012 du tribunal administratif de Montpellier confirmé par une ordonnance de la cour administrative d'appel de Marseille du 14 novembre 2012. Après avoir fait l'objet d'un placement en rétention administrative en vue de l'exécution de cette décision, M. A...a refusé d'embarquer sur le vol aérien réservé par la préfecture de l'Hérault à destination du Maroc le 23 septembre 2012. Il a ensuite sollicité le statut de réfugié, qui lui a été refusé par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 18 septembre 2013, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 18 février 2014. Il a, en dernier lieu, présenté une demande de régularisation exceptionnelle de sa situation le 9 juillet 2018. Par l'arrêté attaqué du 10 août 2018, le préfet de la Drôme lui a opposé un refus, qu'il a assorti d'une obligation de quitter le territoire français et d'une décision fixant le pays de renvoi. Le préfet de la Drôme relève appel du jugement du 5 novembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a annulé cette décision.
2. Aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée au 1° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 311-7. L'autorité administrative est tenue de soumettre pour avis à la commission mentionnée à l'article L. 312-1 la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par l'étranger qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans. Un décret en Conseil d'Etat définit les modalités d'application du présent article. ".
3 Comme l'ont retenu à bon droit les premiers juges, M. A...produit de très nombreux documents suffisamment variés, notamment des documents médicaux, des factures, des documents officiels et des attestations qui, contrairement à ce que soutient le préfet, suffisent à établir sa présence habituelle en France depuis plus de dix ans à la date de la décision en litige. Par suite, compte tenu de la durée de la présence en France de M.A..., le préfet de la Drôme devait soumettre sa demande de titre de séjour, pour avis, à la commission du titre de séjour. En négligeant de procéder à cette consultation, le préfet a entaché sa décision d'un vice de procédure qui a privé l'intéressé d'une garantie et qui, en outre, est susceptible, en l'espèce, d'avoir eu une incidence sur le sens de la décision.
4. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Drôme n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision en litige de refus de titre de séjour et par voie de conséquence, celle portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de renvoi.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte présentées par M.A... :
5. Dans son jugement du 5 novembre 2018, le tribunal administratif de Grenoble a enjoint au préfet de la Drôme de réexaminer la situation de M. A...dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement. Il n'y a pas lieu de réitérer cette injonction régulièrement prononcée par le tribunal et à laquelle il n'est ni établi ni même allégué que préfet de la Drôme ne se serait pas conformé. A supposer que M. A...ait entendu demander, par la voie de l'appel incident, l'annulation du jugement attaqué en ce qu'il a rejeté ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Drôme de lui délivrer un titre de séjour, ses conclusions doivent être rejetées, aucun moyen de fond n'étant susceptible de justifier l'annulation de la décision de refus de titre de séjour.
Sur les frais liés au litige :
6. M. A...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Albertin, avocat de M.A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Albertin de la somme de 1 000 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet de la Drôme est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Albertin, avocat de M.A..., la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 3 : Le surplus des conclusions de M. A...est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. B...A...et Me Albertin. Copie en sera adressée au préfet de la Drôme.
Délibéré après l'audience du 21 mai 2019 à laquelle siégeaient :
M. Jean-François Alfonsi, président de chambre,
Mme Virginie Chevalier-Aubert, présidente-assesseure,
M. Pierre Thierry, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 25 juin 2019.
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N° 18LY04033
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