Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 16 février 2016 et 21 juillet 2017, l'association " Défense de l'environnement des monts du Forez ", l'association " Vent libre ", Mme K...H..., M. I...H..., M. I...A...et M. G...F..., représentés par Me L..., de la SCP Jakubowicz, Mallet-Guy et Associés, avocate, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 15 décembre 2015 et d'annuler l'arrêté susmentionné du préfet du Puy-de-Dôme du 5 mars 2014 ;
2°) de mettre à charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- leur requête est recevable ;
- aucun délai d'exécution des travaux de desserte des éoliennes en alimentation électrique sur le réseau public de distribution d'électricité n'ayant été indiqué, l'arrêté en litige méconnaît les dispositions de l'article L. 111-4 du code de l'urbanisme ;
- l'avis émis par le Parc naturel régional du Livradois-Forez, dépourvu d'impartialité, est entaché d'une irrégularité ayant privé les requérants d'une garantie substantielle et influé sur le sens de la décision ;
- l'arrêté en litige a été pris en méconnaissance du II de l'article R. 145-3 du code de l'urbanisme ;
- il méconnaît les dispositions de l'article R. 111-15 du même code ;
- il méconnaît également les prescriptions de l'article R. 111-21 de ce code.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 6 juillet 2016 et 3 novembre 2017, la société anonyme d'économie mixte locale Eole-Lien du Livradois-Forez, représentée par Me E...B..., de CGR Légal, avocate, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 000 euros soit mise à la charge de chacun des requérants au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que la requête est irrecevable et qu'aucun des moyens soulevés par les requérants n'est fondé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 juillet 2017, le ministre de la cohésion et des territoires conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé et s'en rapporte aux écritures en défense de première instance.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 2010-788 portant engagement national pour l'environnement ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Nathalie Peuvrel, première conseillère,
- les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public,
- et les observations de Me D...représentant l'association " Défense de l'environnement des monts du Forez ", l'association " Vent libre ", Mme et M. H..., M. A... et M. F... et de Me boudrot représentant la SAEML Eole-lien du Livradois-Forez ;
1. Considérant que, par arrêté du 5 mars 2014, le préfet du Puy-de-Dôme a délivré à la société anonyme d'économie mixte locale (SAEML) Eole-Lien du Livradois-Forez le permis qu'elle a sollicité le 12 décembre 2012 de construire cinq éoliennes de grande puissance d'une hauteur en bout de pale de 150 mètres sur une ligne de 1,4 kilomètre, ainsi qu'un poste de livraison sur le territoire de la commune de Saint-Clément-de-Valorgue ; que les associations " Défense de l'environnement des monts du Forez " et " Vent libre ", Mme K... H..., M. I... H..., M. I... A... et M. G... F... ont formé un recours gracieux contre cet arrêté le 28 avril 2014 puis ont saisi le tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'une demande d'annulation du permis de construire et de la décision implicite de rejet de leur recours gracieux ; que, par un jugement n° 1401558 du 15 décembre 2015, le tribunal, après avoir écarté les autres moyens de la demande, a, en application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, sursis à statuer sur le moyen tiré de la méconnaissance de l'article R. 423-53 du code de l'urbanisme en impartissant au préfet du Puy-de-Dôme un délai de deux mois pour consulter le service gestionnaire de la voirie départementale et régulariser le permis de construire ; que l'association " Défense de l'environnement des monts du Forez " et autres relèvent appel de ce jugement ;
Sur la légalité du permis de construire et de la décision implicite de rejet du recours gracieux formé le 28 avril 2014 :
2. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 111-4 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction en vigueur à la date de l'arrêté en litige : " Lorsque, compte tenu de la destination de la construction ou de l'aménagement projeté, des travaux portant sur les réseaux publics de distribution d'eau, d'assainissement ou de distribution d'électricité sont nécessaires pour assurer la desserte du projet, le permis de construire ou d'aménager ne peut être accordé si l'autorité compétente n'est pas en mesure d'indiquer dans quel délai et par quelle collectivité publique ou par quel concessionnaire de service public ces travaux doivent être exécutés. " ; qu'il résulte de ces dispositions qu'un permis de construire doit être refusé lorsque, d'une part, des travaux d'extension ou de renforcement de la capacité des réseaux publics de distribution d'eau, d'assainissement ou d'électricité sont nécessaires à la desserte de la construction projetée et, d'autre part, lorsque l'autorité compétente n'est pas en mesure d'indiquer dans quel délai et par quelle collectivité publique ou par quel concessionnaire de service public ces travaux doivent être exécutés, après avoir, le cas échéant, accompli les diligences appropriées pour recueillir les informations nécessaires à son appréciation ;
3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le parc éolien permettra à la fois de distribuer l'électricité produite vers le réseau public et de desservir les installations de ce parc pour leurs besoins propres ; que l'arrêté en litige a été pris après avis du représentant du Réseau de Transport d'Electricité / GET Auvergne ; que les requérants, qui n'allèguent ni n'établissent que les travaux envisagés auraient pour effet d'étendre ou de modifier la capacité du réseau électrique et non de seulement raccorder le site au réseau existant, n'assortissent pas de précisions suffisantes le moyen tiré de ce que le permis de construire aurait été accordé en méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 111-4 du code de l'urbanisme ;
4. Considérant, en deuxième lieu, qu'il y a lieu d'écarter, par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges, le moyen tiré de ce que l'avis émis par le directeur du Parc naturel régional du Livradois-Forez le 24 avril 2013 serait dépourvu d'impartialité ; qu'en outre, si l'avis rendu par cette même autorité sur le projet voisin de parc éolien de Gumières préconise, contrairement à celui qu'il a rendu sur le projet de Saint-Clément-de-Valorgue, lequel n'est pas assorti de réserve, la nécessité d'adapter le fonctionnement des éoliennes lors des périodes de migration des espèces protégées, la mise en place d'un suivi de l'avifaune pendant trois ans, des mesures de protection des chiroptères et de réduction des nuisances sonores, ces propositions sont cohérentes avec les mesures envisagées dans le cadre du projet litigieux ;
5. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes du II de l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable à la date de l'arrêté en litige : " Les documents et décisions relatifs à l'occupation des sols comportent les dispositions propres à préserver les espaces, paysages et milieux caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard. " ; qu'il résulte de ces dispositions que, sans préjudice des autres règles relatives à la protection des espaces montagnards, le II de l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme prévoit que dans les espaces, milieux et paysages caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard, les documents et décisions relatifs à l'occupation des sols doivent être compatibles avec les exigences de préservation de ces espaces ; que, pour satisfaire à cette exigence de compatibilité, les documents et décisions cités ci-dessus doivent comporter des dispositions de nature à concilier l'occupation du sol projetée et les aménagements s'y rapportant avec l'exigence de préservation de l'environnement montagnard prévue par la loi ;
6. Considérant que le projet envisagé est positionné en altitude, sur la ligne de crête des Monts du Forez, au sein d'une zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF) et qu'il sera situé à proximité de sites inscrits ou classés, et notamment le village de Montarcher, à 3,3 kilomètres, ou les Hautes Chaumes du Forez, à 15 kilomètres ; que ce site présente un caractère remarquable et entre ainsi dans le champ d'application du II de l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme ;
7. Considérant, d'une part, que ces dispositions n'ont pas pour objet de protéger des oiseaux nicheurs ou des chiroptères dont il ne ressort pas des pièces du dossier et n'est, au demeurant, pas allégué qu'ils seraient caractéristiques du patrimoine montagnard ;
8. Considérant, d'autre part, que l'étude paysagère, et notamment les photomontages réalisés afin de simuler la perception visuelle des éoliennes, font apparaître plusieurs sensibilités, liées à l'échelle du relief, à la capacité du secteur à accueillir un parc éolien et à la visibilité plus ou moins grande du parc éolien dans un paysage de montagne ; que, toutefois, le positionnement du parc en accompagnement de la ligne de crête et la présence de forêts atténuant sa visibilité permettent de considérer que le projet s'insère dans le patrimoine naturel et culturel montagnard ;
9. Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes de l'article R. 111-15 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction en vigueur à la date de l'arrêté en litige : " Le permis ou la décision prise sur la déclaration préalable doit respecter les préoccupations d'environnement définies aux articles L. 110-1 et L. 110-2 du code de l'environnement. Le projet peut n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si, par son importance, sa situation ou sa destination, il est de nature à avoir des conséquences dommageables pour l'environnement. " ; qu'il résulte de ces dispositions qu'elles ne permettent pas à l'autorité administrative de refuser un permis de construire, mais seulement de l'accorder sous réserve du respect de prescriptions spéciales relevant de la police de l'urbanisme, telles que celles relatives à l'implantation ou aux caractéristiques des bâtiments et de leurs abords, si le projet de construction est de nature à avoir des conséquences dommageables pour l'environnement ; qu'à ce titre, s'il n'appartient pas à cette autorité d'assortir le permis de construire délivré pour une installation classée de prescriptions relatives à son exploitation et aux nuisances qu'elle est susceptible d'occasionner, il lui incombe, en revanche, le cas échéant, de tenir compte des prescriptions édictées au titre de la police des installations classées ou susceptibles de l'être ;
10. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier qu'une demande d'autorisation d'exploiter le parc éolien au titre de la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement était en cours d'instruction devant l'autorité compétente à la date de délivrance du permis de construire par l'arrêté préfectoral du 5 mars 2014 ; que, par suite, les requérants ne sont pas fondés à se prévaloir, pour contester la légalité de ce permis au regard des dispositions de l'article R. 111-15 du code de l'urbanisme, de la circonstance, qui concerne l'exploitation de l'installation, que les mesures compensatoires et préventives retenues pour réduire les impacts du projet sur l'avifaune migratrice et les chiroptères présenteraient un caractère insuffisant ou inadapté, notamment en ce qu'elles ne prévoient pas l'arrêt des machines pendant la nuit au cours des périodes de migration ;
11. Considérant, en cinquième lieu, qu'aux termes de l'article R. 111-21 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable à la date de l'arrêté en litige : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l'aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu'à la conservation des perspectives monumentales. " ; qu'il résulte de ces dispositions que, si les constructions projetées portent atteinte aux paysages naturels avoisinants, l'autorité administrative compétente peut refuser de délivrer le permis de construire sollicité ou l'assortir de prescriptions spéciales ; que, pour rechercher l'existence d'une atteinte à un paysage naturel de nature à fonder le refus de permis de construire ou les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de ce permis, il lui appartient d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site naturel sur lequel la construction est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site ; que les dispositions de cet article excluent qu'il soit procédé dans le second temps du raisonnement, pour apprécier la légalité des permis de construire délivrés, à une balance d'intérêts divers en présence, autres que ceux visés à l'article R. 111-21 cité ci-dessus ;
12. Considérant que le belvédère de Montarcher et les Hautes Chaumes présentent une sensibilité forte à la présence du parc éolien ; qu'il ressort toutefois des pièces du dossier que, si le projet sera visible depuis l'ancien donjon de Montarcher, les cinq éoliennes ponctuent la ligne de crête sans altérer le relief environnant et que la vision du site sera lointaine et marginale depuis les Hautes Chaumes ;
13. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir opposées par la SAEML Eole-Lien du Livradois-Forez, que l'association " Défense de l'environnement des Monts du Forez " et autres ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté leur demande ;
Sur les frais liés au litige :
14. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie perdante, la somme que l'association " Défense de l'environnement des Monts du Forez " et autres demandent au titre des frais non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'association " Défense de l'environnement des Monts du Forez " et autres le versement de la somme demandée par la SAEML Eole-Lien du Livradois-Forez en application des mêmes dispositions ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de l'association " Défense de l'environnement des Monts du Forez " et autres est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la SAEML Eole-Lien du Livradois-Forez tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'association " Défense de l'environnement des Monts du Forez ", à l'association " Vent libre ", à Mme K... H..., à M. I... H..., à M. I... A..., à M. G... F..., à M. J... C..., à la société anonyme d'économie mixte locale Eole-Lien du Livradois-Forez et au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire.
Copie en sera adressée au préfet du Puy-de-Dôme.
Délibéré après l'audience du 2 octobre 2018 à laquelle siégeaient :
M. Jean-François Alfonsi, président de chambre,
Mme Virginie Chevalier-Aubert, président assesseur,
Mme Nathalie Peuvrel, première conseillère.
Lu en audience publique, le 30 octobre 2018.
Le rapporteur,
Nathalie PeuvrelLe président,
Jean-François Alfonsi
La greffière,
Marie-Thérèse Pillet
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 16LY00596
mg