Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire enregistrés le 12 septembre 2019 et le 31 août 2021, la société Macon Energies Services, représentée par Me Ravetto, demande à la cour :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) à titre principal de renvoyer l'affaire devant le tribunal administratif de Dijon ;
3°) à titre subsidiaire, d'évoquer l'affaire et d'enjoindre aux parties de modifier l'article 7 des conditions particulières du contrat C13 pour fixer la date de prise d'effet du contrat au 22 novembre 2017 et d'en tirer toutes les conséquences de droit ;
4°) de mettre à la charge de la société EDF la somme de 7 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa requête d'appel est recevable ;
- c'est à tort que le président de la 3ème chambre du tribunal a estimé que sa demande était manifestement irrecevable alors qu'il appartient au juge du contrat, dans le cadre d'un recours en contestation de la validité d'un contrat, après avoir pris en considération la nature de l'illégalité commise, de décider de poursuivre l'exécution du contrat éventuellement sous réserve de mesures de régularisation prises par la personne publique ;
- les dispositions sur lesquelles la société EDF se fondent pour justifier la date de prise d'effet du contrat C13 au 1er janvier 2018 lui étaient inopposables ;
- les mentions portées dans le contrat d'obligation d'achat témoignent de sa bonne foi contractuelle ;
- ces dispositions sont illégales, la société EDF ne pouvant insérer dans son contrat d'obligation d'achat " COGE10-13 V1 " et dans les conditions générales d'utilisation de la plateforme des stipulations contraires aux dispositions légales et réglementaires encadrant le régime de soutien à la production d'électricité d'origine renouvelable et notamment l'arrêté tarifaire du 31 juillet 2001 modifié ; cette date de mise en service doit correspondre à la mise en service industrielle soit le 22 novembre 2017 ; ces dispositions portent atteinte au principe d'égalité des producteurs ; elles sont en contradiction avec d'autres dispositions de ce même contrat et des conditions générales d'utilisation de la plateforme ; elles peuvent conduire à un enrichissement sans cause d'EDF ;
- elle est bien fondée à demander au juge de modifier la date de prise d'effet du contrat C13 en la fixant au 22 novembre 2017 et d'en tirer toutes conséquences de droit, en particulier en termes de rémunération au tarif OA de l'électricité livrée du 22 novembre 2017 au 31 janvier 2018.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 4 février 2020 et le 23 septembre 2021, la société EDF, représentée par Baker et McKenzie AARPI, avocats, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de la société Macon Energies Services une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la requête de la société Macon Energies Services, qui conclut en appel à ce qu'il soit enjoint aux parties de modifier l'article 7 des clauses particulières du contrat C13 pour fixer la date de prise d'effet du contrat au 22 novembre 2017, n'est pas recevable ;
- les moyens soulevés par la société Macon Energies Services ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'énergie ;
- l'arrêté du 3 juillet 2001 fixant les caractéristiques techniques des installations de cogénération pouvant bénéficier de l'obligation d'achat d'électricité ;
- l'arrêté du 31 juillet 2001 fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations de cogénération d'électricité et de chaleur valorisée telles que visées à l'article 3 du décret n° 2000-1196 du 6 décembre 2000 fixant par catégorie d'installations les limites de puissance des installations pouvant bénéficier de l'obligation d'achat d'électricité ;
- l'arrêté du 3 novembre 2016 fixant les conditions d'achat et du complément de rémunération pour l'électricité produite par les installations de cogénération d'électricité et de chaleur valorisée à partir de gaz naturel implantées sur le territoire métropolitain continental et présentant une efficacité énergétique particulière ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Duguit-Larcher,
- les conclusions de M. Savouré, rapporteur public,
- et les observations de Me Perche pour la société EDF ;
Considérant ce qui suit :
1. La société Macon Energies Services (MES), qui gère le réseau de chaleur de la ville de Mâcon et dispose, dans ce cadre, d'une installation de cogénération sise à Mâcon et dite " centrale d'Energie des Bruyères ", a demandé le 14 octobre 2017 à EDF d'acheter l'électricité qu'elle produit dans les conditions fixées par les articles L. 314-1 et suivants du code de l'énergie. L'installation a été mise en service le 22 novembre 2017. La société, qui devait notifier cette mise en service à EDF dans les 14 jours suivant sa prise d'effet, conformément à l'article 1.1.3 de l'annexe 2 des conditions générales du modèle de contrat d'obligation d'achat applicable (contrat C13) et des conditions générales d'utilisation de la plateforme dédiée aux échanges entre EDF et les producteurs d'électricité, l'a notifiée avec un retard de cinq jours. EDF a alors indiqué à la société MES que, conformément à ces dispositions, la date de mise en service de l'installation retenue serait reportée au 1er du mois suivant la période de 14 jours, soit le 1er janvier 2018. La société MES a contesté auprès d'EDF cette date. Les parties ont finalement signé, les 28 septembre et 22 octobre 2018, le contrat d'achat par EDF de l'électricité produite par la société MES lequel prévoit, à l'article 7 des conditions particulières, qu'il prend effet au 1er janvier 2018 "sous réserve du résultat d'une procédure juridictionnelle en cours ou à intervenir entre les parties concernant ladite date de mise en service". La société MES a saisi le tribunal administratif de Dijon d'une demande tendant à ce qu'il soit " enjoint aux parties de modifier l'article 7 des conditions particulières du contrat C13 pour fixer la date de prise d'effet du contrat au 22 novembre 2017 ". Par une ordonnance du 11 juillet 2019 dont la société MES relève appel, le président de la 3ème chambre du tribunal a rejeté sa demande comme manifestement irrecevable au motif qu'il n'appartient pas au juge, en dehors des cas prévus aux articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative, de prononcer des injonctions.
Sur la régularité de l'ordonnance :
2. Les parties à un contrat administratif peuvent saisir le juge d'un recours de plein contentieux contestant la validité du contrat qui les lie. Il appartient alors au juge, lorsqu'il constate l'existence d'irrégularités, d'en apprécier l'importance et les conséquences, après avoir vérifié que les irrégularités dont se prévalent les parties sont de celles qu'elles peuvent, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, invoquer devant lui. Il lui revient, après avoir pris en considération la nature de l'illégalité commise et en tenant compte de l'objectif de stabilité des relations contractuelles, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation prises par la personne publique ou convenues entre les parties, soit de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, la résiliation du contrat ou, en raison seulement d'une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, son annulation.
3. Bien que formellement présentée comme une simple demande d'injonction, la demande de la société MES devant le tribunal devait s'analyser comme la contestation par l'une des parties à un contrat de la validité d'une clause de ce contrat. Dans un tel cas, il appartient au juge, en fonction du caractère divisible ou non de cette clause du reste du contrat, de tirer d'office les conséquences de l'illégalité de ladite clause sur la validité du contrat et de faire usage des pouvoirs du juge de plein contentieux dans le cadre décrit au point 2, notamment celui d'ordonner la poursuite de l'exécution du contrat sous réserve de mesures de régularisation convenues entre les parties. Par suite, la demande de la société MES n'était pas manifestement irrecevable et c'est à tort que le président de la 3ème chambre du tribunal administratif de Dijon l'a rejetée par ordonnance pour ce motif. Son ordonnance du 11 juillet 2019 doit être annulée.
4. Il y a lieu pour la cour d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée au tribunal par la société MES .
Sur la contestation de la validité de l'article 7 des conditions particulières du contrat C13 :
5. Aux termes de l'article R. 314-2 du code de l'énergie " Les contrats ouvrant droit à l'obligation d'achat prévue à l'article L. 314-1 ou au complément de rémunération prévu à l'article L. 314-18 sont établis entre le producteur et le cocontractant conformément aux dispositions de la présente section et à l'arrêté de la filière concernée pris en application de l'article R. 314-12. / Les modèles de contrat d'achat et de contrat de complément de rémunération sont établis par Electricité de France, le cas échéant avec les organisations représentatives des entreprises locales de distribution et approuvés par le ministre chargé de l'énergie. ". L'article R. 314-7 du même code prévoit que " le contrat (d'obligation d'achat) prend effet, après la fourniture de cette attestation, le premier jour du mois souhaité par le producteur, sauf disposition contraire prévue par les arrêtés mentionnés à l'article R. 314-12 ". Selon l'arrêté du 31 juillet 2001 modifié fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations de cogénération d'électricité et de chaleur valorisée, applicable à la situation de la société MES en vertu de l'article 6-VIII du décret 2016-691 du 28 mai 2016 : " le contrat est conclu pour une durée de douze ans à compter de la mise en service de l'installation ".
6. Selon l'article XII des conditions générales du contrat d'achat d'énergie électrique produite pas les installations de cogénération et bénéficiant de l'obligation d'achat d'électricité, qui ont été approuvées par arrêté ministériel, " Le producteur notifie à l'acheteur la date de mise en service (prévisionnelle puis réelle) de l'installation selon les " Modalités de communication " ", qui sont précisées en annexe 2, et le contrat prend effet à cette date. D'après le 1.1.3 de l'annexe 2, le producteur confirme à l'acheteur la mise en service de son installation par lettre recommandée avec accusé de réception au plus tard 14 jours après la date de mise en service notifiée et, à défaut, la date de mise en service retenue est le 1er du mois qui suit la période de 14 jours. Faisant application de ces stipulations, les parties ont indiqué, à l'article 7 des conditions particulières du contrat d'achat signé avec EDF les 28 septembre et 22 octobre 2018, que le contrat prenait effet à la date de mise en service de l'installation fixée au 1er janvier 2018, conformément à l'article XII des conditions générales, mais elles ont précisé que cette date était retenue sous réserve du résultat d'une procédure juridictionnelle en cours ou à intervenir entre les parties et concernant ladite date de mise en service.
7. La Société MES, qui a signé les conditions particulières de son contrat d'achat d'électricité par EDF qui renvoie aux conditions générales d'achat d'électricité, soutient que les dispositions des conditions générales relatives à la date de prise d'effet du contrat sont illégales.
8. Ces dispositions, qui prévoient les modalités selon lesquelles le producteur d'électricité doit informer l'acheteur de la date de mise en service effective de son installation et qui diffèrent de quelques jours la date de prise d'effet du contrat lorsque cette information survient plus de quinze jours après cette date, ne sont pas contraires aux dispositions légales et réglementaires encadrant le régime de soutien à la production d'électricité d'origine renouvelable et notamment l'arrêté tarifaire du 31 juillet 2001 modifié selon lequel la date de prise d'effet du contrat correspond à la date de mise en service de l'installation.
9. Si, en application de ces dispositions, en cas de non-respect du délai de 15 jours pour informer EDF de la mise en service effective de l'installation, la durée de la période pendant laquelle la prise d'effet du contrat d'achat d'électricité est différée varie en fonction de la date à laquelle la mise en service industrielle de l'installation est intervenue, la durée totale du contrat d'achat d'électricité reste toutefois la même quelle que soit sa date de prise d'effet. Par suite, le moyen tiré de ce que ces dispositions introduiraient une rupture d'égalité non justifiée entre producteurs d'électricité en cas de non-respect du délai de notification de la mise en service en fonction de la date de mise en service réelle de l'installation, ne peut qu'être écarté.
10. S'il est indiqué dans les conditions générales du contrat et dans les conditions d'utilisation de la plate-forme que l'utilisation de cette dernière est obligatoire, toutefois, ces mêmes dispositions prévoient que, s'agissant de la mise en service effective de l'exploitation, le producteur doit confirmer sa date par courrier recommandé avec accusé de réception. Ces dispositions, qui instituent pour cette seule occasion particulière une exception à la règle relative aux modalités d'échange d'information entre les parties, ne sont cependant pas en contradiction avec l'ensemble du dispositif.
11. Le risque d'enrichissement sans cause d'EDF en cas d'oubli par une société de notifier dans le délai la date de mise en service de l'installation n'est pas établi.
12. Il résulte de ce qui précède que la demande de la société MES présentée devant le tribunal doit être rejetée, en toutes ses conclusions, ainsi que le surplus de ses conclusions d'appel. Il y a lieu, en revanche, au titre de ces mêmes dispositions, de mettre à sa charge une somme de 2 000 euros à verser à EDF.
DÉCIDE :
Article 1er : L'ordonnance n° 1901897 du 11 juillet 2019 du président de la 3ème chambre du tribunal administratif de Dijon est annulée.
Article 2 : La demande présentée par la société Mâcon Energies Services et le surplus de ses conclusions en appel sont rejetés.
Article 3 : La société Mâcon Energies Services versera à EDF une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Mâcon Energies Services et à EDF.
Délibéré après l'audience du 13 janvier 2022, à laquelle siégeaient :
M. d'Hervé, président,
Mme Michel, présidente assesseure,
Mme Duguit-Larcher, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 février 2022.
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N° 19LY03526