Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire enregistrés le 20 mai 2019 et le 14 décembre 2020, la société Alain Le Ny, représentée par la SELARL Racine, avocats, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) à titre principal, de condamner la commune de Thonon-les-Bains à lui verser une somme de 133 829,46 euros en réparation du préjudice subi ;
3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une mesure d'expertise afin de déterminer le montant du préjudice subi ;
4°) de mettre à la charge de la commune de Thonon Les Bains la somme de 5 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la demande présentée devant le tribunal n'était pas tardive ;
- contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, il existe un lien de causalité directe entre les irrégularités commises par la commune dans la procédure d'attribution du marché et son préjudice dès lors qu'elle avait des chances sérieuses de remporter ce marché ; cette perte de chance doit s'apprécier au titre de la procédure de mise en concurrence attaquée et non d'éventuelles procédures postérieures ;
- la procédure de mise en concurrence était irrégulière, ainsi que l'a expressément reconnu la commune, dans la mesure où, d'une part, la société Eurotoiture qui ne disposait pas des qualifications Qualibat requises par le règlement de consultation, n'avait pas démontré sa capacité à réaliser le marché par la production d'attestations des certificats de qualification, d'autre part, l'offre de l'attributaire aurait dû être rejetée en raison de son caractère anormalement bas et, enfin, l'offre technique de ce dernier était irrégulière au regard du CCTP dans la mesure où il n'a pas proposé des fenêtres de toit CAST-PMR ou équivalent ;
- l'offre qu'elle a présentée était régulière et acceptable ;
- elle a subi un préjudice du fait de son éviction irrégulière à hauteur de 133 829,46 euros ;
- dans la mesure où la commune de Thonon-les-Bains n'a pas présenté devant la cour de conclusions d'appel en garantie, la société Artelia, M. E... et l'Atelier Novembre n'ont pas la qualité de défendeurs en appel.
Par des mémoires enregistrés le 13 janvier 2020 et le 4 mai 2020, la société Artelia, venant aux droits de la société Artelia Bâtiment et Industrie, représentée par Me C..., conclut, dans le dernier état de ses écritures, à titre principal, au rejet de la requête et demande à la cour :
1°) à titre subsidiaire, de condamner la commune de Thonon-les-Bains et l'entreprise E... à la garantir de toute condamnation mise à sa charge ;
2°) de rejeter les appels en garantie de M. E... et de l'Atelier Novembre à son encontre ;
3°) de mettre à la charge de la société Alain Le Ny une somme de 5 000 euros HT en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le lien de causalité entre l'irrégularité prétendument commise et le préjudice invoqué n'est pas établi dans la mesure où, d'une part, la société Alain Le Ny a été mise en mesure de répondre à la seconde procédure pour laquelle elle n'a pas plus été retenue, d'autre part, son offre mentionnait en méconnaissance du règlement de consultation que le mandataire de son groupement n'était pas solidaire et, enfin, son offre aurait été en tout état de cause rejetée et la première consultation déclarée infructueuse compte tenu de l'écart entre l'estimation par la maîtrise d'oeuvre pour le lot n° 2 et le montant de l'offre de la société Alain Le Ny ;
- deux des irrégularités soulevées par la société Alain Le Ny ne sont pas établies dans la mesure où, d'une part, l'avis d'appel public n'interdisait pas expressément les variantes et que le remplacement des caractéristiques du châssis de la fenêtre de toit CAST-PMR a fait l'objet d'une mise au point du marché et, d'autre part, l'offre de la société Eurotoiture, qui a été interrogée sur ses prix et les a justifiés par des métrés émanant de son bureau d'étude, n'était pas anormalement basse ;
- la société Alain Le Ny ne justifie pas du montant du préjudice allégué ;
- subsidiairement, la société Artelia n'a manqué à aucune de ses obligations au stade de l'analyse des offres alors que le rôle de M. E... était prépondérant pour le lot " toitures " et que les irrégularités commises relèvent de son périmètre de responsabilité au sein du groupement de maîtrise d'oeuvre ;
- l'Atelier Novembre a participé à l'analyse des offres ;
- la commune, à la fois maître d'ouvrage et conducteur d'opération avait, à ce dernier titre, un rôle important dans la conclusion des marchés de travaux.
Par un mémoire enregistré le 21 janvier 2020, M. E... et l'Atelier Novembre, représentés par la SELARL Deniau avocats Grenoble, concluent, à titre principal, au rejet de la requête et demandent à la cour :
1°) à titre subsidiaire, de rejeter l'appel en garantie de la société Artelia à l'encontre de M. E... ;
2°) à titre infiniment subsidiaire, de condamner respectivement la société Artelia et la commune de Thonon-Les-Bains à garantir M. E... au minimum à hauteur de 90 % et de 10 % de toute condamnation mise à sa charge ;
3°) à titre infiniment subsidiaire, de condamner solidairement la société Artelia et la commune de Thonon-Les-Bains à garantir l'Atelier Novembre de toute condamnation mise à sa charge ;
4°) de mettre à la charge de la société Alain Le Ny ou de toute autre partie perdante la somme de 2 500 euros à verser à chacun d'eux deux au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. E... et l'Atelier Novembre font valoir que :
- la demande présentée devant le tribunal par la société Alain Le Ny était tardive ;
- la société Alain Le Ny n'établit pas l'existence d'un lien de causalité entre la faute alléguée et le préjudice car, d'une part, son offre étant inacceptable, le marché n'aurait pas pu lui être attribué à l'issue de la première consultation, d'autre part, l'élimination de l'offre de la société Eurotoiture ne devait pas, par application des articles 53 et 59 du code des marchés publics, nécessairement conduire la commune à lui attribuer le marché et enfin, elle a pu candidater lors de la seconde procédure d'attribution du marché ;
- l'offre d'Eurotoiture n'était pas anormalement basse ;
- la commune a reconnu l'irrégularité de la procédure tenant à l'absence de qualifications de la société Eurotoiture ;
- le préjudice dont se prévaut la société ne peut excéder 68 546 euros ;
- subsidiairement, M. E... n'a commis aucune faute dans sa mission d'analyse de la partie technique afférente aux postes de travaux sur le bâtiment existant et la commune n'a pas précisé sur quel fondement elle l'appelait en garantie ;
- au sein du groupement de maîtrise d'oeuvre, M. E... a eu un rôle minime pour la mission d'assistance pour la passation des contrats de travaux par rapport à l'Atelier Novembre et à Artelia ainsi qu'en témoigne la répartition des honoraires ;
- l'Atelier Novembre, qui n'a commis aucune faute, ne saurait être appelé en garantie par la commune, qui n'a pas précisé le fondement de sa demande, en sa seule qualité de mandataire ;
- encore subsidiairement, la société Artelia, qui n'apporte aucun élément permettant de justifier de l'accomplissement de ses propres obligations contractuelles, a commis une faute ;
- la commune de Thonon-les-Bains seule décisionnaire dans l'attribution du marché a commis une faute.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 mars 2020, la commune de Thonon-les-Bains, représentée par Me B..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de la société Alain Le Ny une somme de 5 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- le tribunal a retenu à bon droit que le lien de causalité n'était pas établi entre le préjudice et l'irrégularité de procédure allégués puisque la cause directe du préjudice n'est pas l'irrégularité affectant la première procédure mais l'éviction de la société Alain Le Ny de la seconde ;
- la demande présentée au tribunal était tardive ;
- la société Alain Le Ny était dépourvue de toute chance d'emporter le marché alors même que son offre a été notée et classée, dès lors que cette offre indiquait que le mandataire du groupement ne serait pas solidaire, en méconnaissance de l'article 4 du règlement de consultation, et était en conséquence irrégulière ;
- en résiliant le marché avant toute exécution par les parties, elle y a renoncé pour un motif d'intérêt général, ce qui fait obstacle à l'indemnisation d'un candidat évincé ;
- le montant du préjudice invoqué n'est pas certain et le taux de marge nette invoqué parait excessif.
Par courrier du 23 octobre 2020, l'Atelier Novembre a été invité à régulariser ses écritures en présentant un mémoire distinct de celui de M. E..., premier nommé dans leur mémoire enregistré le 21 janvier 2020, dans la mesure où l'appréciation du mérite des conclusions présentées dans ce mémoire comporte nécessairement l'examen des situations différentes dans lesquelles se trouvent ces deux parties.
Par un mémoire enregistré le 15 décembre 2020, M. E..., représenté par la SELARL Deniau avocats Grenoble, conclut, à titre principal, au rejet de la requête et demande à la cour :
1°) à titre subsidiaire, de rejeter un éventuel appel en garantie de la commune et l'appel en garantie de la société Artelia ;
2°) à titre infiniment subsidiaire, de condamner respectivement la société Artelia et la commune de Thonon-Les-Bains à garantir M. E... au minimum à hauteur de 90 % et de 10 % de toute condamnation mise à sa charge ;
3°) de mettre à la charge de la société Alain Le Ny ou de toute autre partie perdante la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. E... reprend les moyens qui avaient été développés conjointement avec l'Atelier Novembre dans le mémoire enregistré le 21 janvier 2020.
Par un mémoire enregistré le 15 décembre 2020, l'Atelier Novembre, représenté par la SELARL Deniau avocats Grenoble, conclut, à titre principal, au rejet de la requête et demande à la cour :
1°) à titre subsidiaire, de rejeter un éventuel appel en garantie de la commune et l'appel en garantie de la société Artelia ;
2°) à titre infiniment subsidiaire, de condamner solidairement la société Artelia et la commune de Thonon-Les-Bains à garantir l'Atelier Novembre de toute condamnation mise à sa charge ;
3°) de mettre à la charge de la société Alain Le Ny ou de toute autre partie perdante la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
L'Atelier Novembre reprend les moyens qui avaient été développés conjointement avec M. E... dans le mémoire enregistré le 21 janvier 2020.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme G...,
- les conclusions de M. Savouré, rapporteur public,
- et les observations de Me F..., représentant la société Alain Le Ny, celles de Me D..., représentant la commune de Thonon-les-Bains, celles de Me A..., représentant d'une part M. E... et d'autre part l'Atelier Novembre et celles de Me C..., représentant la société Artelia Bâtiment et Industrie ;
Considérant ce qui suit :
1. La commune de Thonon-les-Bains a entrepris dans l'ancien couvent de la Visitation une opération d'aménagement d'un pôle culturel. Elle en a confié la maîtrise d'oeuvre, incluant une mission d'assistance à la passation des contrats de travaux, à un groupement conjoint composé notamment de la société Atelier Novembre, de la société Atelier E... et du bureau d'études Arcoba, aux droits duquel est venue la société Artelia Bâtiment et Industrie. La commune a fait paraître le 3 septembre 2015 un avis d'appel public à la concurrence pour ces travaux d'aménagement, répartis en vingt lots, le deuxième lot concernant la " charpente/couverture ". A l'issue de la consultation, l'entreprise Eurotoiture a été retenue pour l'attribution de ce lot et le marché signé. La société Alain Le Ny a alors demandé à la commune de l'indemniser en réparation du préjudice subi du fait de son éviction irrégulière de la procédure de passation du marché. La commune a refusé de faire droit à cette demande, mais a résilié le marché passé avec la société Eurotoiture. A l'issue d'une nouvelle consultation à laquelle la société Alain Le Ny a de nouveau candidaté, la commune a de nouveau attribué le marché à la société Eurotoiture. La société Alain Le Ny relève appel du jugement du 12 mars 2019 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune de Thonon-Les-Bains, qui avait appelé en garantie devant le tribunal la société Atelier Novembre, la société Atelier E... et la société Artelia Bâtiment et Industrie, à lui verser la somme de 133 829,46 euros en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de son éviction irrégulière de la première procédure de passation du marché.
Sur l'appel principal :
2. En vue d'obtenir réparation de ses droits lésés, le concurrent évincé peut engager un recours de pleine juridiction tendant à une indemnisation du préjudice subi à raison de l'illégalité de la conclusion du contrat dont il a été évincé.
3. Il appartient au juge, lorsqu'une entreprise candidate à l'attribution d'un marché public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce dernier, de vérifier d'abord si l'entreprise était ou non dépourvue de toute chance de remporter le marché. Dans l'affirmative, l'entreprise n'a droit à aucune indemnité. Dans la négative, elle a droit en principe au remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre. Il convient ensuite de rechercher si l'entreprise avait des chances sérieuses d'emporter le marché. Dès lors que l'offre d'un candidat irrégulièrement évincé d'une procédure de passation d'un marché était irrégulière, ce candidat, de ce seul fait, ne peut être regardé comme ayant été privé d'une chance sérieuse d'obtenir le marché, y compris lorsque l'offre retenue était tout aussi irrégulière, et n'est pas fondé, par suite, à demander réparation d'un tel préjudice.
En ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance :
4. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative dans sa rédaction alors applicable : " Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. ". Il résulte des termes mêmes de cet article que le délai de deux mois qu'il fixe ne s'applique pas aux demandes indemnitaires présentées en matière de travaux publics, même lorsqu'elles sont dirigées contre une décision notifiée au demandeur. Par suite, la demande de la société Alain Le Ny, qui a trait à la réparation du préjudice lié à la passation d'un marché de travaux publics, était recevable alors même qu'elle avait reçu notification de la décision de la commune rejetant sa demande indemnitaire plus de deux mois avant sa saisine du tribunal.
En ce qui concerne la régularité de la procédure de passation du marché :
5. En premier lieu, aux termes de l'article 45 du code des marchés publics, alors en vigueur : " I.- Le pouvoir adjudicateur ne peut exiger des candidats que des renseignements ou documents permettant d'évaluer leur expérience, leurs capacités professionnelles, techniques et financières ainsi que des documents relatifs aux pouvoirs des personnes habilitées à les engager. (...)". Aux termes du I de l'article 52 du même code : " Les candidatures qui n'ont pas été écartées en application des dispositions de l'alinéa précédent sont examinées au regard des niveaux de capacités professionnelles, techniques et financières mentionnées dans l'avis d'appel public à la concurrence, ou, s'il s'agit d'une procédure dispensée de l'envoi d'un tel avis, dans le règlement de la consultation. Les candidatures qui ne satisfont pas à ces niveaux de capacité sont éliminées. / L'absence de références relatives à l'exécution de marchés de même nature ne peut justifier l'élimination d'un candidat et ne dispense pas le pouvoir adjudicateur d'examiner les capacités professionnelles, techniques et financières des candidats. / L'appréciation des capacités professionnelles, techniques et financières d'un groupement est globale. Il n'est pas exigé que chaque membre du groupement ait la totalité des compétences techniques requises pour l'exécution du marché. ". L'article 5-1 du règlement de consultation élaboré pour le marché en litige impose que figure, dans le dossier de chaque candidat, la présentation de la liste des principaux travaux qu'il a effectués au cours des cinq dernières années, qui doit indiquer le montant, la date et le destinataire public ou privé de ces travaux ainsi que les qualifications du candidat. Il prévoit, pour le lot n° 2, quatre qualifications et références spécifiques. Il précise que la preuve de la qualification peut être apportée par tout moyen.
6. Il est constant, ainsi que l'a reconnu la commune de Thonon-Les-Bains, que ni la société Eurotoiture, ni ses co-traitants ou sous-traitants ne justifiaient des certificats Qualibat requis pour l'attribution du lot n°2, notamment les qualifications en matière de charpentes métalliques. La commune, qui a postérieurement décidé de résilier le marché passé avec Eurotoiture pour ce motif, n'allègue pas que cette dernière aurait fait preuve, par un autre moyen, de ses capacités professionnelles dans son dossier de candidature. Par suite, en n'écartant pas sa candidature, la commune de Thonon-Les-Bains a entaché la procédure de passation du marché d'une irrégularité.
7. En deuxième lieu, aux termes du 1° du I de l'article 35 du code des marchés publics alors en vigueur : " Une offre irrégulière est une offre qui, tout en apportant une réponse au besoin du pouvoir adjudicateur, est incomplète ou ne respecte pas les exigences formulées dans l'avis d'appel public à la concurrence ou dans les documents de la consultation ". Aux termes du III de l'article 58 du même code : " Les offres inappropriées au sens du 3° du II de l'article 35 ainsi que les offres irrégulières ou inacceptables au sens du 1° du I de l'article 35 sont éliminées.". Le règlement de consultation du marché prévoit que le mémoire technique doit comprendre, en annexe, un tableau des matériels que le candidat s'engage à mettre en oeuvre, en particulier pour les fenêtres de toit (marque, modèle, prix), que la valeur technique des éléments proposés sera appréciée au regard des exigences minimales définies dans le cahier des clauses techniques particulières et que s'il est établi une non-conformité entre une référence mentionnée par l'entreprise et ce cahier, l'offre sera considérée comme non conforme et donc irrégulière. Le cahier des clauses techniques particulières du lot charpente/toiture prévoit en son article 2.5.1.3.1.2 la pose de fenêtre de toit de marque Cast-PMR ou équivalent suivant la nature des tuiles mises en oeuvre, avec un store intérieur intégré.
8. Il résulte de l'instruction que le pouvoir adjudicateur a estimé que la fenêtre proposée par la société Eurotoiture n'était pas équivalente au modèle figurant dans le cahier des clauses techniques particulières. Elle aurait dû, pour ce motif, écarter l'offre de la société Eurotoiture qui était en conséquence irrégulière, même si elle n'était, par ailleurs, pas anormalement basse.
En ce qui concerne le droit à réparation :
9. Pour les motifs exposés ci-dessus, la commune de Thonon-Les-Bains a commis une faute dans la passation du marché litigieux en n'écartant pas la candidature de la société Eurotoiture, puis en ne rejetant pas son offre qui était irrégulière.
10. La circonstance que la société Alain Le Ny a été mise en mesure de répondre à la seconde procédure d'appel d'offre, lancée après la résiliation du marché passé avec la société Eurotoiture, au terme de laquelle elle a de nouveau été classée seconde après la société Eurotoiture et dont elle n'a pas contesté la régularité, ne fait pas obstacle à ce qu'elle obtienne réparation du préjudice subi à raison de l'irrégularité de la première procédure de passation.
11. Si un candidat évincé ne peut prétendre à une indemnisation d'un manque à gagner lorsque la personne publique renonce à conclure le contrat au terme de la procédure de sélection pour un motif d'intérêt général, toutefois, la commune de Thonon-Les-Bains n'a pas en l'espèce renoncé à conclure un contrat pour un motif d'intérêt général mais a résilié le contrat conclu avec la société Eurotoiture au motif de son irrégularité. Cette circonstance ne saurait, dès lors, dénier à la société Alain Le Ny tout droit à indemnisation.
12. Il résulte de l'instruction que, sur les cinq offres notées, l'offre de la société Alain Le Ny avait été classée en deuxième position après celle de la société Eurotoiture.
13. La commune fait valoir que l'offre de la société Alain Le Ny, qui n'était pas présentée par un groupement solidaire, était irrégulière au regard de l'article 4 du règlement de consultation et qu'elle ne peut en conséquence prétendre à aucune indemnité. Toutefois, en indiquant, en son article 4, qu'en cas d'attribution du marché à un groupement conjoint, le mandataire du groupement sera solidaire pour l'exécution du marché de chacun des membres du groupement pour ses obligations contractuelles, le règlement de consultation n'a pas, conformément au VII de l'article 51 du code des marchés publics alors en vigueur, exigé au stade de la présentation de l'offre une forme déterminée de groupement, mais seulement imposé la transformation d'un groupement conjoint dont le mandataire n'est pas solidaire en un groupement conjoint dont le mandataire est solidaire après, le cas échéant, l'attribution du marché.
14. Ainsi, dès lors qu'à l'inverse de celle d'Eurotoiture, l'offre de la société Alain Le Ny n'était pas irrégulière, et qu'il ne résulte de pas de l'instruction que le prix qu'elle proposait, qui n'était supérieur que de 5% par rapport au prix estimé par la maitrise d'oeuvre, aurait conduit la commune à rejeter son offre comme inacceptable ou à déclarer l'appel d'offre infructueux, la société Alain Le Ny a été privée d'une chance sérieuse d'obtenir le marché.
En ce qui concerne le préjudice :
15. La société Alain Le Ny a dans ces circonstances droit à l'indemnisation de l'intégralité de son manque à gagner, incluant nécessairement, en l'absence de stipulation contraire du contrat, les frais de présentation de l'offre intégrés dans ses charges. Ce manque à gagner doit être déterminé non en fonction du taux de marge brute constaté dans son activité mais en fonction du bénéfice net que lui aurait procuré le marché si elle l'avait obtenu.
16. La société Alain Le Ny a produit, à l'appui de sa demande, le détail du calcul de son manque à gagner qu'elle a accompagné d'une attestation de son expert-comptable. Il résulte du détail de ce calcul, qui fait apparaitre que la société s'est fondée sur les données propres au marché en litige ainsi que sur ses données comptables, que le manque à gagner qu'elle a chiffré à la somme de 133 829,46 euros correspond à la marge nette que lui aurait procuré le contrat s'il lui avait été attribué. Ni le fait qu'elle ait initialement réclamé à la commune une somme de 110 000 euros, dont le montant ne reposait pas sur la détermination de sa marge nette, ni le fait qu'elle ait indiqué à la commune qu'elle serait prête à conclure une transaction sur la base d'une indemnité de 68 146 euros ne permet de démontrer que le préjudice dont elle se prévaut ne présente pas, quant à son montant, un caractère certain. Le taux de marge qu'elle a déterminé pour ce marché ne s'éloigne pas significativement des taux de marge moyens constatés par l'INSEE pour le secteur de la construction à cette période. Il y a donc lieu de condamner la commune de Thonon-Les-Bains à lui verser la somme de 133 829 euros.
17. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise, que la société Alain Le Ny est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Sur l'appel en garantie formé par la commune à l'encontre du cabinet Artelia, de l'Atelier Novembre et de M. E... et les conclusions de ces derniers dirigées contre la commune :
18. Il appartient à la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur les conclusions subsidiaires présentées en première instance par la commune de Thonon-Les-Bains et de se prononcer ainsi sur l'appel en garantie que celle-ci avait formé à l'encontre du cabinet Artelia, de l'Atelier Novembre et de M. E....
19. Aux termes des dispositions de l'article 6 du décret du 29 novembre 1993 relatif aux missions de maîtrise d'oeuvre confiées par des maîtres d'ouvrage publics à des prestataires de droit privé : " L'assistance apportée au maître de l'ouvrage pour la passation du ou des contrats de travaux sur la base des études qu'il a approuvées a pour objet : / a) De préparer la consultation des entreprises, en fonction du mode de passation et de dévolution des marchés ; / b) De préparer, s'il y a lieu, la sélection des candidats et d'examiner les candidatures obtenues ; / c) D'analyser les offres des entreprises et, s'il y a lieu, les variantes à ces offres ; / d) De préparer les mises au point permettant la passation du ou des contrats de travaux par le maître de l'ouvrage ".
20. Il résulte de l'instruction que le groupement composé notamment du cabinet Artelia, de l'Atelier Novembre et de M. E... avait été chargé par le marché de maîtrise d'oeuvre conclu le 17 février 2014 avec la commune de Thonon-Les-Bains d'une mission d'assistance à la passation des contrats de travaux de l'opération et notamment pour le lot objet du marché litigieux. Il résulte des dispositions précitées que ce groupement, qui était, compte tenu de la rédaction de l'acte d'engagement du marché, un groupement solidaire, devait à ce titre assurer une mission d'examen des candidatures et d'analyse des offres. Il n'a cependant pas signalé à la commune l'irrégularité de la candidature de la société Eurotoiture pour absence des qualifications techniques requises et a procédé à la notation et au classement de son offre. La commune de Thonon-Les-Bains, qui n'a appelé en garantie que les trois entreprises du groupement qui ont été rémunérées pour la mission d'assistance à la passation des marchés de travaux, est fondée à soutenir que ces entreprises ont commis une faute.
21. Il résulte toutefois des dispositions de l'article 52 du code des marchés publics que la responsabilité de l'élimination des candidatures qui ne satisfont pas aux niveaux de capacité professionnelle incombe au seul pouvoir adjudicateur qui assurait, en outre, en l'espèce la conduite des opérations. Eu égard aux responsabilités respectives du maître d'oeuvre et du maître d'ouvrage, et en l'absence de demande de condamnation solidaire des membres du groupement par la commune, il y a lieu de condamner le cabinet Artelia, l'Atelier Novembre et M. E..., responsables ensemble à 80 % du préjudice subi par la société Alain Le Ny, à garantir chacun la commune de Thonon-Les-Bains, condamnée à le réparer, à hauteur du tiers de la somme dont est redevable le groupement, soit chacun une somme de 35 687,73 euros.
22. En l'absence de condamnation prononcée à leur encontre dans le cadre du litige principal, les appels en garantie présentés par le cabinet Artelia, M. E... et l'Atelier Novembre dirigés contre la commune ne peuvent être que rejetés.
Sur les autres conclusions d'appel en garantie présentées par le cabinet Artelia, M. E... et l'Atelier Novembre :
23. Le présent arrêt aggravant leur situation, les appels en garantie réciproques du cabinet Artelia, de M. E... et de l'Atelier Novembre, présentés par la voie de l'appel provoqué, sont recevables.
24. La société Artelia demande à être garantie par M. E... de toute condamnation prononcée à son encontre. M. E... demande à être garanti par la société Artélia d'au minimum 90 % de toute condamnation prononcée à son encontre. L'Atelier Novembre demande à être intégralement garanti par la société Artelia de toute condamnation prononcée à son encontre.
25. Il résulte de l'instruction, et notamment du tableau de répartition des rémunérations entre les membres du groupement de maîtrise d'oeuvre, que la société Artelia, M. E... et l'Atelier Novembre partageaient la responsabilité de la mission d'assistance à la passation des contrats, et qu'elles devaient, respectivement, recevoir 58 %, 7 % et 35 % de la rémunération de cette mission. Le lot n° 2 comportait deux volets, l'un se rapportant au bâtiment existant, représentant 84 % du montant des travaux de ce lot, et l'autre à l'extension de ce bâtiment. S'il n'est pas possible d'établir précisément le rôle de chacune des trois entreprises dans l'examen des candidatures, puis des offres, il apparait toutefois que les trois entreprises ont participé à l'examen des candidatures et des offres, que M. E..., en sa qualité d'architecte du patrimoine, était essentiellement responsable de la partie relative au bâtiment existant tandis que la société Artelia était surtout responsable de la partie " extension ". Les qualifications qui manquaient à la société Eurotoiture ou à ses sous-traitant concernaient la charpente métallique, qui se rapporte à l'extension du bâtiment. Par suite, il sera fait une juste appréciation de leur manquements respectifs, en condamnant la société Artelia à garantir l'Atelier Novembre à hauteur de 50 % des condamnations prononcées à son encontre et de condamner M. E... et la société Artelia à se garantir mutuellement dans les mêmes proportions.
Sur les frais liés au litige :
26. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que les sommes réclamées par la commune de Thonon-Les-Bains, la société Artelia, M. E... et l'Atelier Novembre sur leur fondement soient mises à la charge de la société Alain Le Ny, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de la commune de Thonon-Les-Bains une somme de 2 000 euros à verser à la société Alain Le Ny sur ce fondement.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1604427 du 12 mars 2019 du tribunal administratif de Grenoble est annulé.
Article 2 : La commune de Thonon-Les Bains est condamnée à verser une somme de 133 829 euros à la société Alain Le Ny.
Article 3 : Le cabinet Artelia, l'Atelier Novembre et M. E... sont condamnés à garantir chacun la commune de Thonon-Les Bains de la condamnation prononcée à son encontre à hauteur de 35 687 euros.
Article 4 : Le cabinet Artelia est condamné à garantir l'Atelier Novembre de la moitié de la condamnation prononcée à son encontre soit 17 843 euros.
Article 5 : Le cabinet Artelia et M. E... sont condamnés à se garantir mutuellement à hauteur de la moitié de la condamnation prononcée à leur encontre soit 17 843 euros.
Article 6 : la commune de Thonon-Les-Bains versera à la société Alain Le Ny une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 7 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à la société Alain Le Ny, à la commune de Thonon-Les-Bains, au cabinet Artelia, à l'Atelier Novembre et à M. E....
Délibéré après l'audience du 18 mars 2021, à laquelle siégeaient :
M. d'Hervé, président,
Mme Michel, président assesseur,
Mme G..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 avril 2021.
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N° 19LY01887