Par une requête et un mémoire, enregistrés les 18 et 21 août 2017, M. B..., représenté par la SELAS Agis, demande à la cour :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 20 juin 2017 ;
2°) de condamner la commune de Chens-sur-Léman à lui verser les sommes de 144 467,24 euros HT, 69 315 et 5 000 euros, augmentées des intérêts au taux légal en vigueur à compter du 6 novembre 2013 jusqu'au jugement à intervenir, puis au taux d'intérêt en vigueur plus cinq points à compter de la notification du jugement ainsi que de la capitalisation des intérêts ;
3°) de rejeter les conclusions reconventionnelles de la commune ;
4°) de mettre à la charge de cette commune une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à bon droit que les premiers juges ont écarté le moyen invoqué par la commune tiré de la nullité de la convention de délégation de service public ;
- la décision de résiliation est entachée d'un vice d'incompétence de son auteur, d'un défaut de motivation et n'a pas été précédée d'une procédure contradictoire ;
- il ne lui appartenait pas de solliciter l'accord du propriétaire du terrain préalablement à l'installation de mobil-homes ; la commune l'a autorisé à installer 30 bungalows, il ne lui appartenait pas de s'assurer qu'elle avait reçu l'accord du propriétaire du terrain ; il ne lui appartenait pas non plus de prendre en charge la réalisation des travaux nécessaires à leur implantation dès lors que la commune avait donné son accord pour les prendre en charge elle-même ; la commune ne démontre pas le " manque d'uniformité " dans l'implantation de ces bungalows ;
- la décision de résiliation est manifestement disproportionnée au regard des fautes contractuelles qui lui sont reprochées ;
- c'est à bon droit que les premiers juges lui ont accordé une indemnisation de 5 273,96 euros au titre de la valeur non amortie des biens de retour ; c'est toutefois à tort qu'ils ont écarté de cette indemnisation les autres investissements non amortis nécessaires à l'exploitation du camping, ceux réalisés en vue de la saison estivale 2013 ainsi que son manque à gagner ; il peut également prétendre à l'indemnisation de son préjudice moral ;
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, la convention ne l'obligeait pas à supporter les frais de remise en état des lieux du camping ; il n'avait d'ailleurs pas été mis en mesure de remettre en état les lieux dès lors qu'il avait été contraint par la commune de les quitter.
Par un mémoire, enregistré le 21 mars 2019, la commune de Chens-sur-Léman, représentée par SELAS Adamas, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- les moyens tirés de l'irrégularité de forme ou de procédure de la décision de résiliation sont inopérants ainsi que l'a jugé le tribunal ; en tout état de cause, ces moyens ne sont pas fondés ;
- la résiliation était justifiée et proportionnée aux manquements contractuels commis par M. B... ;
- le bien-fondé de la résiliation fait obstacle à l'indemnisation d'un quelconque manque à gagner ; c'est à bon droit que le tribunal a jugé que les investissements réalisés par M. B... pour les saisons 2012 et 2013 ne relevaient pas de la catégorie des biens de retour ;
- il incombait à M. B..., en application de la convention, de procéder à la remise en état des lieux avant de quitter le terrain ; le temps nécessaire avait été laissé à l'intéressé.
Par une ordonnance du 27 mars 2019, l'instruction a été close le 30 avril 2019.
Un mémoire, enregistré le 30 avril 2019, présenté pour M. B... n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code monétaire et financier ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E... ;
- les conclusions de Mme Gondouin, rapporteur public ;
- les observations de Me A..., représentant M. B... et celles de Me D..., représentant la commune de Chens-sur-Léman ;
Considérant ce qui suit :
1. Par une convention de délégation de service public du 29 mai 2008, la commune de Chens-sur-Léman (74) a confié à M. B... l'exploitation, pour une durée de 9 ans, du camping municipal situé sur un terrain donné à bail emphytéotique à la commune. Suite à l'installation par M. B... de 14 bungalows, le maire de la commune l'a mis en demeure, par courrier du 5 mars 2013, de respecter les termes de la convention de délégation de service public dans le délai d'un mois, puis en a prononcé la résiliation le 7 mai 2013. M. B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner la commune de Chens-sur-Léman à l'indemniser de son manque à gagner, de la charge non amortie de ses derniers investissements et de son préjudice moral né de la rupture anticipée du contrat. La commune a présenté des conclusions reconventionnelles tendant au remboursement des frais qu'elle a engagés pour la remise en état des lieux. Par un jugement du 20 juin 2017, dont M. B... demande la réformation, le tribunal administratif de Grenoble l'a condamné à verser à la commune de Chens-sur-Léman la somme de 2 602,97 euros hors taxe au titre du solde de la convention résiliée.
2. En premier lieu, en cas de résiliation d'une délégation de service public avant son terme et quel qu'en soit le motif, le délégataire a droit à être indemnisé de la valeur non amortie des biens de retour. En revanche, lorsque la résiliation est prononcée en raison d'une faute contractuelle commise par le délégataire et, dès lors qu'elle est justifiée au fond, ce dernier ne peut prétendre à être indemnisé du manque à gagner et du préjudice moral résultant de la rupture anticipée du contrat et ce, alors même que la décision de résiliation serait irrégulière en la forme.
3. D'une part, la convention de délégation de service public conclue entre la commune de Chens-sur-Léman et M. B... fait état de ce que, ainsi qu'il a été dit au point 1, " la commune n'est pas propriétaire du terrain mais seulement bénéficiaire d'un bail emphytéotique pour une durée expirant le 31 octobre 2024 " et impose au délégataire de " respecter scrupuleusement les conditions de ce bail ", dont certaines stipulations sont reproduites dans la convention de délégation de service public et sont, à ce titre, opposables à M. B.... Ainsi pour l'édification de nouveaux aménagements, le bail emphytéotique impose à l'emphytéote d'obtenir l'autorisation expresse et écrite du bailleur. D'autre part, aux termes du 2 du III du cahier des charges pour l'exploitation du camping communal : " (...) Le preneur ne pourra en aucun cas installer plus de dix mobiles homes sur le terrain de camping aménagé. S'il devait louer les mobiles homes d'octobre à mars ce serait pour une durée maximale de 3 mois consécutifs ou non et ceci pour 5 mobiles homes maximum. Le camping ne devant pas devenir un lieu d'habitat permanent. / La Municipalité s'autorise un droit de regard sur l'esthétique des mobiles homes. L'ensemble devant rester harmonieux, et les couleurs s'intégrer au paysage. Il ne sera pas toléré de matériel vétuste et non entretenu. (...) ". Aux termes du 4 du III de ce cahier des charges : " (...) en cas d'inexécution d'une seule des conditions de la concession et, un mois après sommation d'exécuter contenue dans une lettre recommandée avec avis de réception, la concession sera résiliée unilatéralement et alors sans indemnité si bon semble à la commune (...) ".
4. Il résulte de l'instruction qu'en 2011, M. B... a, à plusieurs reprises, demandé au maire de Chens-sur-Léman, la possibilité notamment d'installer trente mobil-homes supplémentaires sur le terrain de camping dont certains pourraient être loués à l'année ou même vendus et d'autres utilisés pour la location temporaire de tourisme. Par un courrier du 6 avril 2012, le maire de la commune a donné son accord pour l'installation de trente bungalows sous conditions d'acceptation du bailleur emphytéotique et de la conclusion d'un avenant. Ce courrier précise que M. B... n'ayant pas réalisé de plan d'aménagement d'ensemble, la commune s'engage à le faire réaliser à ses frais par un géomètre afin de s'assurer de la cohérence du projet. Il résulte en outre de l'instruction que dans le même temps, la commune a engagé des démarches auprès du bailleur pour obtenir son autorisation de réaliser les nouveaux aménagements nécessaires à l'installation de trente bungalows supplémentaires. Par un courrier du 19 décembre 2012, le maire de la commune a proposé à M. B... de conclure un avenant à la convention de délégation de service public aux termes duquel l'installation de trente bungalows serait autorisée dont 14 sur le haut de la parcelle et 16 sur le bas à condition d'être d'un modèle similaire et de s'intégrer au mieux à l'environnement. Conformément à ce qui avait été annoncé dans le courrier du 6 avril précédent, le maire rappelle, d'une part, que la location de mobil-homes pendant la saison hivernale, soit d'octobre à mars, au nombre de dix maximum, ne pourra être autorisée que pour une durée maximale de trois mois consécutifs ou non, et d'autre part, qu'aucun mobil-home ne pourra être vendu sur l'emplacement. M. B..., qui avait déjà acquis et installé quatorze chalets en septembre 2012, n'a pas donné suite à cette proposition d'avenant. Contrairement à ce qu'il affirme, il ne peut être déduit ni du courrier électronique du 9 mai 2012, établissant le compte-rendu d'une conversation téléphonique entre M. B... et une conseillère municipale le 12 avril précédent, ni de la circonstance que des " représentants de la commune " étaient présents le jour de l'arrivée des bungalows, que la commune avait renoncé aux conditions posées dans le courrier du 6 avril 2012 tenant à l'accord préalable du bailleur et à la conclusion d'un avenant à la convention de délégation de service public du 29 mai 2008. Par suite, ainsi que l'a jugé le tribunal administratif, en procédant à l'installation de quatorze chalets sans attendre que ces conditions soient remplies, M. B... a méconnu les stipulations contractuelles rappelées ci-dessus, qui limitaient à dix le nombre de mobil-homes autorisés et donnaient à la commune un " droit de regard esthétique. ". Ces fautes, et alors que suite à la mise en demeure qui lui a été adressée le 5 mars 2013 M. B... n'a engagé aucune démarche pour régulariser la situation, sont de nature à justifier la résiliation prononcée le 7 mai 2013.
5. La décision de résiliation étant justifiée au fond, en l'absence de lien de causalité entre les préjudices allégués et les vices de forme et de procédure invoqués, M. B... ne peut prétendre à être indemnisé de son manque à gagner ni de son préjudice moral.
6. En revanche, ainsi qu'il a été dit au point 2, M. B... peut prétendre à être indemnisé du préjudice qu'il subit en raison du retour à titre gratuit dans le patrimoine de la commune, des biens meubles ou immeubles, nécessaires au fonctionnement du service public, qu'il a acquis et qui n'ont pu être totalement amortis à la date de la résiliation de la convention. A ce titre, la commune de Chens-sur-Léman ne conteste pas être redevable de la somme de 5 273,98 euros HT mise à sa charge par les premiers juges. Pour le reste, M. B... n'établit pas plus en appel que devant le tribunal que les sommes non amorties dont il demande l'indemnisation correspondraient à des dépenses engagées en vue de l'acquisition d'équipements nécessaires au fonctionnement du service public et sur lesquels la personne publique pourrait se prévaloir d'un droit de propriété. En particulier, ainsi que l'a jugé le tribunal administratif, l'installation de quatorze chalets en méconnaissance de la convention de délégation de service public résiliée, sur lesquels M. B... a conservé son droit de propriété, ne saurait créer aucune obligation d'indemnisation à la charge de la commune sur ce fondement.
7. En second lieu, les premiers juges ont fait partiellement droit aux conclusions reconventionnelles de la commune de Chens-sur-Léman tendant à l'engagement de la responsabilité de M. B... à raison de la faute commise dans l'exécution de la convention qui lui faisait obligation d'enlever le matériel vétuste et non entretenu et ont mis à sa charge la somme de 7 876,95 euros HT pour l'enlèvement, réalisé en février et mars 2014, de déchets et de matériels hors d'usage. Toutefois, il résulte de l'instruction que la commune a fait obligation à M. B... de quitter le camping municipal au plus tard le 30 juin 2013. A cette date, l'intéressé était déchargé de toute obligation contractuelle. Or, la commune n'établit pas, par la seule production d'un constat rédigé par la police municipale en février 2014, que les déchets et autres matériels enlevés à sa demande huit mois après le départ des lieux de M. B..., seraient la conséquence du mauvais entretien du terrain de camping par l'intéressé pendant l'exécution du contrat et non, comme le soutient ce dernier, de dégradations commises par des tierces personnes après son départ.
8. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble l'a condamné, au titre du solde de la convention résiliée, à verser à la commune de Chens-sur-Léman une somme de 2 602,97 euros HT. Compte tenu de la somme non contestée mise à la charge de la commune par les premiers juges, il y a lieu de condamner cette dernière à verser à M. B... la somme de 5 273,98 euros HT au titre du solde de la convention résiliée, assortie des intérêts au taux légal à compter 6 novembre 2013, date de réception par la commune de la demande indemnitaire préalable et de la capitalisation de ces intérêts à compter du 6 novembre 2014 et de réformer le jugement attaqué du tribunal administratif de Grenoble du 20 juin 2017.
9. Il résulte des dispositions de l'article L. 313-3 du code monétaire et financier que tout jugement prononçant une condamnation à une indemnité fait courir les intérêts au taux majoré s'il n'est pas exécuté dans les deux mois de sa notification. Par suite, les conclusions de M. B... tendant à la condamnation de la commune de Chens-sur-Léman au paiement des intérêts au taux légal majoré de cinq points sont, à ce stade, prématurées et dépourvues d'objet. Elles doivent donc être rejetées.
10. Dans les circonstances de l'espèce, les conclusions des parties présentées au titre des frais liés au litige doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La commune de Chens-sur-Léman est condamnée à verser à M. B... la somme de 5 273,98 euros HT augmentée des intérêts au taux légal à compter du 6 novembre 2013. Les intérêts échus à la date du 6 novembre 2014 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 2 : Le jugement n° 1401131 du 20 juin 2017 du tribunal administratif de Grenoble est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et à la commune de Chens-sur-Léman.
Délibéré après l'audience du 3 octobre 2019, à laquelle siégeaient :
M. d'Hervé, président de chambre,
Mme Michel, président-assesseur,
Mme E..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 17 octobre 2019.
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N° 17LY03185