Procédure devant la cour
I. Par une requête enregistrée le 30 mai 2020 sous le n° 20LY01523, le préfet du Rhône demande à la cour d'annuler le jugement attaqué et de rejeter les demandes présentées par Mme D... devant le tribunal.
II soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a jugé qu'il avait méconnu les stipulations du 7 de l'article 6 de l'accord franco-algérien ;
- il n'a pas davantage méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense enregistré le 27 juillet 2020 Mme D..., représentée par Me G..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 1 200 euros soit mise à la charge de l'Etat en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par le préfet ne sont pas fondés.
Par une décision du 9 septembre 2020, Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
II. Par une requête enregistrée le 30 mai 2020 sous le n° 2001525, le préfet du Rhône demande à la cour :
1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article R. 811-17 du code de justice administrative, qu'il soit sursis à l'exécution du jugement n°s 1906089, 2001209 du 19 mai 2019.
Il soutient que les moyens qu'il soulève dans la requête au fond sont sérieux et l'exécution du jugement attaqué risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables puisqu'elle ouvre immédiatement un droit au séjour et des droits sociaux et au travail à Mme D....
Par un mémoire en défense enregistré le 2 septembre 2020 Mme D..., représentée par Me G..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 1 200 euros soit mise à la charge de l'Etat en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle fait valoir que :
- le sursis ne peut être ordonné sur le fondement de l'article R. 811-16 du code de justice administrative qui impose au préfet de fonder sa demande sur le risque de perte définitive d'une somme qui ne devrait pas rester à sa charge ;
- les moyens soulevés par le préfet du Rhône dans la requête au fond ne sont pas sérieux.
Par une décision du 9 septembre 2020, Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- et les observations de Me A..., représentant Mme D....
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes visées ci-dessus sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'une même décision.
2. Mme D..., ressortissante algérienne née en 1978, est entrée en France le 26 octobre 2017. Le 7 janvier 2019, elle a demandé au préfet du Rhône de lui délivrer un titre de séjour pour raison de santé. Le silence gardé par le préfet sur sa demande a fait naître une décision implicite de rejet, à laquelle il a ensuite substitué une décision expresse le 27 janvier 2020 assortie de décisions portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et désignation du pays de renvoi. Par un jugement n°s 1906089, 2001209 du 19 mai 2020, le tribunal administratif de Lyon a annulé ces décisions et a enjoint au préfet du Rhône de délivrer à Mme D... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement un certificat de résidence algérien portant la mention "vie privée et familiale" l'autorisant à travailler et, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour. Le préfet demande l'annulation de ce jugement par sa requête n° 20LY01523 et qu'il soit sursis à son exécution par sa requête n° 20LY01525.
Sur la requête 20LY01523 :
3. Le 7° de l'article 6 de l'accord franco-algérien prévoit que le certificat de résidence d'un an portant la mention "vie privée et familiale" est délivré de plein droit : " au ressortissant algérien, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse pas effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays (...) ". Selon le 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ne peut faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : " L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ".
4. Il résulte de ce qui a été dit au point 2 que la demande de Mme D... tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle le préfet du Rhône a rejeté sa demande de titre de séjour doit être regardée comme dirigée contre la décision explicite du 27 janvier 2020. Il ressort des termes mêmes de cette décision que le préfet, pour refuser de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement des stipulations du 7° de l'article 6 de l'accord franco-algérien, s'est notamment fondé sur un avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) du 19 avril 2019, selon lequel, si le défaut d'une prise en charge adaptée à l'état de santé de l'intéressée risque d'avoir pour elle des conséquences d'une exceptionnelle gravité, celle-ci peut, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont elle est originaire, y bénéficier effectivement d'un traitement approprié.
5. Si l'état de santé de Mme D... nécessitait des hémodialyses périodiques jusqu'à la transplantation rénale dont elle a bénéficié au mois de décembre 2019 et pour laquelle elle est suivie régulièrement en France compte tenu du risque de rejet important la première année, ni les documents médicaux la concernant, ni l'article sur la journée mondiale du rein qui s'est tenue le 12 mars 2020, que l'administration a produit, ni la circonstance qu'elle est hébergée en France par une association, ne sont de nature à remettre en cause l'appréciation du préfet, qui s'est prononcé au vu des seuls éléments qu'elle avait portés à sa connaissance, quant à la possibilité qu'elle puisse bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif de Lyon.
6. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal s'est fondé sur la méconnaissance des stipulations du 7° de l'article 6 de l'accord franco-algérien.
7. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme D... devant le tribunal administratif de Lyon.
8. Les décisions du 27 janvier 2020 ont été signées par Mme F... E..., directrice adjointe des migrations et de l'intégration de la préfecture du Rhône, qui disposait d'une délégation de signature du préfet du Rhône, par un arrêté du 15 janvier 2020 publié au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture le lendemain. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire des décisions doit être écarté comme manquant en fait.
9. En vertu des articles R. 313-22 et R. 313-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, applicables aux demandes de certificats de résidence formées par les ressortissants algériens en application des stipulations précitées du 7° de l'article 6 de l'accord franco-algérien, le préfet délivre la carte de séjour temporaire prévue par le 11° de l'article L. 313-11 de ce code au vu d'un avis émis, dans les conditions fixées par arrêté ministériel, par un collège de médecins à compétence nationale de l'OFII, au vu d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office. Si Mme D... soutient que ces dispositions n'auraient pas été respectées en l'espèce, l'avis du collège de médecins du 19 avril 2019, établi conformément au modèle obligatoire figurant à l'annexe C de l'arrêté du 27 décembre 2016 pris pour l'application de ces dispositions, ne comporte aucun élément permettant de douter de l'existence d'un rapport médical et de ce qu'il a été régulièrement émis.
10. Si Mme D... soutient que l'avis du collège des médecins de l'OFII est intervenu avant qu'elle ne bénéficie d'une transplantation rénale, il résulte du point 5 que le préfet a procédé à un examen complet de sa situation personnelle.
11. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que Mme D... est mariée à un compatriote qui réside en Algérie avec leurs deux enfants mineurs. Le préfet n'a dès lors pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et repris pas les stipulations du 5° de l'article 6 de l'accord franco-algérien, une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a pris les décisions du 27 janvier 2020.
12. Compte tenu de ce qui précède, le moyen tiré de ce que les décisions portant obligation de quitter le territoire français et désignation du pays de renvoi sont illégales en conséquence des illégalités successives ne peut qu'être écarté.
13. Il suit de là que le préfet du Rhône est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a annulé ses décisions du 27 janvier 2020 portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français et désignation du pays de renvoi. En conséquence, le jugement doit être annulé et la demande présentée par Mme D... devant le tribunal administratif de Lyon doit être rejetée.
Sur la requête 20LY01525 :
14. Le présent arrêt se prononçant sur le bien-fondé de l'appel présenté contre le jugement n°s 1906089, 2001209 du tribunal administratif de Lyon, les conclusions de la requête n° 20LY01525 tendant à ce qu'il soit sursis à son exécution sont ainsi privées d'objet. Il n'y a pas lieu, par suite, d'y statuer.
Sur les frais du litige :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête 20LY01525.
Article 2 : Le jugement n°s 1906089, 2001209 du tribunal administratif de Lyon du 19 mai 2020 est annulé.
Article 3 : La demande présentée par Mme D... devant le tribunal administratif de Lyon et ses conclusions présentées en appel sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme C... D.... Copie en sera adressée au préfet du Rhône et à Me G....
Délibéré après l'audience du 1er octobre 2020, à laquelle siégeaient :
M. d'Hervé, président,
Mme B..., président assesseur,
Mme Lesieux, premier conseiller.
Lu en audience publique le 22 octobre 2020.
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N° 20LY01523, 20LY01525