Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 9 septembre 2020, M. D..., représenté par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet du Rhône de lui délivrer une autorisation de séjour, lui permettant de travailler, dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat, à payer à son conseil, la somme de 1 300 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à charge pour ce dernier de renoncer à percevoir la part contributive de l'Etat à sa mission d'aide juridictionnelle.
M. D... soutient que :
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'un vice de procédure, le préfet n'ayant pas respecté la procédure contradictoire prévue par les articles L. 121-1 et suivants du code des relations entre le public et l'administration et le principe général du droit de l'Union Européenne du droit d'être entendu ;
- elle n'a pas été précédée d'un examen particulier de sa situation personnelle, notamment au regard de son état de santé ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- elle méconnaît le 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision fixant le délai de départ volontaire méconnaît le II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision fixant le pays de destination est illégale compte tenu de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle n'a pas été précédée d'un examen complet et particulier de sa situation et est, de ce fait, entachée d'une erreur de droit ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Le préfet du Rhône, auquel la requête a été communiquée, n'a pas présenté d'observations.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 octobre 2020.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre l'administration et le public ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Duguit-Larcher, premier conseiller,
- et les observations de Me B..., représentant M. D... ;
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., né le 25 octobre 1980, de nationalité congolaise (RDC), est entré en France, selon ses déclarations, le 30 avril 2018. Après le rejet définitif de sa demande d'asile, le préfet du Rhône l'a, par arrêté du 9 avril 2020, obligé à quitter le territoire français dans un délai de quatre-vingt-dix jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office. M. D... relève appel du jugement du 28 juillet 2020 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ". Aux termes de l'article L. 121-2 de ce code : " Les dispositions de l'article L. 121-1 ne sont pas applicables : (...) / 3° Aux décisions pour lesquelles des dispositions législatives ont instauré une procédure contradictoire particulière ; (...) ".
3. Il ressort de l'ensemble des dispositions du livre V du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment de son article L. 512-1, que le législateur a entendu déterminer l'ensemble des règles de procédure administrative et contentieuse auxquelles sont soumises l'intervention et l'exécution des décisions par lesquelles l'autorité administrative signifie à l'étranger l'obligation dans laquelle il se trouve de quitter le territoire français. Dès lors, les dispositions de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration qui fixent les règles générales de procédure applicables aux décisions devant être motivées en vertu des dispositions de l'article L. 211-2 du même code ne sauraient être utilement invoquées à l'encontre d'une décision portant obligation de quitter le territoire français.
4. En deuxième lieu, dans le cas prévu au 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision faisant obligation de quitter le territoire français fait suite au constat de ce que la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou de ce que celui-ci ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application de l'article L. 743-2 du même code, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité. Le droit d'être entendu, qui est une composante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union, n'implique alors pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français, dès lors qu'il a été entendu dans le cadre du dépôt de sa demande d'asile à l'occasion de laquelle l'étranger est conduit à préciser à l'administration les motifs pour lesquels il demande que lui soit reconnue la qualité de réfugié ou accordé le bénéfice de la protection subsidiaire et à produire tous éléments susceptibles de venir au soutien de cette demande. Il lui appartient, lors du dépôt de cette demande, laquelle doit en principe faire l'objet d'une présentation personnelle du demandeur en préfecture, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'il juge utiles. Il lui est loisible, au cours de l'instruction de sa demande, de faire valoir toute observation complémentaire, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux.
5. Il ne ressort pas des pièces du dossier que l'intéressé n'aurait pas été à même, pendant la procédure d'instruction de sa demande d'asile, de présenter s'il l'estimait utile tous éléments d'information ou arguments de nature à influer sur le contenu des décisions à intervenir. S'il fait valoir qu'il n'a pu, après le rejet de sa demande d'asile par la cour nationale du droit d'asile le 3 mars 2020, communiquer au préfet les éléments relatifs à son état de santé compte tenu de la fermeture des guichets de la préfecture du Rhône à compter du 16 mars 2020 en raison de la situation sanitaire, rien ne faisait obstacle à ce qu'il communique au préfet, antérieurement au confinement de la population, le certificat médical dont il se prévaut qui est daté du 25 juin 2019. Par suite, le moyen tiré du non-respect du droit d'être entendu, principe général du droit de l'Union, doit être écarté.
6. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation personnelle du requérant pour prendre la décision portant obligation de quitter le territoire français.
7. En quatrième lieu, aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
8. M. D... résidait en France depuis deux ans lorsque le préfet a prononcé à son encontre une obligation de quitter le territoire français. Il n'est pas dépourvu d'attaches familiales en RDC où résident ses trois enfants. S'il fait valoir qu'il sera dans l'impossibilité de reconstruire sa vie privée et familiale en RDC compte tenu des risques qu'il y encourt et que les troubles dont il souffre trouvent leur origine dans des persécutions dont il a été personnellement et directement victime, ce qui ne lui permet pas d'envisager un traitement approprié à sa maladie dans ce pays, il n'a produit, outre des documents généraux sur la situation en RDC et un certificat médical du 25 juin 2019 qui indique qu'il présente des symptômes psychologiques et des cicatrices compatibles avec les violences rapportées, aucun élément permettant de tenir ces faits pour établis alors, au demeurant, que sa demande d'asile a été rejetée tant par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides que par la Cour nationale du droit d'asile. Par ailleurs, si M. D... invoque l'état du système sanitaire de son pays d'origine ainsi que des difficultés d'accès aux traitements, les éléments qu'il produit ne sont pas de nature à établir qu'il ne pourrait pas disposer dans son pays d'origine d'un traitement approprié. Par suite, eu égard à la brièveté de son séjour sur le territoire français et à l'absence de tout élément probant permettant de justifier que la vie privée et familiale de l'intéressé ne pourrait se poursuivre dans son pays d'origine, le préfet n'a pas, en prenant la décision litigieuse, porté une atteinte disproportionnée au droit de M. D... à mener une vie privée et familiale normale. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que, pour les mêmes motifs, celui tiré de ce que le préfet aurait commis une erreur manifeste d'appréciation, doivent être écartés.
9. En cinquième lieu, pour les motifs exposés au point 8, le moyen tiré de ce que l'arrêté litigieux méconnaît le 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
Sur la décision fixant le délai de départ volontaire :
10. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) II. _ L'étranger auquel il est fait obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de l'obligation de quitter le territoire français. L'autorité administrative peut accorder, à titre exceptionnel, un délai de départ volontaire supérieur à trente jours s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas. (...) ".
11. Le délai de trente jours constitue le délai de droit commun prévu par les dispositions légales et réglementaires. En l'espèce, le préfet du Rhône a, compte tenu de la situation de crise sanitaire, décidé d'accorder un délai de départ volontaire de quatre-vingt-dix jours à M. D.... Si M. D... fait valoir qu'aucun élément ne permettait à la date de la décision en litige d'envisager la réouverture des frontières de la RDC fermées depuis le 25 mars 2020, toutefois, eu égard à la durée nécessairement temporaire des dispositions exceptionnelles de fermeture des frontières, le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en accordant, à la date à laquelle il a pris la décision litigieuse, un délai de départ de quatre-vingt-dix jours à l'intéressé.
Sur la décision fixant le pays de destination :
12. Il résulte de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de la décision refusant de lui délivrer un titre de séjour et de celle l'obligeant à quitter le territoire français à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de destination.
13. M. D... reprend en appel les moyens tirés de ce que la décision fixant le pays de destination est insuffisamment motivée, n'a pas été précédée d'un examen complet et particulier de sa situation et est, de ce fait, entachée d'une erreur de droit et méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ces moyens ne sont assortis d'aucune précision supplémentaire ni d'aucun élément pertinent de nature à critiquer les motifs par lesquels le tribunal les a justement rejetés. Par suite, il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs du jugement attaqué.
14. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte et celles qu'il présente au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet du Rhône.
Délibéré après l'audience du 4 mars 2021, à laquelle siégeaient :
M. d'Hervé, président,
Mme Michel, président assesseur,
Mme Duguit-Larcher, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 mars 2021.
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N° 20LY02666