Procédure devant la cour
Par une requête sommaire et des mémoires enregistrés les 8 août 2017, 6 octobre 2017, et 17 juillet 2018, le cabinet Michelon Architecte, représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler l'article 2 du jugement attaqué ;
2°) de condamner le département de l'Yonne à l'indemniser des prestations supplémentaires et des préjudices subis du fait de la résiliation du marché ;
3°) de mettre à la charge du département de l'Yonne la somme de 5 000 euros au titre des frais du litige.
Il soutient que
- le jugement attaqué ne répond pas au moyen tiré de la violation du principe de loyauté contractuelle ;
- contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, les prestations confiées à la société Grizot Concept représentaient une part substantielle de son propre marché ;
- la résiliation était dépourvue de motif d'intérêt général ;
- le département qui a confié une partie des prestations prévues dans son marché à la société Grizot Concept, en méconnaissance les principes d'exclusivité et de loyauté contractuelle, a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ; elle évalue son préjudice à la somme de 67 319,45 euros ;
- les défaillances du département dans la conduite de l'opération de réhabilitation des bâtiments du collège engagent également sa responsabilité ; il sera fait une juste appréciation de son préjudice en l'évaluant à 30 000 euros HT ;
- c'est à tort que le tribunal a considéré que la prestation de relevé des grilles Viollet Le Duc, d'un montant de 3 355 euros, figurait dans l'avant-projet détaillé ;
- c'est également à tort qu'il a considéré qu'elle ne démontrait pas avoir effectué des prestations, d'un montant de 8 010 euros HT, consécutivement au retard du rapport du contrôleur technique ;
- les autres prestations supplémentaires sont justifiées à hauteur de 101 388 euros ;
- elle évalue son manque à gagner résultant de la résiliation fautive de son marché à la somme de 280 280 euros HT ;
- il sera fait une juste appréciation de son préjudice moral et commercial du fait des conditions vexatoires de cette résiliation en le fixant à la somme de 15 000 euros.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 5 février 2018 et 30 avril 2019, le département de l'Yonne, représenté par Me B..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge du cabinet Michelon Architecte au titre des frais du litige.
Il fait valoir que les demandes indemnitaires du cabinet Michelon Architecte ne sont pas fondées en droit ou mal fondées.
Par une ordonnance du 3 mai 2019, l'instruction a été close au 20 mai 2019.
Un mémoire enregistré le 1er août 2019 présenté pour le cabinet Michelon Architecte n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des marchés publics ;
- la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 ;
- le décret n° 78-1306 du 26 décembre 1978 ;
- le décret n° 93-1268 du 29 décembre 1993 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme C...,
- et les observations de Me D..., représentant le cabinet Michelon Architecte, et celles de Me B..., représentant le département de l'Yonne.
Considérant ce qui suit :
1. Par un acte d'engagement signé le 19 août 2004, le département de l'Yonne a confié à un groupement dont le cabinet Michelon Architecte était mandataire, un marché de maîtrise d'oeuvre pour la seconde phase des travaux de réhabilitation du collège Montpezat portant sur les bâtiments A et C ainsi que sur les clôtures et les abords. Faute de financement, le département a décidé de reporter l'exécution des travaux de réhabilitation de la seconde phase et par une délibération du 21 février 2014, la commission permanente du conseil général a décidé de résilier le marché de maîtrise d'oeuvre. Le président du conseil général en a informé le cabinet Michelon Architecte par lettre du 2 novembre 2015. Le département a confié dans le même temps à la société Frizot Concept la maîtrise d'oeuvre des travaux de réfection des toitures et maçonneries des bâtiments A et B par un marché passé le 31 juillet 2015. Par courrier reçu le 13 avril 2016, le conseil départemental a adressé le décompte de liquidation au cabinet Michelon Architecte, qui porte à son crédit la somme de 21 603,52 euros au titre de l'indemnité de résiliation. Le cabinet Michelon Architecte a contesté ce décompte et saisi le tribunal administratif de Dijon qui n'a fait que partiellement droit à sa demande en limitant la condamnation du département au versement de l'indemnité de résiliation prévue au marché, d'un montant de 21 603,52 euros HT. Le cabinet Michelon Architecte demande l'annulation de l'article 2 du jugement qui a rejeté le surplus des conclusions de sa demande tendant à la condamnation du département de l'Yonne à lui verser diverses sommes en paiement des prestations réalisées dans le cadre de son marché et pour l'indemnisation des divers préjudices subis du fait de sa résiliation.
Sur la régularité du jugement :
2. Le tribunal a répondu au point 4 du jugement attaqué au moyen soulevé devant lui par le cabinet Michelon Architecte tiré de la méconnaissance du principe de loyauté contractuelle au soutien duquel il se prévalait, à la page 8 de sa requête, de ce que le conseil départemental avait passé un marché identique au sien avec un tiers pour la réalisation des couvertures. Pour écarter le moyen ainsi argumenté, le tribunal a relevé que les deux marchés ne portaient pas sur le même objet. Le cabinet Michelon Architecte n'est dès lors pas fondé à soutenir que le tribunal se serait livré à une analyse erronée d'un moyen qui en réalité était un argument au soutien du moyen tiré de de la méconnaissance du principe de loyauté contractuelle, auquel il n'a donc pas omis de répondre.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. En vertu des règles générales applicables aux contrats administratifs, l'administration peut toujours, pour un motif d'intérêt général, résilier un contrat, sous réserve des droits à indemnité du cocontractant. L'étendue et les modalités de l'indemnisation due par la personne publique à son cocontractant en cas d'annulation ou de résiliation pour un motif d'intérêt général du contrat peuvent être déterminées par les stipulations du contrat, sous réserve qu'il n'en résulte pas, au détriment de la personne publique, une disproportion manifeste entre l'indemnité ainsi fixée et le montant du préjudice résultant, pour le titulaire du contrat, des dépenses qu'il a exposées et du gain dont il a été privé.
4. Il résulte de l'instruction que la tranche ferme portant sur la réhabilitation du bâtiment A avait été évaluée à 5 850 000 euros HT et la tranche conditionnelle, portant sur la réhabilitation du bâtiment C, de la chapelle et des abords, à 2 923 000 euros HT. La somme de 8 700 000 euros avait fait l'objet d'une inscription en provision dans le budget du département de l'Yonne pour 2004. Le deuxième avenant au marché a eu pour effet d'augmenter de 32 % le montant du coût prévisionnel des travaux par rapport au coût initial du projet. Le département de l'Yonne a envisagé de passer un contrat de partenariat afin de recourir à un financement privé mais la mission d'appui aux partenariats publics-privés a émis un avis défavorable. L'abandon du projet relatif à la seconde phase des travaux de réhabilitation du collège Montpezat a répondu en l'espèce à un motif d'intérêt général alors même qu'un marché de maîtrise d'oeuvre pour la seule conservation des toitures et maçonneries des bâtiments B et C a été conclu en urgence, onze ans après le marché initial de maîtrise d'oeuvre intervenu à l'origine pour des travaux plus importants de réhabilitation.
5. En vertu de l'article 7.1 du cahier des clauses administratives particulières du marché et du 2 de l'article 36 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de prestations intellectuelles approuvé par le décret du 26 décembre 1978, le cabinet Michelon Architecte a droit à une indemnité de résiliation fixée forfaitairement à 4 % du montant hors TVA de la partie résiliée du marché. Par suite et ainsi qu'il n'est plus contesté en cause d'appel, le montant de cette indemnité s'établit à 21 603,52 euros HT comme retenu par les premiers juges.
6. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 que le cabinet Michelon Architecte ne peut être en outre indemnisé pour son manque à gagner et son préjudice moral et commercial consécutifs à la résiliation de son marché. Il ne peut davantage être indemnisé d'un préjudice distinct du manque à gagner, que lui aurait causé la violation du principe de loyauté contractuelle et la méconnaissance de l'exclusivité dont il était bénéficiaire par effet de son marché à l'occasion de la conclusion par le département de l'Yonne d'un contrat de maîtrise d'oeuvre, qui au surplus n'avait pas le même objet comme dit au point 4. Il en va de même du préjudice qui résulterait des défaillances du département dans la conduite de l'opération de réhabilitation des bâtiments du collège.
7. Il résulte des dispositions des articles 9 de la loi du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'oeuvre et de l'article 30 du décret du 29 décembre 1993 relatif aux missions de maîtrise d'oeuvre confiées par des maîtres d'ouvrage publics à des prestataires de droit privé que le titulaire d'un contrat de maîtrise d'oeuvre est rémunéré par un prix forfaitaire couvrant l'ensemble de ses charges ainsi que le bénéfice qu'il en escompte, et que seules une modification de programme ou une modification de prestations décidées par le maître de l'ouvrage peuvent donner lieu, le cas échéant, à une augmentation de sa rémunération. Dans l'hypothèse où une modification de programme ou de prestations a été décidée par le maître de l'ouvrage, le droit du maître d'oeuvre à l'augmentation de sa rémunération est uniquement subordonné à l'existence de prestations supplémentaires de maîtrise d'oeuvre utiles à l'exécution des modifications décidées par le maître de l'ouvrage. En revanche, ce droit n'est subordonné ni à l'intervention de l'avenant qui doit normalement être signé, ni même, à défaut d'avenant, à celle d'une décision par laquelle le maître d'ouvrage donnerait son accord sur un nouveau montant de rémunération du maître d'oeuvre. En outre, le maître d'oeuvre qui effectue des missions ou prestations non prévues au marché de maîtrise d'oeuvre et qui n'ont pas été décidées par le maître d'ouvrage n'a droit à être rémunéré de ces missions ou prestations que lorsque, soit elles ont été indispensables à la réalisation de l'ouvrage selon les règles de l'art, soit le maître d'oeuvre a été confronté dans l'exécution du marché à des sujétions imprévues présentant un caractère exceptionnel et imprévisible, dont la cause est extérieure aux parties et qui ont pour effet de bouleverser l'économie du contrat.
8. D'une part et comme l'a relevé le tribunal, le mémoire d'avant-projet définitif du 3 septembre 2008 mentionne la réalisation d'une clôture Ouest comprenant le réemploi de la grille ancienne conçue par Viollet-Le-Duc, en dépôt dans les locaux des services techniques municipaux. Le cabinet Michelon Architecte ne démontre pas l'existence d'une prestation supplémentaire d'un coût de 3 355 euros. Il n'établit pas davantage qu'il aurait réalisé d'autres prestations supplémentaires d'un coût de 101 388 euros décidées par le maître d'ouvrage en s'appuyant seulement sur un rapport établi le 29 septembre 2016 par un expert en construction qu'il a mandaté pour donner son avis sur l'étendue de sa mission et qui conclut que l'équipe de maitrise d'oeuvre " apparaît être allée au-delà de sa rémunération ".
9. D'autre part, le cabinet Michelon Architecte reproche au tribunal d'avoir considéré qu'il ne démontrait pas avoir effectué des prestations, d'un montant de 8 010 euros HT, consécutivement au retard du rapport du contrôleur technique qui l'a contraint à modifier le cadre de décomposition du prix global et forfaitaire de chaque lot. Il n'établit pas cependant avoir dû faire face à cette occasion à une difficulté technique imprévue.
10. Il résulte de ce qui précède que le cabinet Michelon Architecte n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a rejeté le surplus des conclusions de sa demande et à demander l'annulation de l'article 2 du jugement. La requête doit ainsi être rejetée. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de laisser à la charge des parties les frais qu'elles ont exposés pour les besoins du litige.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société cabinet Michelon Architecte et les conclusions des parties au titre des frais du litige sont rejetées.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société cabinet Michelon Architecte et au département de l'Yonne.
Délibéré après l'audience du 8 novembre 2019, à laquelle siégeaient :
M. d'Hervé, président,
Mme A..., président assesseur,
Mme Vaccaro-Planchet, premier conseiller.
Lu en audience publique le 28 novembre 2019.
Le rapporteur,
C. A...Le président,
J.-L. d'Hervé
Le greffier,
J. Billot
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
Le greffier,
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N° 17LY03094