Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 19 février 2019, le préfet du Rhône demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de la société D.L.C.
Il soutient que :
- il est bien fondé à solliciter, pour la première fois en appel, une substitution des motifs de fait pour justifier avoir pris, sur le fondement du 2° de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique, la décision litigieuse ; cette substitution de motifs ne prive pas la société D.L.C d'une garantie ;
- les autres moyens soulevés par la société D.L.C devant le tribunal, tirés du défaut de motivation de la décision et du caractère disproportionné de la mesure, ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 mai 2019, la société D.L.C, représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- il ne peut être fait droit à la demande de substitution de motifs présentée par le préfet ;
- l'arrêté n'est pas suffisamment motivé ;
- il est entaché d'erreur de fait dans la mesure où l'auteur de l'homicide n'avait pas fréquenté son établissement ;
- l'atteinte à l'ordre public invoquée n'est pas en lien avec la fréquentation de l'établissement et ne pouvait, dès lors, justifier une fermeture de ce dernier sur le fondement du 2° de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique ;
- la mesure présente un caractère disproportionné.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- et les conclusions de M. Savouré, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. La société D.L.C. exploite deux établissements, " Le First " et " l'AperiKlub ", sous le logo commun " FetK Bistroclub ", situés place Jules Ferry à Lyon. Par un arrêté du 1er février 2017, le préfet du Rhône a prononcé la fermeture des établissements à l'enseigne " Le F et K ", pour une durée de deux mois à compter de sa notification, intervenue le 16 février 2017. Par un nouvel arrêté du 24 février 2017, le préfet a prononcé la fermeture de l'établissement à l'enseigne " Le First " pour une durée de 15 jours à compter du 16 février 2017 et a abrogé l'arrêté du 1er février 2017. Par un jugement du 19 décembre 2018, le tribunal administratif de Lyon a annulé l'article 1er de cet arrêté.
2. Aux termes de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique : " (...) / 2. En cas d'atteinte à l'ordre public, à la santé, à la tranquillité ou à la moralité publiques, la fermeture peut être ordonnée par le représentant de l'État dans le département pour une durée n'excédant pas deux mois. (...) / 4. Les crimes et délits ou les atteintes à l'ordre public pouvant justifier les fermetures prévues au 2 et au 3 doivent être en relation avec la fréquentation de l'établissement ou ses conditions d'exploitation. / (...) ".
3. Le préfet du Rhône s'est fondé, pour prononcer la fermeture administrative du First pour une durée de 15 jours sur la circonstance qu'un meurtre avait été commis le 1er octobre 2016 place Jules Ferry à la suite d'une altercation entre deux groupes de personnes qui avaient fréquenté l'établissement. Le tribunal a annulé cette décision au motif qu'il n'était pas établi que ce crime était en relation avec la fréquentation de l'établissement. En appel, le préfet demande à la cour de substituer au motif de fait retenu dans l'arrêté litigieux un nouveau motif tiré de ce que, sans compter cet homicide dont il admet qu'il ne pouvait justifier la mesure prise, plusieurs faits se sont produits à proximité ou dans l'établissement le First entre le 24 janvier et le 1er octobre 2016 et qui sont par ailleurs ceux initialement retenus pour justifier la fermeture initiale le 1er février 2017 des établissements à l'enseigne " Le F et K " pour une durée de deux mois.
4. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué, le juge peut procéder à la substitution demandée.
5. Pour justifier la décision de fermeture de l'établissement pour une durée de quinze jours, le préfet se prévaut désormais de la survenue de plusieurs rixes aux cours desquelles des clients et des agents de sécurité ont été blessés. Ces évènements se sont déroulés soit dans les locaux de l'établissement, le 24 janvier 2016 et le 27 février 2016, soit à ses abords immédiats sur la voie publique le 7 février 2016, puis le 19 juin 2016. Le préfet se fonde également sur le comportement du service de sécurité de l'établissement. Il rapporte qu'un client a déclaré avoir été frappé par un des agents de ce service le 24 avril 2016, que les agents du service de sécurité ont fait usage de gaz lacrymogène à l'encontre de clients le 15 mai et le 14 août 2016 et que les mêmes préposés, qui étaient munis de matraques télescopiques, ont frappé des clients le 21 août 2016, puis le 18 septembre 2016. Le préfet se prévaut enfin du comportement de clients de l'établissement, les 14 février et 12 mars 2016, démontrant leur état d'alcoolisation très avancée.
6. La société D.L.C, qui a été mise à même de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, se borne à faire valoir qu'ainsi que l'a indiqué le tribunal ces faits ne constituent pas le fondement de l'arrêté litigieux et que le préfet ne peut s'en prévaloir alors qu'il a renoncé à le faire dans l'arrêté du 24 février 2017. Le préfet n'ayant pas, devant le tribunal, expressément sollicité une substitution de motifs, le tribunal ne pouvait, comme il l'a fait, que constater que ces faits ne constituaient pas le fondement de la décision litigieuse. En revanche, dès lors que le préfet sollicite comme il le peut une telle substitution de motifs devant la cour, il appartient à cette dernière de rechercher si ces faits sont de nature à fonder légalement la décision en litige. La circonstance que l'ensemble de ces faits avaient été retenus par le préfet dans l'arrêté du 1er février 2017 depuis abrogé par l'arrêté du 24 février 2017 ne fait pas obstacle à ce qu'ils fassent l'objet de la demande de substitution de motifs du préfet.
7. Dans ses écritures devant la cour, la société D.L.C ne conteste pas la matérialité de ces faits signalés au préfet par les services de police et qui constituent des atteintes manifestes à l'ordre public, en relation avec la fréquentation de l'établissement ou ses conditions d'exploitation. Eu égard à leur répétition et à leur gravité, notamment ceux imputés au service de sécurité de l'établissement, ces faits justifient une fermeture de l'établissement pour une durée de quinze jours. Il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ces différents faits. Par ailleurs, la société D.L.C n'a été privée d'aucune garantie de procédure et notamment pas de celle tenant à une procédure contradictoire dans la mesure où elle avait été invitée à présenter ses observations sur le projet d'arrêté du 1er février 2017, qu'elle a présenté un recours gracieux contre cet arrêté et a été reçue par les services de la préfecture le 21 février 2017. Il y a lieu, par suite, de faire droit à la demande de substitution de motifs présentée par le préfet.
8. Il résulte de ce qui précède et après avoir procédé à la substitution de motifs demandée pour la première fois devant la cour par le préfet du Rhône, que celui-ci est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a estimé qu'il a méconnu les dispositions du 2° de l'article L. 3332-15 du code de la santé publique et a annulé pour ce motif la décision de fermeture de l'établissement pour une durée de quinze jours.
9. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société D.L.C.
10. L'arrêté attaqué, qui comprend les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, est suffisamment formellement motivé.
11. Eu égard à la substitution de motifs opérée à la demande en appel du préfet du Rhône, la circonstance que les faits initialement retenus au soutien de l'arrêté litigieux seraient entachés d'une erreur de fait et ne pourraient justifier une fermeture de quinze jours de l'établissement est sans incidence sur la légalité de l'arrêté.
12. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Rhône est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a annulé l'article 1er de l'arrêté du 24 février 2017.
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à la société D.L.C. la somme qu'elle réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lyon n° 1703323 en date du 19 décembre 2018 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la société D.L.C devant le tribunal administratif de Lyon et ses conclusions présentées en appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à la société D.L.C. Copie en sera adressée au préfet du Rhône.
Délibéré après l'audience du 1er avril 2021, à laquelle siégeaient :
M. d'Hervé, président,
Mme Michel, président assesseur,
Mme B..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 avril 2021.
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N° 19LY00648