Par un jugement n° 1605761 du 9 mai 2019, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande et mis les frais d'expertise à sa charge.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 8 juillet 2019, la commune de Saint-Avre, représentée par Me A... de la SCP A...-Betemps, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement susmentionné n° 1605761 du 9 mai 2019 du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) de condamner solidairement les sociétés Laurent TP, Eurovia Alpes, Electricité Service, membres du groupement d'entreprises, et la Selarl Vial au versement d'une somme de 239 114,86 euros au titre des travaux de reprise des désordres des bordures de trottoir du lotissement Chanet du Rivet II et d'une somme 22 607,76 euros au titre des honoraires du maître d'oeuvre y afférents ;
3°) de condamner solidairement les sociétés Laurent TP, Eurovia alpes, Electricité Service et la Selarl Vial au versement d'une somme de 23 038,90 euros au titre des frais d'expertise ;
4°) de condamner solidairement les sociétés Laurent TP, Eurovia alpes, Electricité Service et la Selarl Vial au versement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le maître d'oeuvre a failli à son obligation de conseil lors de la réception en lui proposant de signer le document de levée des réserves, alors que les désordres devaient être considérés comme apparents lors de la réception et auraient dû à nouveau être réservés dans le procès-verbal de réception ; ainsi, la réception a été acquise à l'entreprise par une manoeuvre dolosive ;
- le fait que les désordres aient été apparents lors de la réception n'exclut pas la responsabilité des locateurs d'ouvrage dès lors que leur caractère évolutif affectant la solidité de l'ouvrage n'a pu être décelé dans son ampleur à la réception, compte tenu des phases de dégradations de plus en plus accentuées ;
- les désordres dont il est sollicité l'indemnisation ne pouvaient être décelés dans leur ampleur à la réception des ouvrages par elle, profane, assistée d'un maître d'oeuvre, qui a rédigé le procès-verbal de réception et lui a proposé de le signer ;
- les désordres ont un caractère décennal dès lors qu'ils portent atteinte à la solidité du trottoir et rendent donc l'ouvrage impropre à sa destination ;
- la responsabilité décennale du groupement solidaire d'entreprises constitué des sociétés Laurent TP, Eurovia Alpes, et Electricité Service est engagée dès lors que, comme l'a relevé l'expert, les désordres sont imputables à la société Eurovia Alpes ;
- la responsabilité contractuelle du maître d'oeuvre est engagée dès lors qu'il a manqué à son obligation de conseil lors des opérations de réception puisqu'il lui a fait signer un procès-verbal de levée des réserves alors que le désordre entachant les bordures n'avait pas été repris ;
- les travaux de reprise des désordres doivent être évalués à la somme de 239 114,86 euros TTC auxquels il y a lieu d'intégrer, pour l'élaboration des marchés de travaux, le suivi de chantier et la réception des travaux, un maître d'oeuvre, pour un montant de 22 607,76 euros TTC, alors que le devis de la société Eiffage est incomplet au niveau des prestations et anormalement bas ;
- elle a avancé les frais d'expertise judiciaires pour un montant de 8 914,90 euros TTC et supporté les frais d'intervention de la société Ginger-CEBTP pour la mise en oeuvre des investigations pour un montant de 14 124 euros TTC.
Par un mémoire enregistré le 17 décembre 2019, la Selarl Agence Vial et Rossi (anciennement dénommée Selarl Vial), représentée par Me F..., demande à la cour :
1°) à titre principal, de rejeter la requête et de confirmer le jugement contesté ;
2) à titre subsidiaire, de condamner la société Eurovia Alpes à la relever et garantir des éventuelles condamnations prononcées à son encontre et de rejeter l'appel en garantie formé par cette société à son encontre ;
3°) à titre plus subsidiaire, de donner acte à la société Eurovia Alpes de sa proposition de reprise à hauteur de 96 176 euros, de réduire à une infime proportion l'éventuelle quote-part qui serait mise à sa charge et de débouter la commune de ses plus amples prétentions injustifiées et non fondées ;
4°) de lui allouer la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la réception sans réserve résulte exclusivement d'un choix délibéré de la commune de Saint-Avre, qui ne pouvait ignorer les défectuosités des travaux, les désordres étant apparents et visibles et connus d'elle dans toutes ses conséquences ; sa négligence ou son imprudence exonère la Serlal Vial de toute responsabilité ;
- il n'existe aucun lien entre la mission de la Selarl Vial et l'origine des désordres, qui ont pour origine la fabrication et la mise en oeuvre des bordures et ne relèvent pas de la conception du projet du lotissement ; sa responsabilité contractuelle ne peut donc être engagée ;
- sa responsabilité décennale ne peut être engagée dès lors que les désordres étaient visibles, apparents et connus du maître de l'ouvrage dans toute leur ampleur à la réception ;
- les désordres sont consécutifs à une pose inadaptée et à une défectuosité de fabrication des bordures qui relèvent de la responsabilité de la société Eurovia Alpes ;
- l'absence de démonstration d'une faute à son encontre, la portée de son intervention, l'origine des désordres et les obligations de la société Eurovia Alpes s'opposent à la demande de garantie que pourrait former en cause d'appel la société Eurovia Alpes à son encontre ;
- en tout hypothèse, la quote-part qui pourrait restée à sa charge ne peut qu'être réduite à une infime proportion et imputée sur la seule part due aux facteurs extrinsèques ;
- la somme réclamée par la commune au titre des travaux de reprise, qui n'est pas justifiée, sera rejetée ;
- la demande relative aux frais d'expertise, dont notamment les frais de laboratoire relatifs exclusivement à l'analyse de la fabrication des bordures et de leur composition (facteurs intrinsèques), sera également rejetée à son encontre.
Par un mémoire enregistré le 3 juin 2020, la SAS Eurovia Alpes, représentée par la SCP Ducrot Associés " DPA ", demande à la cour :
1°) à titre principal, de rejeter la requête et de confirmer le jugement contesté ;
2°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Avre la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
3°) à titre subsidiaire, condamner le Cabinet Vial et Rossi à la relever et garantir des condamnations prononcées à son encontre à hauteur de 30 % des 60 % retenus au titre des facteurs de causalité extrinsèques par l'expert judiciaire ;
4°) à titre subsidiaire, de rejeter la demande d'indemnisation de la commune de Saint-Avre à hauteur de 239 146,86 euros TTC, de rejeter sa demande au titre des honoraires de maîtrise d'oeuvre, et de ramener à de plus justes proportions sa demande au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la garantie décennale des constructeurs ne peut s'appliquer car les désordres étaient apparents à la réception ;
- la commune ne démontre pas que la signature du procès-verbal de réception sans réserves serait intervenue au prix d'une manoeuvre dolosive ;
- la matérialité des désordres est apparue dans toute son ampleur avant la réception et le fait que le phénomène se soit accentué dans l'espace et dans le temps s'explique uniquement par le fait que les dégradations n'ont jamais été réparées ;
- la commune, qui était assistée d'un maître d'oeuvre, a été dûment avisée de la gravité du dommage dès la réception ;
- la société Agence Vial et Rossi a commis des fautes dans le cadre de sa mission de surveillance des travaux en n'identifiant pas en cours de chantier les défauts de pose des bordures des trottoirs ;
- la demande d'indemnisation de la commune à hauteur de 239 114,86 euros sera rejetée dès lors qu'elle s'est engagée à intervenir pour un montant de 96 876 euros ;
- les honoraires de maîtrise d'oeuvre à hauteur de 22 607,76 euros ne sont pas justifiés.
La clôture de l'instruction a été fixée au 15 septembre 2020 par une ordonnance du 24 août 2020.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code de la construction et de l'habitation ;
- le code civil ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. D... ;
- les conclusions de M. Savouré, rapporteur public ;
- et les observations de Me G... pour la commune de Saint-Avre, de Me C... pour la société Eurovia Alpes et de Me F... pour la Selarl Agence Vial et Rossi.
Considérant ce qui suit :
1. Pour les besoins de l'aménagement du lotissement Chanet du Rivet II, la commune de Saint-Avre a confié le lot n°1 " Voiries et Réseaux " à un groupement solidaire d'entreprises composé des sociétés Laurent TP, Eurovia Alpes et Electricité Service. La maîtrise d'oeuvre a été confiée à la Selarl Vial. La réception des travaux est intervenue le 12 octobre 2011, et les réserves faites à cette occasion ont été levées par procès-verbal du 10 novembre 2011. Le 26 septembre 2013, la commune a fait constater par huissier les dégradations affectant les bordures de trottoir des voiries du lotissement, sur un linéaire total de 1 300 mètres. Sur demande de la commune, une expertise judiciaire a été ordonnée le 20 mai 2014 par le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble et l'expert a rendu son rapport le 11 octobre 2016. Par un jugement n° 1605761 du 9 mai 2019, dont la commune de Saint-Avre relève appel, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la réparation des préjudices subis affectant les bordures de trottoir du lotissement Chanet du Rivet II et laissé les frais d'expertise à sa charge.
Sur la responsabilité décennale des constructeurs :
2. La garantie décennale ne peut être invoquée pour l'indemnisation de désordres qui étaient apparents lors de la réception de l'ouvrage.
3. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise, que les désordres consistent dans des dégradations irréversibles par cassures ou éclatements, des bétons de bordures de trottoir et de la dégradation des joints de mortier réalisés entre les bordures de trottoir. Lors de réunions de chantier des 28 juin, 5 juillet, 12 juillet, 23 août, 21 septembre, 27 septembre, 4 octobre, et 11 octobre 2011, dont les comptes rendus ont été diffusés au maître de l'ouvrage, il a été indiqué que l'entreprise Eurovia devait reprendre les bordures cassées et refaire correctement tous les joints, ou qu'elle devait reprendre les joints de bordures. L'expert relève d'ailleurs que les désordres invoqués sont apparus en cours de travaux. La réception est intervenue le 12 octobre 2011 avec des réserves, dont une relative à la reprise des joints des bordures et des bordures cassées. Le 10 novembre 2011, le maître de l'ouvrage a prononcé la levée des réserves sur proposition du maître d'oeuvre, indiquant que les travaux de reprise des joints des bordures et des bordures cassées avaient été réalisés, alors que, comme l'a relevé l'expert, des bordures cassées et des joints dégradés subsistaient.
4. Il résulte de ce qui précède que les désordres étaient apparents au moment où a été prononcée la réception avec réserves puis la levée des réserves, alors même qu'ils ont présenté un caractère évolutif selon l'expert.
5. Si la commune de Saint-Avre soutient que la réception a été prononcée en raison d'une manoeuvre dolosive de la Selarl Vial, en soulignant que la maître d'oeuvre a failli à son obligation de conseil lors de la réception en lui proposant de signer le document de levée des réserves, alors que les désordres considérés comme apparents lors de la réception auraient dû à nouveau être réservés dans le procès-verbal de réception, cette circonstance, de nature à vicier la levée des réserves en raison d'un vice du consentement du maître d'ouvrage compte de l'absence de réalisation effective des travaux de reprise, n'est cependant pas de nature à permettre à la commune de pouvoir invoquer la garantie décennale, qui suppose, outre le caractère non apparent des désordres, la réception des travaux.
6. Ainsi, la demande de la commune de Saint-Avre tendant à l'engagement de la responsabilité décennale du groupement solidaire d'entreprises composé des sociétés Laurent TP, Eurovia Alpes et Electricité Service doit être rejetée.
Sur la responsabilité contractuelle du maître d'oeuvre pour manquement à son devoir de conseil :
- Concernant le principe de responsabilité :
7. Le maître d'oeuvre qui s'abstient d'attirer l'attention du maître d'ouvrage sur des désordres affectant l'ouvrage dont il pouvait avoir connaissance, en sorte que la personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l'ouvrage ou d'assortir la réception de réserves, commet un manquement à son devoir de conseil de nature à engager sa responsabilité. Le caractère apparent ou non des vices en cause lors de la réception est sans incidence sur le manquement du maître d'oeuvre à son obligation de conseil, dès lors qu'il avait eu connaissance de ces vices en cours de chantier.
8. En l'espèce, la Selarl Vial, maître d'oeuvre, dont la mission AOR impliquait d'assister le maître d'ouvrage lors des opérations de réception, a nécessairement commis un manquement à son devoir de conseil en proposant la levée des réserves alors que les travaux concernant la reprise des joints des bordures et des bordures cassées n'avaient pas été réalisés.
- Concernant la faute du maître d'ouvrage :
9. Eu égard au caractère apparent des désordres dans les conditions décrites au point 3, le maître de l'ouvrage a commis une négligence fautive en acceptant de lever les réserves sans s'assurer que les travaux de reprise des bordures cassées et des joints des bordures avaient bien été réalisés, qui est de nature à exonérer partiellement la Selarl Vial de sa responsabilité. Dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation des responsabilités encourues en mettant à la charge de la commune de Saint-Avre la moitié des conséquences dommageables des désordres.
- Concernant les préjudices et leur indemnisation :
10. Il sera fait une juste appréciation de l'ampleur des travaux de réfection des désordres en en évaluant le coût à la somme de 239 114,86 euros dès lors que chiffrage insuffisant du devis proposé par la société Eurovia Alpes n'est pas sérieusement contesté et qu'il n'est pas justifié de la nécessité d'une mission de maîtrise d'oeuvre pour assurer la réparation des désordres compte tenu de leur nature, en particulier pour éviter des contentieux avec les riverains ayant fait un effort de traitement paysager de leurs parcelles, alors que l'expert a relevé que les travaux de réfection incluent essentiellement des prestations de " sciage d'enrobé " et de reconstitution des revêtements post-intervention, toutes prestations qui ne sont pas susceptibles de porter atteinte à l'intégrité des parties privatives riveraines. Il y a donc lieu, compte tenu du partage de responsabilité retenu au point 9, de condamner la Selarl Agence Vial et Rossi à verser la somme de 119 557,43 euros à la commune de Saint-Avre.
11. Il résulte de ce qui précède que la commune de Saint-Avre est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a intégralement rejeté sa demande.
Sur les appels en garantie :
12. En premier lieu, le préjudice subi par le maître d'ouvrage qui a été privé de la possibilité de refuser la réception des ouvrages ou d'assortir cette réception de réserves, du fait d'un manquement du maître d'oeuvre à son obligation de conseil, et dont ce dernier doit réparer les conséquences financières, n'est pas directement imputable aux manquements aux règles de l'art commis par les entreprises en cours de chantier. Il en résulte que dans une telle hypothèse, les appels en garantie formulés par les maîtres d'oeuvre à l'encontre des entreprises chargées de la réalisation des travaux ne peuvent être que rejetés.
13. Il résulte de ce qui précède que l'appel en garantie formé par la Selarl Agence Vial et Rossi contre la société Eurovia Alpes doit être rejeté.
14. En second lieu, en l'absence de condamnation prononcée contre la société Eurovia Alpes, l'appel en garantie formé par cette dernière contre la Selarl Agence Vial et Rossi est dépourvu d'objet et doit donc être rejeté.
Sur les dépens :
15. Compte tenu du partage de responsabilité retenu au point 9, il y a lieu de mettre les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 8 914 euros, ainsi que les frais avancés par la commune de Saint-Avre pour les analyses effectuées par la société Ginger-CEBTP dans le cadre de l'expertise pour 14 124 euros, soit un total de 23 038 euros, à la charge de la commune et de la Selarl Agence Vial et Rossi à hauteur de 50 % chacune.
Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
16. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées à ce titre par la commune de Saint-Avre, la Selarl Agence Vial et Rossi, et la société Eurovia Alpes.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1605761 du 9 mai 2019 du tribunal administratif de Grenoble est annulé.
Article 2 : La Selarl Agence Vial et Rossi est condamnée à verser la somme de 119 557,43 euros à la commune de Saint-Avre.
Article 3 : Les dépens d'un montant de 23 038 euros sont mis à la charge de la commune de Saint-Avre et de la Selarl Agence Vial et Rossi à hauteur de 50 % de cette somme chacune.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Saint-Avre, à la Selarl Agence Vial et Rossi, à la société Eurovia Alpes, à la société Electricité Service représentée M. B... E..., liquidateur judiciaire, et à la société Laurent TP représentée par la Selarl Mj Alpes, Me J. Blanchard et Me C. Jal, liquidateurs judiciaires.
Délibéré après l'audience du 1er avril 2021, à laquelle siégeaient :
M. d'Hervé, président de chambre,
Mme Michel, président-assesseur,
M. D..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 avril 2021.
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N° 19LY02667