Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 22 juillet 2019, l'EIRL A..., représentée par Me Giroud, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 21 mai 2019 ;
2°) de lui accorder la décharge des impositions et pénalités susmentionnées ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal a commis des erreurs dans son appréciation et dans son analyse des faits relatifs à la date de clôture du bilan de la société, au montant des écarts de caisse retenus en 2014, au volume des stocks de tabac détourné et à l'existence d'autres postes visés par des détournements ;
- elle s'est trouvée dans l'impossibilité de prendre des mesures pour éviter les détournements dont elle a fait l'objet et qui sont le fait d'un salarié qui disposait de la maîtrise de l'affaire ;
- les pénalités pour manquement délibéré ne sont pas justifiées.
Par un mémoire enregistré le 2 mars 2020, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les erreurs relevées dans la motivation du jugement sont sans influence sur sa régularité ;
- compte tenu de la répétition des disparitions sur les trois exercices vérifiés, de leur importance et de leur comptabilisation, elle ne pouvait ignorer la situation et affirmer que les détournements se sont produits à son insu ; enfin, seul M. A... avait connaissance des écarts constatés en comptabilité ;
- les majorations pour manquement délibéré sont justifiées.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Dèche, présidente assesseure,
- et les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. L'EIRL A..., qui exerce une activité de vente de tabac, loto, loterie, jeux, articles pour fumeurs, confiserie, bimbeloterie et cartes de téléphone, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er avril 2013 au 31 mars 2016. Par une proposition de rectification du 18 mai 2017, le vérificateur a réintégré au titre des exercices vérifiés des sommes que la société avait comptabilisées en " charges exceptionnelles " et déduites de ses résultats pour des montants respectifs de 81 616 euros, de 110 270 euros et de 63 801 euros. Ces rectifications ont été assorties de majorations pour manquement délibéré prévues par le a de l'article 1729 du code général des impôts. L'EIRL A... relève appel du jugement du 21 mai 2019 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions et des majorations dont elles ont été assorties.
Sur la régularité du jugement :
2. Si la requérante soutient que le tribunal a commis des erreurs dans son appréciation et dans son analyse des faits relatifs à la date de clôture du bilan de la société, au montant des écarts de caisse retenus en 2014, au volume des stocks de tabac détourné et à l'existence d'autres postes visés par des détournements, ces moyens ne peuvent concerner que le bien-fondé du jugement et non sa régularité.
Sur le bien-fondé des impositions :
3. D'une part, aux termes de l'article R. 194-1 du livre des procédures fiscales : " Lorsque, ayant donné son accord à la rectification ou s'étant abstenu de répondre dans le délai légal à la proposition de rectification, le contribuable présente cependant une réclamation faisant suite à une procédure contradictoire de rectification, il peut obtenir la décharge ou la réduction de l'imposition, en démontrant son caractère exagéré. / (...) ".
4. Il résulte de l'instruction que l'EIRL A... n'a présenté aucune observation à la proposition de rectification du 18 mai 2017 alors même qu'elle avait sollicité une prorogation du délai de réponse de trente jours. Elle doit ainsi être considérée comme ayant tacitement accepté les rectifications en matière d'impôt sur les sociétés en litige, et supporte en conséquence la charge de la preuve de leur caractère exagéré par application des dispositions précitées de l'article R. 194-1 du livre des procédures fiscales.
5. D'autre part, il résulte des dispositions combinées des articles 38 et 39 du code général des impôts, applicables en matière d'impôt sur les sociétés en vertu des dispositions de l'article 209 du même code, que le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion commerciale normale. C'est au regard du seul intérêt propre de l'entreprise que l'administration doit apprécier si les opérations litigieuses correspondent à des actes relevant d'une gestion commerciale normale, sans qu'il y ait lieu pour elle, dans ce cadre, de se prononcer sur l'opportunité des choix de gestion faits par l'entreprise et notamment sur l'ampleur des risques pris par elle pour améliorer ses résultats.
6. En cas de détournements de fonds commis au détriment d'une société, les pertes qui en résultent sont, en principe, déductibles des résultats de la société. Il en va ainsi, en particulier, lorsque ces détournements ont été commis par des tiers. En revanche, ne sont pas déductibles les détournements commis par les dirigeants, mandataires sociaux ou associés ainsi que ceux, commis par un salarié de la société, qui ont pour origine, directe ou indirecte, le comportement délibéré des dirigeants, mandataires sociaux ou associés ou leur carence manifeste dans l'organisation de la société et la mise en oeuvre des dispositifs de contrôle, contraires à l'intérêt de la société.
7. La requérante soutient qu'elle était en droit de déduire de ses résultats des exercices clos les 31 mars 2014, 2015 et 2016, les charges exceptionnelles évaluées à des montants respectifs de 81 616 euros, de 110 270 euros et de 63 801 euros dès lors qu'ils correspondaient à des pertes constatées dans ses stocks résultant de détournements commis par un ancien salarié, à son insu. Elle fait valoir qu'elle exploite son fonds de commerce dans un local de 13 m² ne disposant que d'une entrée principale ne permettant pas à son gérant de contrôler son salarié à son insu et ne permettant pas la présence de plus d'un vendeur à la caisse. Elle ajoute que la présence de deux caméras ne permet de surveiller que l'espace réservé aux clients et que n'ayant constaté aucune perte durant la période au cours de laquelle son employé a été recruté sur contrat à durée déterminée, elle a continué à lui accorder sa confiance lorsqu'il a bénéficié d'un contrat à durée indéterminée. Enfin, elle fait valoir qu'il était impossible de procéder à une surveillance quotidienne de stocks ou de recruter une tierce personne pour surveiller son salarié. Toutefois, ces seules allégations ne permettent pas d'établir qu'elle se trouvait dans l'impossibilité de pouvoir procéder à toute surveillance de son employé ou de prendre toute mesure à son encontre, alors qu'il résulte de l'instruction que M. A..., gérant de la société a constaté comptablement l'existence de ces pertes au cours des exercices en litige. Ainsi, il est constant que le salarié concerné a pu commettre les détournements en cause sans être inquiété, jusqu'à ce qu'une procédure de licenciement pour faute soit engagée à son encontre en 2017 et qu'une plainte soit déposée, le 27 août 2017, soit postérieurement aux opérations de contrôle fiscal de la société. Enfin, s'il est constant que le salarié concerné disposait d'un accès à la caisse ainsi que d'une certaine autonomie et d'une marge de manoeuvre dans le fonctionnement de la société notamment dans l'organisation des " jeux instantanés " et du point " PMU ", ces circonstances ne permettent pas d'établir que M. A... n'aurait pas fait preuve de carence manifeste dans l'organisation de sa société. Par suite, c'est à bon droit que les sommes litigieuses ont été réintégrées dans les résultats de la société au titre des exercices clos les 31 mars 2014, 2015 et 2016.
Sur les pénalités pour manquement délibéré :
8. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'État entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ".
9. Pour justifier l'application de la pénalité mentionnée au a de l'article 1729 précité du code général des impôts, l'administration s'est fondée sur l'importance des déductions litigieuses non justifiées ainsi que sur leur répétition au cours des exercices vérifiés. Elle a également tenu compte de la carence manifeste de son gérant, M. A... qui avait connaissance de la comptabilisation injustifiée de ces pertes. En retenant ces éléments, l'administration doit être regardée comme établissant l'intention de l'EIRL A... d'éluder l'impôt et, par suite, le caractère délibéré des manquements qui lui sont reprochés, sans que la requérante puisse utilement faire valoir que M. A... aurait fait preuve de sa probité fiscale en obtenant sa licence de débit de tabac et qu'il se serait appauvri durant cette période. Par suite, c'est à bon droit que l'administration a infligé à la société requérante les pénalités en litige.
10. Il résulte de ce qui précède que l'EIRL A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Il y a lieu, par voie de conséquence, de rejeter ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de l'EIRL A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l'EIRL A... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré après l'audience du 8 avril 2021 à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Dèche, présidente assesseure,
Mme B..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 29 avril 2021.
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N° 19LY02875