Procédure devant la cour
I°) Par une requête, enregistrée le 14 février mars 2018 sous le n° 18LY00560, le préfet de l'Yonne, représenté par MeD..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 25 janvier 2018 du tribunal administratif de Dijon ;
2°) de rejeter la demande de première instance présentée par M.A....
Il soutient que :
- les documents nécessaires à l'examen de la demande de titre de séjour de M. A...ont été transmis à la commission du titre de séjour par courrier du 13 janvier 2017 en vue de la réunion de cette commission le 16 février 2017 ; les dispositions de l'article R. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ont été respectées contrairement à ce qu'a jugé le tribunal ;
- les moyens invoqués par M. A...en première instance, tirés du défaut de motivation, de l'erreur de fait et de la méconnaissance de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, du 7° de l'article L. 313-11 de ce code et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 avril 2018, M.A..., représenté par Me F..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros, à verser à son conseil, soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- le préfet n'établit pas avoir transmis à chacun des membres de la commission du titre de séjour les documents nécessaires à l'examen de sa situation ;
- la décision portant refus de séjour est entachée d'un défaut de motivation en fait ;
- elle est également entachée d'une erreur de fait puisqu'il établit sa présence en France de 2004 à 2007, en 2010 et en 2011 ;
- elle méconnaît l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que le 7° de l'article L. 313-11 de ce code et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision l'obligeant à quitter le territoire français devra être annulée en conséquence de l'annulation du refus de séjour ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- les décisions fixant le délai de départ volontaire et le pays de destination devront être annulées par voie de conséquence de l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français.
M. A...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 15 mai 2018.
Par une ordonnance du 23 mars 2018, l'instruction a été close au 30 avril 2018 à 16 heures 30.
II°) Par une lettre, enregistrée le 7 mai 2018, M.A..., représenté par MeF..., a saisi le président de la cour administrative d'appel de Lyon d'une demande tendant à obtenir l'exécution du jugement n° 1702452 rendu par le tribunal administratif de Dijon le 25 janvier 2018.
Par une ordonnance du 8 novembre 2018, le président de la cour administrative d'appel de Lyon, sur le fondement de l'article R. 921-6 du code de justice administrative, a ouvert la procédure juridictionnelle d'exécution de ce jugement sous le n° 18LY03973.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention entre le Gouvernement de la République française et Gouvernement de la République du Mali sur la circulation et le séjour des personnes, signée à Bamako le 26 septembre 1994 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lesieux,
- et les observations de Me G...pour le préfet de l'Yonne ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B...A..., né le 25 mars 1982, de nationalité malienne, est entré en France à la date déclarée du 30 juin 2004. Par un arrêté du 18 septembre 2017, le préfet de l'Yonne lui a refusé un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination en cas d'éloignement forcé. Par une requête, enregistrée sous le n° 18LY00560, le préfet de l'Yonne demande à la cour d'annuler le jugement du 25 janvier 2018 par lequel le tribunal administratif de Dijon a annulé son arrêté et lui a enjoint de réexaminer la situation de M.A.... Par une lettre, enregistrée le 7 mai 2018, M. A...a saisi la cour administrative d'appel de Lyon d'une demande tendant à obtenir l'exécution de ce même jugement. Sur le fondement de l'article R. 921-6 du code de justice administrative, le président de la cour a ouvert une procédure juridictionnelle sous le n° 18LY03973.
2. Il y a lieu de joindre ces deux requêtes relatives au même jugement pour qu'elles fassent l'objet d'un seul arrêt.
Sur la requête n° 18LY00560 :
En ce qui concerne le motif d'annulation retenu par le tribunal administratif :
3. Aux termes de l'article L. 312-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans chaque département est instituée une commission du titre de séjour composée : a) D'un maire ou de son suppléant désignés par le président de l'association des maires du département ou, lorsqu'il y a plusieurs associations de maires dans le département, par le préfet en concertation avec celles-ci et, à Paris, du maire, d'un maire d'arrondissement ou d'un conseiller d'arrondissement ou de leur suppléant désigné par le Conseil de Paris ;/ b) De deux personnalités qualifiées désignées par le préfet ou, à Paris, le préfet de police. / Le président de la commission du titre de séjour est désigné, parmi ses membres, par le préfet ou, à Paris, le préfet de police. (...) ". Aux termes de l'article R. 312-2 de ce code : " Le préfet ou, à Paris, le préfet de police saisit pour avis la commission lorsqu'il envisage de refuser de délivrer ou de renouveler l'un des titres mentionnés aux articles L. 313-11, L. 314-11 et L. 314-12 à l'étranger qui remplit effectivement les conditions qui président à leur délivrance ./ La commission est également saisie dans les cas prévus aux articles L. 313-14 et L. 431-3. Cette demande d'avis est accompagnée des documents nécessaires à l'examen de l'affaire, comportant notamment les motifs qui conduisent le préfet à envisager une décision de retrait, de refus de délivrance ou de renouvellement de titre de séjour, ainsi que les pièces justifiant que l'étranger qui sollicite une admission exceptionnelle au séjour réside habituellement en France depuis plus de dix ans. ". Aux termes de l'article R. 312-4 du même code : " Le président fixe la date des réunions de la commission. Les membres de celle-ci sont avisés de cette date et de l'ordre du jour au moins quinze jours à l'avance par une lettre à laquelle sont annexés les documents mentionnés à l'article R. 312-2. ".
4. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie.
5. Il ressort des pièces du dossier et en particulier du procès-verbal de la séance du 16 février 2017 de la commission du titre de séjour que ses trois membres disposaient des éléments nécessaires à l'examen de la situation de M. A...avant de rendre leur avis. Ils ont, en particulier, eu connaissance des pièces produites par l'intéressé pour justifier de sa présence en France depuis 2004 ainsi que des éléments tenant aux conditions de son entrée et de son séjour en France concernant notamment sa vie privée et familiale, sa situation professionnelle et la circonstance qu'il ne constitue pas une menace pour l'ordre public. Ils ont également pu entendre M. A...qui s'est présenté devant eux. Dans ces conditions, la circonstance, à la supposer établie, que Mme C...E..., chef du service de la citoyenneté et des usagers de la route de la préfecture de l'Yonne, présidente de séance, n'aurait pas été destinataire des documents mentionnés à l'article R. 312-2 précité antérieurement à la réunion du 16 février 2017 a été sans influence sur le sens de l'avis donné et sur celui de la décision prise et n'a pas privé M. A...d'une garantie.
6. Dès lors, le préfet de l'Yonne est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Dijon s'est fondé sur le moyen tiré du vice de procédure pour annuler l'arrêté préfectoral du 18 septembre 2017.
7. Il appartient toutefois à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les moyens soulevés par M. A...tant devant le tribunal que devant elle.
En ce qui concerne les autres moyens :
8. En premier lieu, les dispositions de l'article R. 312-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, citées au point 3, prévoient que les membres de la commission du titre de séjour doivent être avisés de la date de réunion de cette commission au moins quinze jours à l'avance. Le préfet de l'Yonne n'apporte pas la preuve de ce que les trois membres de la commission du titre de séjour auraient été destinataires de la lettre du 5 janvier 2017 par laquelle le secrétaire général de la préfecture les a informés de la date de réunion de la commission le 16 février 2017. Toutefois, dans la mesure où les membres de la commission étaient présents à cette réunion au cours de laquelle ils ont pu avoir connaissance des éléments nécessaires à l'examen de la situation de M. A...avant de rendre leur avis comme dit au point 5, cette irrégularité, à la supposer avérée, a été sans influence sur le sens de l'avis rendu par la commission du titre de séjour et celui de la décision prise et n'a pas privé l'intéressé d'une garantie. Le moyen tiré d'un vice de procédure doit donc être écarté.
9. En deuxième lieu, la décision refusant à M. A...la délivrance d'un titre de séjour est suffisamment motivée en fait par l'indication qu'il ne justifie pas, par les pièces produites à l'appui de sa demande, de sa présence en France depuis au moins dix ans, qu'une promesse d'embauche et la seule inscription à une formation d'une durée de quatre jours ne sauraient être considérées comme constitutives d'un " motif exceptionnel " de régularisation au sens de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en l'absence de preuve d'une insertion professionnelle et d'un projet professionnel concret en France, qu'il est célibataire, sans enfant et sans ressource en France et qu'il n'apporte pas la preuve de son isolement dans son pays d'origine où il a vécu jusqu'à l'âge de 22 ans.
10. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2. / L'autorité administrative est tenue de soumettre pour avis à la commission mentionnée à l'article L. 312-1 la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par l'étranger qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans. (...) ".
11. En application de ces dispositions, il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, d'examiner notamment si la qualification, l'expérience et les diplômes de l'étranger de même que tout élément de sa situation personnelle dont l'étranger ferait état à l'appui de sa demande, tel que notamment, l'ancienneté de son séjour en France, peuvent constituer, en l'espèce, des motifs exceptionnels d'admission au séjour. Ainsi, d'une part, le fait pour un étranger de résider habituellement en France depuis plus de dix ans ne constitue pas à lui seul une " considération humanitaire " ou un " motif exceptionnel " au sens des dispositions précitées, et d'autre part, un demandeur qui justifierait d'une promesse d'embauche ne saurait être regardé, par principe, comme attestant des " motifs exceptionnels " exigés par la loi.
12. M. A...soutient qu'il réside habituellement en France depuis plus de dix ans, qu'il y a toujours travaillé, qu'il justifie d'un projet professionnel et a d'ailleurs présenté plusieurs promesses d'embauche pour des missions temporaires datées des 5 novembre 2015, 6 septembre 2016 et 30 juin 2017 en qualité d'agent de démolition ainsi qu'un devis de formation pour apprendre à conduire des chariots élévateurs. M. A...produit à l'appui de ses allégations deux attestations de sociétés de travail temporaire certifiant l'avoir employé, pour la première, entre décembre 2009 et août 2010 et pour la seconde de juillet 2011 à mai 2014, sous l'identité de son frère, pour occuper divers emplois d'agent de centre de tri, de manoeuvre ou de préparateur de commandes. Toutefois, de telles attestations ainsi d'ailleurs que la production d'un devis pour une formation que M. A...ne justifie pas avoir suivie, ne suffisent pas à établir qu'il dispose de la qualification, de l'expérience ou d'un diplôme pour exercer le métier d'agent de démolition. Par suite, à supposer même que le préfet de l'Yonne aurait considéré à tort qu'il ne justifiait pas de sa présence en France de 2004 à 2007, en 2010 et en 2011, cette circonstance est sans incidence sur la légalité du refus de séjour qu'il lui a opposé dès lors que, célibataire et sans enfant à charge, il ne justifie pas de motifs exceptionnels d'admission au séjour au sens de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, les moyens tirés de l'erreur de fait et de la méconnaissance de ces dispositions doivent être écartés.
13. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée (...) ".
14. Il ressort des pièces du dossier que M. A...s'est maintenu en situation irrégulière sur le territoire français pendant plusieurs années sans chercher à régulariser sa situation et en usurpant l'identité d'autres personnes en situation régulière en France, en particulier son frère. Par ailleurs, s'il justifie de la présence régulière de ce frère en France, et se prévaut aussi de celle d'une tante et de cousins, il est célibataire et sans enfant à charge comme il a été dit et il n'établit pas être dépourvu de toute attache familiale dans son pays d'origine où il a vécu jusqu'à l'âge de 22 ans. Par suite, eu égard aux conditions de son entrée et de son séjour en France, M. A...n'est pas fondé à soutenir que le préfet de l'Yonne aurait, en lui refusant la délivrance d'un titre de séjour, méconnu les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dirigé contre la décision de refus de séjour et la décision portant obligation de quitter le territoire français, doit être écarté.
15. En dernier lieu, il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que la décision portant obligation de quitter le territoire français, la décision refusant d'accorder un délai de départ volontaire supérieur à trente jours et la décision fixant le pays de destination seraient illégales en raison de l'illégalité de la décision portant refus de séjour, doit être écarté.
16. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de l'Yonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a annulé son arrêté du 18 septembre 2017. Par suite, ce jugement doit être annulé et la demande M. A... devant le tribunal administratif de Dijon doit être rejetée.
Sur la requête n° 18LY03973 :
17. Dès lors que le jugement du tribunal administratif de Dijon dont M. A...demande à la cour d'assurer l'exécution est annulé par le présent arrêt, les conclusions de sa requête n° 18LY03973 tendant à de telles fins sont devenues sans objet.
Sur les frais liés au litige :
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que le versement d'une somme au conseil de M. A...soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, au titre des frais du litige.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 18LY03973.
Article 2 : Le jugement n° 1702452 du 25 janvier 2018 du tribunal administratif de Dijon est annulé.
Article 3 : La demande présentée par M. A...devant le tribunal administratif de Dijon et ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. B...A...et au préfet de l'Yonne.
Délibéré après l'audience du 14 mars 2019, à laquelle siégeaient :
Mme Michel, président,
M. Chassagne, premier conseiller,
Mme Lesieux, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 4 avril 2019.
Le rapporteur,
S. LesieuxLe président,
C. Michel
Le greffier,
J. Billot
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
Le greffier,
6
N°s 18LY00560, 18LY03973