Par une requête enregistrée le 15 mai 2020, M. B..., représenté par Me Zouine, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 2001239 du 24 février 2020 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions susmentionnées ;
3°) d'enjoindre au préfet du Rhône d'enregistrer sa demande d'asile dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir, ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la date de notification de la décision à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros, au profit de son conseil, en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, sous réserve que ce dernier renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Il soutient que :
- l'entretien a été mené en anglais, langue qu'il comprend difficilement et différente de celle des brochures remises ; ainsi, le préfet a méconnu les articles 4 et 5 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 ;
- il a bénéficié d'une protection en Italie et ne pouvait donc plus être placé sous procédure Dublin ; ainsi, le préfet a entaché la décision de transfert d'une erreur de droit, et d'un défaut d'examen sérieux de sa situation personnelle ;
- compte-tenu des décisions qui ont déjà été prises à son encontre par les autorités néerlandaises, il sera inévitablement éloigné vers la Somalie où il sera exposé à un risque de traitements inhumains et dégradants en cas de retour dans ce pays ; ainsi, le préfet a méconnu les articles 17 et 3.2 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ainsi que l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par des mémoires enregistrés les 13 et 17 août 2020, le préfet du Rhône conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les moyens soulevés ne sont pas fondés ;
- le délai de transfert prenant fin le 24 août 2020, cette mesure ne pourra être exécutée et la France deviendra responsable de la demande d'asile ; l'intéressé a reçu une convocation aux fins de requalification.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 septembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de Mme A..., présidente assesseure, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant somalien est entré irrégulièrement en France, le 13 octobre 2019. Ayant relevé ses empreintes digitales, le préfet du Rhône a constaté en consultant le fichier Eurodac que l'intéressé avait auparavant sollicité l'asile auprès des autorités néerlandaises. Celles-ci, saisies sur le fondement du b) du paragraphe 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du conseil du 26 juin 2013, ont accepté expressément la reprise en charge de l'intéressé le 31 décembre 2019. A la suite de cette procédure, par arrêtés du 17 février 2020, le préfet du Rhône a décidé son transfert aux autorités néerlandaises et l'a assigné à résidence. M. B... relève appel du jugement du 24 février 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces arrêtés.
2. En premier lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement et notamment : a) des objectifs du présent règlement (...) b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée (...) 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend (...) / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel (...) ". Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et en tout état de cause en temps utile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend.
3. Il ressort des pièces du dossier que les brochures mentionnées par les dispositions précitées ainsi que le guide d'accueil du demandeur d'asile ont été remis à M. B... le 21 octobre 2019, respectivement en langues anglaise et somali qu'il a déclaré comprendre. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le préfet aurait méconnu les dispositions précitées.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...) 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé. ".
5. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a bénéficié d'un entretien individuel avec un agent du service chargé de l'asile à la préfecture du Rhône, le 21 octobre 2019. Cet entretien a été mené en anglais, langue que l'intéressé a déclaré comprendre, par une personne du service, qualifiée au sens du 5 de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013. Si le requérant fait valoir qu'il comprend mal l'anglais, il ressort du résumé dudit entretien, que M. B... a signé, qu'il a pu exprimer à cette occasion toutes observations utiles et qu'il aurait pu de la même façon faire état de la protection internationale qu'il aurait obtenue en Italie et dont il se prévaut.
6. En troisième lieu, il appartient au juge de l'excès de pouvoir de former sa conviction sur les points en litige au vu des éléments versés au dossier par les parties. S'il peut écarter des allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées, il ne saurait exiger de l'auteur du recours que ce dernier apporte la preuve des faits qu'il avance. Le cas échéant, il revient au juge, avant de se prononcer sur une requête assortie d'allégations sérieuses non démenties par les éléments produits par l'administration en défense, de mettre en oeuvre ses pouvoirs généraux d'instruction des requêtes et de prendre toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction, en particulier en exigeant de l'administration compétente la production de tout document susceptible de permettre de vérifier les allégations du demandeur.
7. Le requérant soutient qu'il a présenté une demande d'asile en Italie qui ne figure pas sur le fichier Eurodac et que les autorités italiennes lui ont accordé une protection internationale qui fait obstacle à ce qu'il puisse faire l'objet de la décision de remise litigieuse. Il se prévaut d'une décision rendue le 9 juillet 2013 par l'autorité administrative néerlandaise (Secrétaire d'Etat à la sécurité et à la justice) qui rappelle qu'il " convient également de noter que le 26 juin 2013, les autorités italiennes ont annoncé leur intention de prendre en charge la personne concernée et que sa demande d'admission au titre de l'asile est de leur responsabilité. ". Toutefois, ce seul document ne permet pas de considérer comme suffisamment étayées ses allégations dont le bienfondé ne ressort pas davantage des pièces versées au dossier. Dans ces conditions, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le préfet aurait commis une erreur de droit et qu'il aurait entaché ses décisions d'un défaut d'examen de sa situation personnelle.
8. En dernier lieu, d'une part, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 susvisé : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers (...) sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux (...). La demande est examinée par un seul Etat membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable (...) ; / (...) 2. (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable (...) " et aux termes du paragraphe 1 de l'article 17 de règlement : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (...) ". La faculté laissée à chaque Etat membre, par le 1. de l'article 17 du règlement n° 604/2013, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
9. D'autre part, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".
10. M. B... fait valoir qu'il serait exposé à des traitements inhumains ou dégradants en cas de retour en Somalie notamment eu égard à la situation de violences aveugles dans sa région d'origine, et à son appartenance à la minorité ethnique des Tumal. Il ajoute que les autorités néerlandaises le renverront inévitablement dans ce pays dès lors qu'elles ont déjà rejeté sa demande d'asile et qu'elles ont prononcé à son encontre une mesure d'éloignement, une interdiction de retour pour une durée de deux années ainsi que son inscription au fichier système d'information Schengen. Toutefois, les documents qu'il produit ne permettent pas d'établir le caractère définitif des décisions dont il se prévaut émanant des autorités néerlandaises et qu'il ne serait pas à même d'exercer un recours effectif à leur encontre. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que le préfet du Rhône aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue au 1 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit également être écarté.
11. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Rhône.
Délibéré après l'audience du 8 octobre 2020 à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme A..., présidente assesseure,
Mme E..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 3 novembre 2020.
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N° 20LY01465