Par une requête enregistrée le 29 janvier 2020, Mme F..., représentée par Me C..., avocate, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 19 novembre 2019 ;
2°) d'annuler les décisions susmentionnées pour excès de pouvoir ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Ain de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée ou familiale " dans le délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, ou à défaut, de réexaminer sa situation ;
4°) dans tous les cas, d'enjoindre au préfet de l'Ain de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travail dans l'attente de la fabrication du titre de séjour ou un récépissé avec autorisation de travail dans l'attente du réexamen de sa situation dans le délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jours de retard ;
5°) d'enjoindre au préfet d'effacer son signalement aux fins de non admission dans le Système d'Information Schengen dans le délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jours de retard ;
6°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros, au profit de son conseil, en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- les services préfectoraux ont eu accès à des éléments de sa situation personnelle couverts par le secret médical et sans son autorisation ; le refus de titre de séjour est donc intervenu à la suite d'une procédure irrégulière ;
- ce refus est entaché d'un défaut d'examen complet et d'un défaut de motivation en fait ;
- le médecin instructeur a siégé au sein du collège des médecins de l'OFII, en méconnaissance de l'article R. 313-23 du code de l'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- les médecins du collège de l'OFII n'ont pas délibéré collégialement en méconnaissance de l'article 6 de l'arrêté du 27 décembre 2016 ;
- compte tenu de la gravité de son état de santé, de son origine, de l'absence de traitement en Albanie et l'impossibilité pour elle de voyager vers ce pays, le préfet a méconnu le 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile et a commis une erreur manifeste d'appréciation ;
- le refus de titre de séjour et l'obligation de quitter le territoire français méconnaissent le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et sont entachés d'erreur manifeste d'appréciation ;
- l'obligation de quitter le territoire français méconnait le 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- eu égard aux risques qu'elle encourt en Albanie, la décision fixant le pays de renvoi méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire enregistré le 19 août 2020, le préfet de l'Ain conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la requérante ayant elle-même fourni des indications relatives à sa pathologie, le moyen tiré de la violation du secret médical est donc infondé ;
- il a procédé à un examen complet de la situation de l'intéressée ;
- en se bornant à exiger de l'administration qu'elle apporte la preuve que " le médecin instructeur a siégé au sein du collège des médecins de l'OFII " alors même que le tribunal a rejeté ce moyen, la requérante ne critique pas utilement les motifs du jugement ;
- l'avis a été rendu à l'issue d'une délibération collégiale ;
- elle peut effectivement bénéficier d'un traitement approprié à son état de santé dans son pays d'origine ;
- les décisions contestées ne méconnaissent pas son droit au respect de sa vie privée et familiale ;
- l'obligation de quitter le territoire français ne méconnaît le 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision fixant le pays de renvoi ne méconnaît pas l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Mme F... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle par une décision du 22 janvier 2020.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A..., présidente assesseure ;
- les observations de Me C... pour Mme F... ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme F..., de nationalité albanaise, née le 8 septembre 1977, est entrée en France le 25 mars 2013. Sa demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides le 26 juin 2014, puis par la Cour nationale du droit d'asile, le 4 décembre 2014. Le 8 avril 2015, elle a fait l'objet d'un refus de titre de séjour, assorti d'une obligation de quitter le territoire français. A la suite d'une nouvelle demande de titre de séjour présentée en raison de son état de santé, elle a fait l'objet d'un refus de titre de séjour en date du 1er février 2016. Cette décision a été annulée par un jugement du 27 février 2018 du tribunal administratif de Lyon, qui a enjoint au préfet de l'Ain de réexaminer la demande de titre de séjour présentée par l'intéressée. Par décisions du 10 décembre 2018, le préfet de l'Ain a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Mme F... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions du 10 décembre 2018.
Sur la légalité du refus de titre de séjour :
2. L'article R. 313-22 de ce code dispose que : " Pour l'application du 11° de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé. / Les orientations générales mentionnées à la quatrième phrase du 11° de l'article L. 313-11 sont fixées par arrêté du ministre chargé de la santé ".
3. Aux termes de l'article R. 313-23 du même code : " Le rapport médical visé à l'article R. 313-22 est établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration à partir d'un certificat médical établi par le médecin qui le suit habituellement ou par un médecin praticien hospitalier inscrits au tableau de l'ordre (...) Sous couvert du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration le service médical de l'office informe le préfet qu'il a transmis au collège de médecins le rapport médical. (...) Le collège à compétence nationale, composé de trois médecins, émet un avis dans les conditions de l'arrêté mentionné au premier alinéa du présent article. La composition du collège et, le cas échéant, de ses formations est fixée par décision du directeur général de l'office. Le médecin ayant établi le rapport médical ne siège pas au sein du collège (...) L'avis est rendu par le collège dans un délai de trois mois à compter de la transmission du certificat médical. Lorsque le demandeur n'a pas présenté au médecin de l'office ou au collège les documents justifiant son identité, n'a pas produit les examens complémentaires qui lui ont été demandés ou n'a pas répondu à la convocation du médecin de l'office ou du collège qui lui a été adressée, l'avis le constate. (...) ".
4. L'article 6 de l'arrêté du 27 décembre 2016 précise que : " Au vu du rapport médical mentionné à l'article 3, un collège de médecins désigné pour chaque dossier dans les conditions prévues à l'article 5 émet un avis, conformément au modèle figurant à l'annexe C du présent arrêté, précisant : a) si l'état de santé de l'étranger nécessite ou non une prise en charge médicale ; b) si le défaut de cette prise en charge peut ou non entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur son état de santé ; c) si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont le ressortissant étranger est originaire, il pourrait ou non y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ; d) la durée prévisible du traitement. Dans le cas où le ressortissant étranger pourrait bénéficier effectivement d'un traitement approprié, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, le collège indique, au vu des éléments du dossier du demandeur, si l'état de santé de ce dernier lui permet de voyager sans risque vers ce pays. Cet avis mentionne les éléments de procédure. Le collège peut délibérer au moyen d'une conférence téléphonique ou audiovisuelle. L'avis émis à l'issue de la délibération est signé par chacun des trois médecins membres du collège ".
5. S'il ne résulte d'aucune de ces dispositions, non plus que d'aucun principe, que l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) devrait comporter la mention du nom du médecin qui a établi le rapport médical, prévu par l'article R. 313-22, qui est transmis au collège de médecins, en revanche ces dispositions prévoient que le médecin rapporteur ne siège pas au sein de ce collège. En cas de contestation devant le juge administratif portant sur ce point, il appartient à l'autorité administrative d'apporter les éléments qui permettent l'identification du médecin qui a rédigé le rapport et, par suite, le contrôle de la régularité de la composition du collège de médecins. Le respect du secret médical s'oppose toutefois à la communication à l'autorité administrative, à fin d'identification de ce médecin, de son rapport, dont les dispositions précitées de l'article R. 313-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne prévoient la transmission qu'au seul collège de médecins et, par suite, à ce que le juge administratif sollicite la communication par le préfet ou par le demandeur d'un tel document.
6. Mme F... se prévaut de l'irrégularité de la composition du collège des médecins de l'OFII ayant rendu l'avis du 7 novembre 2018 au vu duquel le préfet de l'Ain lui a refusé un titre de séjour. Il est constant que cet avis ne mentionne pas le nom du médecin qui a rédigé le rapport médical au vu duquel il a été émis. Or, en dépit d'une demande expresse qui lui a été adressée en ce sens par le greffe de la cour, le préfet de l'Ain n'a pas apporté les éléments permettant l'identification du médecin ayant rédigé le rapport afin de vérifier qu'il n'a pas siégé au sein du collège. Par suite, la décision du préfet de l'Ain refusant la délivrance d'un titre de séjour doit être regardée comme entachée d'un vice de procédure qui, étant de nature à avoir privé l'intéressée d'une garantie, en justifie l'annulation et celle, par voie de conséquence, des décisions l'obligeant à quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi.
7. Il résulte de tout ce qui précède que Mme F... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions de préfet de l'Ain du 10 décembre 2018.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
8. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".
9. Eu égard au seul motif justifiant l'annulation des décisions du préfet de l'Ain du 10 décembre 2018, il n'y a pas lieu d'enjoindre au préfet de l'Ain de délivrer à Mme F... un titre de séjour mais seulement de réexaminer la situation de celle-ci dans un délai d'un mois et de lui délivrer durant cet examen une autorisation provisoire de séjour, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte. Il ne ressort en revanche pas des pièces du dossier que l'intéressée, qui n'a pas fait l'objet d'une interdiction de retour sur le territoire français, aurait fait l'objet d'un signalement aux fins de non admission dans le système d'information Schengen, et il n'y a donc pas lieu d'enjoindre au préfet de mettre fin à un tel signalement.
Sur les frais liés à l'instance :
10. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
11. Mme F... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me C..., conseil de Mme F..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante à l'instance, le versement à cet avocate d'une somme de 1 000 euros.
DECIDE :
Article 1er: Le jugement du tribunal administratif de Lyon du 19 novembre 2019 et les décisions du préfet de l'Ain du 10 décembre 2018 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de l'Ain de réexaminer la situation de Mme F... dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer, dans l'intervalle, une autorisation provisoire de séjour.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 1 000 euros à Me C..., sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... F... et au ministre de l'intérieur. Copie du présent arrêt en sera adressée au préfet de l'Ain et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse.
Délibéré après l'audience du 10 septembre 2020 à laquelle siégeaient :
Mme A..., présidente,
Mme D..., première conseillère,
Mme G..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 29 septembre 2020.
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N° 20LY00413